Quelques heures avant l'ordre de mobilisation générale d'août 1914 ,le docteur Elosu,qu'accompagnent Cazade,Dupont et Brion ,distribuent place de la Liberté à Bayonne,un tract.
Les archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine et les archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, ont conservé un exemplaire de ce tract ainsi que le rapport du commissaire de police de Bayonne.
Archive consultable en salle de lecture du
Pôle de Bayonne et du Pays Basque (AD 64)
Cote:E Dépôt Bayonne 4 H Art 4
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Pour la Paix!Contre la guerre !
APPEL AU PEUPLE
Parce que l'archiduc d'Autriche,victime du patriotisme serbe exaspéré,a payé de sa vie la brutale annexion de la Bosnie-Herégovine,est-il nécessaire,est-il juste,est-il humain que la plus horrible des guerres couvre l'Europe entière de cadavres amoncelés?
La ruine,la dévastation,le carnage vont faire de la frontière serbo-autrichienne une terre de désolation et de deuil.Dans ces pays lointains,deux peuples,liés jusqu'ici,à défaut d'affinités de races et de communauté de pensées,par des rapports de voisinage et de sociabilité se disposent à s'entretuer dans un esprit aveugle de vengeance.L'opinion générale est unanime à réprouver l'agression du plus faible par le plus fort.Au nom de la pitié il faut tout faire pour s'interposer et séparer les armées en présence.
Mais les gouvernements,vraiment dignes de ce nom,réellement soucieux des intérêts et de la vie même de leurs peuples,ont le devoir impérieux de localiser le conflit et d’empêcher une conflagration générale.Il est impossible qu'ils ne parviennent pas à trouver,dans la conscience de leur responsabilité,des accents capables d'émouvoir et de toucher au cœur l'Autriche et la Serbie,de démontrer à ces deux États,emportés par la colère,l'inanité et la barbarie suprême des boucheries sans fin.
Il serait fou,il serait criminel,de lancer les uns contre les autres des multitudes irresponsables,dans tous les coins de l'Europe,parce que deux nations privées de raison se battent au mépris de toute civilisation..Les morts couchés,innombrables,sur les terres de France et d'Allemagne,rendraient-ils le souffle et la vie aux cadavres dès longtemps froids des champs de Bataille serbes ?Le deuil déchirant des mères russes et françaises ferait-il moins profond le chagrin mortel des mères autrichiennes.
Les meurtres sont impuissants à calmer les fureurs des conflits.Seules les bêtes sauvages s'affolent à l'odeur du carnage et noient le sang dans le sang.
Peuples civilisés !
Dressez-vous et criez à vos gouvernements votre volonté de paix et votre horreur de la guerre!Vous savez l'inutilité des luttes insensées ou vainqueurs et vaincus payent un égal tribut à la misère,à la maladie et à la mort.Vous prévoyez la ruine immédiate d'une vaste partie du monde où toute vie économique ,commerciale et industrielle est suspendue.Vous vous imaginez l'agonie lente mais sure des enfants,des vieillards et des femmes mourant de privations dans les foyers déserts.Non,il ne faut pas que l'Europe devienne un immense champ de carnage où par-dessus le bruit des combats,féroces,s'élèvent les appels désespérés des blessés pantelants et restés sans secours,les râles douloureux des agonies atroces sans consolation !Il ne faut pas que la peste,le choléra et le typhus,décimant les armées faméliques et harassées,emportent ceux que la bataille aura épargnés!Il ne faut pas que les plaines sans fin,où bruisse la moisson féconde,se changent en un lugubre charnier éclairé par les lueurs rouges de l'incendie.
Mères,femmes,levez-vous et défendez contre la mort hideuse la chair de votre chair,le fruit l'objet de vos amours.Que vos clameurs de souffrance et de colère couvrent le cliquetis des armes fratricides.
Pères,époux n'abandonnez pas vos femmes,vos vieillards et vos enfants aux tortures du malheur,aux affres de la faim,pour courir,drapeau obscur,aux abattoirs sans gloire.
Travailleurs,
Si
les classes bourgeoises défaillent à leur devoir et laissent se
déchainer les instincts sanguinaires,soyez les défenseurs du droit et de
la fraternité.Sans votre consentement,l’œuvre de ruine et de
destruction est impossible.
Prolétaires !Debout!Tous ce soir
à 9 heures,place de la Course ,à Saint-Esprit,au
MEETING CONTRE LA GUERRE !
organisé par la Bourse du Travail de Bayonne.
