22 avril 2015

Surveillance au village d'une jeune femme

Une lettre anonyme, suivie d'une enquête de gendarmerie, témoignent de la surveillance à l'égard d'une jeune femme dans une commune du Labourd qui comptait alors  500 habitants en 1939.
Les noms de cette localité ainsi que des personnes ont été volontairement masqués par l'auteur de ce blog.
Les documents originaux sont consultables au Pôle de Bayonne et du Pays Basque (AD 64) 39 avenue Duvergier de Hauranne 64100 Bayonne sous la cote 3 U 1 art 37 Tribunal de Grande Instance de Bayonne.

Transcription de la lettre  anonyme 

Les fautes d'orthographe ne sont pas corrigées dans cette transcription
Le 5 février 1939

Monsieur le Brigadier
J'attire votre attention et votre bienveillance sur une affaire que je juge grave et donc vous arriverez à découvrir après une enquête minutieuse et serrée sur la personne de Mademoiselle M...... à L....... .
Il y a déjà quelques mois que,d'après le soi-disant des gens de la commune elle était en état de grossesse avancé .Personne ne la voyait et tous les gens qui se présentaient soit le facteur,soit bien d'autres,elle se camouflai soit dans la souillarde soit dans la chambre et tout ça sous prétexte qu'elle était (d'après sa mère) devenue très grosse en quelques jours et qu'elle avait honte et encore en disant que les robes ne lui allaient plus.
Une personne de la commune l'ayant interrogée a ce sujet en lui disant pourquoi on lui faisait pas de nouvelles robes la réponse de la mère a été ceci:il faut espérer que avant longtemps elle reviendra a la même mesure qu'elle était avant:et voici que d'un jour a l'autre elle a paru dans l'état normal.
Voila Monsieur le Brigadier est ce qu'il vous faut encore des témoignages il me semble que vous en aurez assez avec ceci et méfiez vous parce que c'est des gens qui savent se défendre.
Si comme vous le dites il y a l'égalité des lois pour les uns il en faudrait pour les autres et surtout dans les cas pareil et si vous ne faites pas ce qu'il faut je me ferai l'obligeance d'écrire ailleurs.
Recevez Monsieur le Brigadier mes salutations respectueuses
X...........un père de famille

07/02/1939

 Procès -Verbal de renseignements sur une dénonciation par lettre anonyme Avortement ou accouchement clandestin de Mlle M....... à L....... 

Affaire sans preuves

(....) département des .Pyrénées, revêtus de notre uniforme et conformément aux ordres de nos chefs,en service et procédant à une enquête provoquée par une lettre anonyme  déposée vraisemblablement en gare de L.....Le timbre sec ,mentionnant Saint-Jean-Pied-de-Port Bayonne ,désignant Mlle M  de L .....comme ayant avorté ou accouché clandestinement,avons interrogé verbalement d'abord certaines personnes dignes de foi qui nous ont déclaré que Mlle M...... sortait en effet fréquemment autrefois et que depuis deux mois environ  elle ne quittait pas son domicile  ce qui paraissait bizarre à la population.Nous nous sommes mis en rapport avec l'autorité locale.
Continuant nos investigations nous avons recueilli les déclarations suivantes :
Je me nomme Mme L ,née L   ,55 ans,propriétaire à L,quartier  (épouse de l'ex Maire ).
Je connais très bien la famille M.....qui habite le quartier.La fille  X sortait autrefois fréquemment tant à pied qu'à bicyclette et je la voyais passer presque journellement.Elle avait un caractère très gai et aimait beaucoup sortir.
Depuis quatre mois environ cette fille a cessé subitement ses sorties ce qui a produit une surprise générale des habitants.Les gens chuchotaient qu'elle devait être enceinte et que de ce fait elle n'osait pas se présenter au public.
Je l'ai vue chez elle fin décembre ,elle était assise au coin du feu et m'a paru très forte de poitrine.Mais à ce moment,je n'ai pas supposé qu'elle était dans un état intéressant sa mère m'ayant dit qu'elle n'était pas bien depuis quelque temps.
Il paraîtrait que depuis quelques jours Mlle V....... M........ sort de nouveaux toutefois je ne l'ai pas vue.Des renseignements vous seront fournis dans le voisinage.
Ce n'est pas moi l'auteur de la lettre anonyme dont vous me parlez.
Lecture faite persiste et signe.

Je me nomme Mme M née D....... Catherine ,32 ans propriétaire à L..... quartier    maison   
Nous sommes voisins et même un peu parents de la famille M..... qui habite le même quartier.Je connais très bien le fille .......... dont vous me parlez,autrefois elle sortait fréquemment aux fêtes des environs tant à pied qu'à bicyclette.Elle avait la réputation d'avoir une conduite un peu légère.Il y a environ trois mois cette fille a laissé _sic_de sortir et personne ne la voyait.
La population a été comme moi surprise de ne plus la voir comme autrefois journellement.On avait chuchoté qu'elle pouvait se trouver dans un état intéressant.
Depuis quelques jours cette fille sort de nouveau parait-il,ce qui a fait naître des suspicions dans la commune.
Ce n'est pas moi l'auteur de la lettre anonyme dont vous me parlez.
Lecture faite persiste et signe.

