06 juillet 2014

17 janvier 1917, les états d’âme du poilu Taris


En fouillant une valise  dans laquelle un brocanteur bayonnais  dépose pêle-mêle vieux papiers et photographies, j'ai déniché cette lettre du 17 janvier 1917.
L'auteur de ce courrier , militaire dans la Somme ;Belloy-en-Santerre, Wiencourt ,écrit à son père, Armand  Taris ,domicilié à Sabres dans les Landes.
Page 1 de la lettre de Taris fils à son père _mon cher vieux_
Pages 2 et 3 de la lettre de Taris fils à son père
 ".... il a fait esquinter 150 hommes pendant toute une nuit polaire à approprier impeccablement un boyau pour le général Foch put passer sans éclabousser ses chaussures!"
Mon cher vieux, j'ai reçu hier au soir tes deux lettres du 13 et du 14.Tu ne t'en faisais pas, à l'instant précis où ton fils s'en faisait beaucoup,lui! Il n'était d'aucune fête ces jours-ci,pas même de _mot illisible_Nous avons été relevés hier au soir, après 7 jours de travaux d'une dureté extrême!Nous avons la boue,le froid,la pluie,les poux,les obus!Sans compter le travail inouï qu'on exige pour mettre le secteur en état.Il parait que MM.les anglais doivent venir nous relever à Pâques ou à la Trinité, alors il faut leur léguer un secteur impeccable!C'est pourquoi on fait rendre aux hommes le maximum de ce qu'ils peuvent donner !A ma pièce on a travaillé jusqu'à 20 heures par jour!Nous n'avions pas d'abri à l'épreuve des obus.Nous nous sommes mis de suite à en faire un, mais à moitié travail, il a plu au commandant de ne pas trouver cet ouvrage à son goût, et il nous a fait cesser!!Mais par contre il a fait esquinter 150 hommes pendant toute une nuit polaire à approprier impeccablement un boyau pour le général Foch put passer sans éclabousser ses chaussures!Trouves-tu pas avec moi que c'est  _mots illisibles_ sans protection car les projectiles par la fantaisie cruelle d'une vieille baderne idiote? Et qu'il faille s'échiner pour qu'une autre baderne plus haut placé encore ne risque pas de mouiller ses augustes pieds quand par un hasard inouï il vient un quart d'heure parmi nous ?Heureusement que le hasard, qui est intelligent parfois, nous a un peu vengés:comme le général Foch s'amenait dans le boyau escorté de notre colon,un obus boche leur est chié à proximité;notre colon a eu un œil arraché ,le visage q.q peu maquillé et sans doute le géné a dû avoir bien peur!Inutile de te dire que personne parmi les misérables ne plaint ces off supérieurs ou généraux quand ils écopent!Cela leur arrive si rarement ,et ils sont si heureux à la guerre,pendant que nous agonisons!

ces MM.secrétaires qui ronflaient tous comme des porcs, s'éveillèrent en geignant et me flanquèrent à la porte en me disant de revenir à 7 heures .
Voici pour moi :l'autre jour ,le capitaine m'envoya chercher du café à Belloy-en-Santerre (2 kil en arrière des lignes) avec mission de prendre aussi 2 litres de pétrole au bureau du colonel.Quand je frappai au Bureau et que je demandai le pétrole  ces MM.secrétaires qui ronflaient tous comme des porcs,s'éveillèrent en geignant et me flanquèrent à la porte en me disant de revenir à 7 heures.Or c'était alors 6 heures.Je dus m'en revenir distribuer le café et repartir d'arrache-pied rechercher le pétrole!Crois-tu pas que c'était dur cela aussi!Faire 8 kil de boyau,alors que je n'en n'aurais du en faire que la moitié parce qu'un scribe _illisible_ n'avait pas voulu lever son cul!5 minutes pour me donner le bidon de pétrole!J'aurais voulu te voir toi!Mots illisibles _Notre capitaine envoie facilement un homme à Belloy également pour chercher de l'alcool solidifié à seule fin de réchauffer les pieds.Et cet homme ,sitôt revenu part dans la nuit d'encre et pluvieuse chercher la soupe à 6 kil toujours en passant dans un boyau!-Médite un peu ça!
Hier q.q minutes avant la relève,le lieutenant nous a dit à mon sergent et à moi
"Vous prendre un tel,tel ,enfin 10 hommes et vous irez à Wiencourt pour suivre un cours de mitrailleuses que dirige le capitaine Lefevre pendant 5 jours".
"Mais où est-ce Wiencourt ?"
"Je ne sais pas,je n'ai pas la carte,débrouillez-vous!"
Nous sommes donc partis à l'aveuglette à la tombée de la nuit et au bout de 2 kil de marche  et maints tâtonnements nous sommes arrivés à destination à 10 h du soir!Penses-tu pas que 7 jours atroces de tranchée méritaient un meilleur retour vers l'arrière.
Ils ont eux,de bonnes mines souterraines,des valets à foison,du bien-être enfin,et nous n'avons rien!
Enfin,nous avons pu nous changer.Pour la 1 ere fois depuis que nous sommes dans la Somme ,et encore il a fallu le demander aux off;sans cela ils n'avaient pas l'air de se soucier de notre hygiène!Ils ont eux,de bonnes mines souterraines,des valets à foison,du bien-être enfin,et nous n'avons rien!Mais qui  à la vérité ,se soucie de nous?Qui ?Pas même vous,nos parents,sans aucun doute!Aussi on ne vit guère ici.Jugés en plutôt par ce petit mot  que m'a écrit Capdeville,lui qui pourtant gouaillait ou ne cessait de dire:haut les cœurs!Nous sommes maigres,hâves,jaunes,nous sommes hideux.Et tous s'accordent à dire que s'ils n'avaient pas une famille on ne les verrait plus en cet enfer.Et moi aussi je le dis.C'est pour vous et par vous que je souffre ainsi!...
(...)
Page 8 , partiellement transcrite 


Pour en savoir davantage:
2 feuilles,largeur 20 cm,hauteur 16 cm,pliées en deux,constituant 8 pages écrites au crayon.


Le père serait Taris Jean,surnom Armand né le 24 mai 1859 à Sabres.
Le fils, qui serait né vers 1888, n'a pas été retrouvé avec certitude dans les Registres matricules en ligne des Landes 
Il était en vie en 1918.


Date d'acquisition de la lettre:4 juillet 2014.
Cout unitaire d'acquisition:1€ le document....
Ladite lettre fera prochainement l'objet d'une proposition de don aux archives départementales des Landes.En effet,les Archives départementales conservent également des documents d'origine privée:
Archives privées-Pyrénées-Atlantiques Conseil général
Archives départementales des Landes -Aider à l'archivage