Extrait du tract consultable en salle de lecture du
Pôle de Bayonne et du Pays Basque (AD 64)
Cote:E Dépôt Bayonne 4 H Art 4 |
Ville de Bayonne (Basses-Pyrénées)
Commissariat central de police
N°386
Rapport
Le Commissaire Central de Police à Monsieur le Directeur de la Sûreté Générale
Objet:Manifestations patriotiques à Bayonne
J'ai l'honneur de vous rendre compte que hier soir jeudi 30 juillet courant,vers sept heures,place de la Liberté,Mr le Docteur Elosu,très connu ici,pour ses idées antimilitaristes,distribuait avec l'aide de trois ou quatre affiliés à la Bourse du travail,des prospectus annonçant pour le soir,neuf heures,place de la Course,un meeting contre la guerre,lorsqu'il a été vivement pris à partie par de nombreux protestataires lui reprochant son attitude antipatriotique.Ses compagnons Cazade,Dupont et Brion,qui se trouvaient non loin de lui,voulurent prendre sa défense,mais un rassemblement considérable se forma aussitôt qui ne tarda pas à prendre l'allure d'une manifestation patriotique au cours de laquelle Elosu et ses trois ou quatre acolytes furent bousculés par la foule,ce qui les obligea à se retirer,poursuivis,hués et malmenés.
Informé de ce se passait,je me suis posté au milieu des manifestants,et suis parvenu,avec l'aide de quelques agents,à dégager les dits Cazade,Dupont,et Brion auxquels la foule menaçait de faire un mauvais parti,et pour les protéger contre des violences je les ai fait emmener au poste où ils sont restés une heure.
Pendant ce temps,un ami hélait un fiacre voisin,y faisait monter rapidement le docteur Elosu qui s'éloignait ainsi vivement.Par ce moyen,la foule ne trouvant plus contre qui protester,se dispersa lentement.Cette première manifestation fut provoquée par l'attitude arrogante du docteur Elosu,qui aurait répondu grossièrement aux observations des passants et aurait crié :vive l'Allemagne !mais ce fait n'a pas encore été établi d'une manière certaine.
Lorsque j'ai compris que la foule s'était calmé et ses rangs suffisamment éclaircies,j'ai vivement insisté auprès des trois antimilitaristes sus nommés,les engageant à ne pas donner suite à leur projet de meeting ,leur faisant entrevoir les conséquences graves qu'il pourrait amener,la nuit,en raison de la surexcitation des esprits.Puis je les ai fait sortir par une porte dérobée,après avoir obtenu d'eux la promesse qu'ils se rendaient immédiatement chez le docteur Elosu,principal promoteur de la réunion,afin que celle-ci n'ait pas lieu.
A neuf heures du soir Monsieur Garat,Maire Député de Bayonne,et moi,nous sommes rendus Place de la Course,pour parer à toute éventualité et après une attente de 20 minutes,nous avons constaté que la réunion annoncée n'avait pas lieu.Un moment après,nous étant rendus Place d'Armes où la musique du 49e donnait son concert habituel,nous avons remarqué la présence d'une foule inusitée.A un moment donné celle-ci ayant réclamé la Marseillaise et le Chant du départ,ces deux morceaux de musique ont été joués par les militaires et écoutés tête nue par les assistants qui ont applaudi vigoureusement.Pendant ce temps une colonne de 200 jeunes gens qui s'était formée aux abords du lieu où devait se tenir la conférence,s'est rendue devant les Consulats d'Angleterre et de Russie où elle a chanté la Marseillaise.Je dois dire ici qu'un moment auparavant un groupe bien moins important toutefois,s'était rendu rue Victor Hugo devant le domicile du docteur Elosu pour l'acclamer et chanter l'Internationale ,mais la première colonne étant parvenue en chantant la Marseillaise a conspué le docteur déjà nommé,ce qui a occasionné une courte bagarre au cours de laquelle quelques coups de poing auraient été échangés.
En somme soirée animée,mouvementée ayant donné l'impression que l'immense majorité de la population est imbue de sentiments patriotiques,mais qui n'a donné lieu à aucun incident grave ayant nécessité autrement l'intervention de la Police.
A onze heures du soir la ville avait repris son aspect habituel et la tranquillité ordinaire.
Bayonne le 30 juillet 1914
Le Commissaire Central
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Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques
Le rapport du commissaire de police destiné au maire de Bayonne ,déposé aux AD 64, comporte de légères variations par rapport au document conservé aux Archives nationales.