Je me nomme Mme M........,née J........ Mariée,32 ans,propriétaire à L...... maison .......
Il est exact que Mlle V....... M....... a cessé ses sorties fréquentes d'autrefois depuis deux mois environ,les habitants ont été surpris car cette jeune fille avait l'habitude de sortir fréquentant les fêtes et les amusements.
Je ne m'étais jamais aperçu qu'elle fut dans un état anormal,elle est forte et je ne l'ai pas trouvé changée quand je l'ai vue sortir il y a quelques jours.
Il est vrai que je me trouvais à une certaine distance d'elle.Cette jeune fille a parait-il été malade.Je n'ai pas vu le docteur y aller donner des soins.
Ce n'est pas moi l'auteur de la lettre dont vous me parlez.
Lecture faite persiste et signe.

La mise en cause

Je me nomme M....... V..........,25 ans,ménagère demeurant à L...... maison née à Macaye  (B.P) le 7 juillet 1913 fille de Pierre et de Dominica,française,célibataire,sais lire et écrire,élevée chez mes parents avec lesquels je suis toujours restée.
Je suis tombée malade au mois de décembre  dernier étant atteinte d'albumine,j'ai été d'ailleurs soignée à ce sujet par le docteur F  de L .Il est exact que je ne sortais plus à L ou ailleurs étant donné que j'avais pris 18 kilos en peu de temps.
Ma maladie était la cause de cette grosseur.Je ne pouvais porter les effets que j'avais précédemment.
J'avais honte de cette grosseur et n'osais pas me présenter au public.Je n'ai jamais été enceinte et pour le confirmer,je vais me faire visiter par un docteur et je vous remettrai le certificat médical.
Je sors de nouveau depuis quelques jours car j'ai perdu quelques kilogrammes et je m'aperçois que ça va de mieux en mieux.On avait dit à ma mère que les gens me suspectaient et parlaient de mon état de grossesse disant que j'étais enceinte.L'effet de la maladie comme je vous l'ai dit m'avait en effet rendue anormale.
Lecture faite persiste et signe.

Le père et la mère de l’intéressée étant absents pour la journée n'ont pu être entendus.



Le huit février 1939 à huit heures continuant notre enquête avons reçu les déclarations suivantes:
Je me nomme M......  V.......,25 ans ,ménagère à L (B.P.)
Je me suis rendue hier dans la soirée auprès du docteur F  Maire de L pour me faire visiter et me faire délivrer un certificat médical  afin de prouver si possible que je n'ai pas provoqué un avortement et que je n'ai jamais accouché .Mr F...... m'a auscultée mais s'est refusée à délivrer un certificat médical étant lié par le secret médical.
J'ai été prise à partie par la rumeur publique qui m' a désignée faussement et par méchanceté comme m'étant livré à des manœuvres abortives,ou comme ayant accouché clandestinement.J'ai la conscience tranquille et si j'avais cessé de sortir s'était uniquement parce que je souffrais d'albumine et que j'avais grossi dans des proportions inquiétantes.
Si la science médicale est capable de constater que j'ai pu avorter ou accoucher ,je ne demande pas mieux que de me laisser visiter.
Je suis encore d'ailleurs très forte,malgré que j'ai perdu quelques kilos en suivant mon traitement .Comme je vous l'ai déjà dit je n'ai jamais jamais fréquenté de jeunes gens et si je fréquentais les fêtes s'était pour m'amuser honnêtement et d'ailleurs je n'ai jamais eu de relations avec qui que ce soit.
Lecture faite persiste et signe.


                 La mère de la mise en cause 


Je me nomme Épouse M....... née O........,Dominica 60 ans ménagère à L....... (B.P.)
J'ai été navrée en apprenant que ma fille était  soupçonnée d'avoir soit avorté soit accouché clandestinement..Je puis vous affirmer que ma fille est honnête et que les soupçons portés sur elle sont faux.
Elle avait en effet beaucoup grossi dans l'espace de deux mois étant atteinte d'albumine.Elle avait d'ailleurs été soignée  pour cela par le docteur de L.,elle ne sortait plus pendant ce temps,car elle souffrait et les effets ne lui allaient plus.Je voudrais bien connaître l'auteur de la lettre anonyme que vous avez reçue.
Lecture faite persiste et signe.
 

Je me nomme F..... J....... ,41 ans,Docteur ,Maire de la commune de  L...... (B.P.)
Étant le médecin de la famille M........,je suis lié par le secret professionnel  et ne puis faire aucune déclaration.
Cette famille est honorablement connue et la jeune fille dont vous me parlez n'a jamais fait l'objet de critique.
Lecture faite persiste et signe.

Il semble qu'il y ait une certaine haine de la part de certaine personnes de L....... à l'encontre de la famille M......... qui par son travail a réussi à se procurer une situation aisée et laquelle profite de ce bien-être.
Mlle M....... parait encore très robuste et présente un physique qui ne semble pas avoir souffert par suite d'avortement ni accouchement.
Cette fille ne demande pas mieux que de subir des visites médicales si la science est capable de déterminer son état.
Il n'a pas été possible de découvrir l'auteur de la lettre anonyme que nous joignons à la 1re expédition du présent.
Au cas ,ou des nouveaux éclaircissements  parviendraient à notre connaissance  au sujet de cette affaire,ils feront l'objet  d'un procès-verbal adressé aux mêmes autorités
La 1re à M.le Procureur de la République à Bayonne
La 2me à nos chefs


Pour aller plus loin 

délais de communicabilité des archives publiques (AD 66)

Sur e-Archives le 64 :
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