Circulaire
Paris,le 18 mars 1916
Le Garde des Sceaux,Ministre de la Justice,
A Messieurs les Procureurs généraux près les Cours
d’appel,
J'ai pu constater à diverses reprises, et notamment depuis
le commencement de la guerre,que les déclarations de reconnaissance d'enfants
naturels ont été reçues par les officiers de l'état civil dans des conditions
irrégulières.
Le Code civil n'ayant subordonné la rédaction de l'acte de
reconnaissance à aucune production de pièces ni justification d'identité ou d'état civil,il
arrive que des reconnaissances ont lieu de la part de déclarants sans qualité
et notamment de personnes engagées dans les liens d'un mariage ou dont le
mariage a été dissous, soit par le décès du conjoint, soit par le divorce,
depuis un laps de temps légalement insuffisant.
Bien qu’entachées de nullité, les reconnaissances reçues dans
de pareilles conditions ne peuvent tomber que par l'effet d'un jugement.Elles sont
donc susceptibles de donner lieu à des procès souvent difficiles, toujours
scandaleux, qu'il importe de prévenir.
Dans ce but ,et tout en évitant d'apporter la moindre
restriction aux facilités dont le législateur a voulu faire bénéficier la
reconnaissance des enfants naturels,je crois nécessaire de rappeler aux
officiers de l'état civil qu'ils ne doivent négliger aucune précaution pour
s'assurer que la personne qui déclare reconnaître un enfant a qualité pour le
faire et que l'enfant, de son côté, peut être l'objet d'une reconnaissance
valable. Sans aller jusqu'à exiger de l'intéressé des justifications écrites
que la loi n'a pas prévues,ils devront provoquer de sa part une déclaration
formelle que ni lui ni l'enfant ne se trouvent dans des conditions telles
telles que la validité de la
reconnaissance puisse être ultérieurement contestée.
Pour faciliter aux officiers de l'état civil l'examen des
situations susceptibles de leur être révélées et sans revenir sur les dispositions relatives à
la légitimation par mariage des
enfants naturels et adultérins qui est
soumise à des règles spéciales analysées dans ma circulaire du 13 janvier 1915,
je vous prie d'appeler leur attention sur les principales difficultés
auxquelles peut donner lieu, de la part des déclarants,une reconnaissance
d'enfant naturel.
Il échet,tout d'abord, de ne pas perdre de vue que la reconnaissance
des enfants adultérins demeure en
principe interdite, sauf lorsqu'elle intervient en vue d'une légitimation, au
moment de la célébration du mariage et dans l'un des cas prévus par la loi du
30 décembre 1915.
Il suit de là que la reconnaissance pure et simple d'un
enfant naturel ne peut être admise que sous les deux conditions suivantes :
1° l'enfant ne doit pas être couvert par une présomption
quelconque de légitimité.( On remarquera toutefois que si la conception se
plaçait à une date et dans des circonstances telles que cette présomption de
légitimité serait éventuellement susceptible d'être combattue par un désaveu,
l'enfant pourrait, dans certaines hypothèses analysées dans ma circulaire
précitée, relative à la légitimation des enfants adultérins,être l'objet d'une
reconnaissance et d'une légitimation simultanées ; mais,même en pareil cas, une reconnaissance distincte de
la légitimation ne serait pas susceptible d'intervenir ).
2°La conception de l'enfant doit pouvoir se placer à une
date où l'auteur de la reconnaissance n'était
pas engagé dans les liens d'un mariage.(Il va sans dire, encore à cet
égard, que s'il s'agissait d'une reconnaissance liée à la légitimation,il y
aurait lieu de se reporter aux
dispositions dont peuvent bénéficier certains enfants adultérins).
L’application de ces principes conduit dans la pratique à
envisager les trois cas suivants :
1° Le père est veuf ou divorcé et la mère est célibataire :
L'enfant peut, dans tous les cas être reconnu par la mère.Il
ne peut l'être par le père que s'il
s'est écoulé plus de cent quatre-vingt jours depuis la dissolution de son mariage,
c'est-à-dire depuis le décès de son conjoint ou la transcription du jugement de
divorce sur les registres de l'état civil ;
2° Le père est célibataire et la mère veuve ou divorcée.
L'enfant ne peut être reconnu, soit par le père, soit par la
mère, que s'il s'est écoulé plus de trois cents jours depuis la dissolution du mariage de la mère,
soit par le décès du conjoint, soit par le divorce ;
3° le père et la mère sont tous deux veufs ou divorcés.
L'enfant ne peut être reconnu ,tant par le père que par la
mère, que s'il s'est écoulé plus de trois cents jours depuis la dissolution du mariage de la mère.
Il faut en outre, pour que le père puisse le reconnaître,qu'il se soit écoulé
plus de cent quatre vingt jours depuis la dissolution de son mariage.
Il va de soi que si le père et la mère sont tous deux célibataires,
aucune difficulté de même nature ne peut se présenter ; L'enfant peut être
reconnu sans condition de délai, par l'un comme par l'autre.
Je vous prie de vouloir bien m'accuser réception des
présentes instructions que vous aurez soin de communiquer aux chefs de parquets
de votre ressort, en les invitant à en donner connaissance aux maires de leur
arrondissement et à tenir la main à leur application.
René VIVIANI.
Source
Préfecture des Basses-Pyrénées
Recueil des actes administratifs
Avril 1916
N°46 État civil._Déclaration de reconnaissance d'enfants naturels
Collection particulière