29 mai 2023

27 ans après « Fort Baudin » ,les cohéritières Bidegaray ont rétrocèdé l’immeuble situé 19 rue Pierre Semard,Paris 9e

Avant la loi du 12 mars 1920,un syndicat professionnel, n’avait pas le droit de posséder un bien immobilier.En 1919,pour contourner cet obstacle juridique,la Fédération Nationale des Travailleurs des Chemins de Fer a recouru à la pratique des prête-noms.C’est ainsi que Marcel Bidegaray secrétaire général ,et son épouse Marie Darmendrail,sont devenus propriétaires d’un immeuble dans le 9 e arrondissement de Paris.Le bâtiment est situé au 19 de la rue Baudin,renommé en octobre 1944,rue Pierre Semard,en hommage au dirigeant communiste et syndicaliste cheminot fusillé par les nazis.Cette situation juridique de prête-noms n’avait rien de secret.Bien au contraire.Elle avait été rapportée en 1921 par la presse lors des péripéties baptisées « Fort Baudin » ;un conflit retentissant qui
a opposé cheminots syndiqués réformistes et révolutionnaires.

Retraité,Marcel Bidegaray s'est retiré à Bayonne.Inquiété à la Libération en raison de son engagement dans une structure  collaborationniste,le Comité Ouvrier de Secours Immédiat,il est passé par le camp de Gurs.Il a été ensuite assigné à résidence à Bidache,où il sera assassiné dans la soirée du 20 décembre 1944.

Quatre ans après ce meurtre dont le mobile demeure inconnu ,une déclaration de succession déposée auprès du bureau de Bayonne de l’enregistrement ,nous révèle que la veuve et sa fille ont rétrocédé l'immeuble du 19 rue Pierre Semard.

 Sommaire

Loi sur l’extension de la capacité civile des syndicats professionnels (12 mars 1920)
Bureau de Bayonne de l'enregistrement (29 décembre 1948)
Sélection d'articles de presse (6 avril 1919-5 aout 1921)
Sources
Billets du blog

Loi sur l’extension de la capacité civile des syndicats professionnels

Journal Officiel de la République française

Dimanche 14 mars 1920 page N°4179

Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Art.1er.Les articles 4,5,6 et 7 de la loi du 21 mars 1884,relative à la création de syndicats professionnels sont modifiés conformément aux dispositions ci-après :

« Art.4 (paragraphes additionnels)._Les femmes mariées exerçant une profession ou un métier peuvent sans l'autorisation de leur mari ,adhérer au syndicat professionnel et participer à leur administration et à leur direction.

Les mineurs âgés de plus de seize ans  peuvent adhérer aux syndicats,sauf opposition de leurs père,mère ou tuteur.Ils ne peuvent participer à l'administration ou à la direction.

Art.5._ Les syndicats professionnels jouissent de la personnalité civile.Ils ont droit d’ester en justice et d'acquérir sans autorisation, à titre gratuit ou à titre onéreux,des biens ,meubles ou immeubles.

Ils peuvent,devant toutes les juridictions,exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant préjudice direct ou indirect de l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.

Ils peuvent, en outre en se conformant aux autres dispositions des lois en vigueur, constituer entre leurs membres des caisses spéciales de secours mutuels et de retraites.

Ils peuvent,en outre, affecter une partie de leurs ressources à la création d'habitations à bon marché et à l'acquisition de terrains pour jardins ouvriers, éducation physique et hygiène.

(...) 

Fait à Paris,le 12 mars 1920

P.DESCHANEL

Par le Président de la République

Le ministre du travail

JOURDAIN

Le garde des sceaux,ministre de la justice,

LHOPITEAU

Bureau de Bayonne de l’enregistrement

29 décembre 1948

Madame Marie Darmendrail sans profession veuve de monsieur Marcel Bidegaray (...)

Melle Georgette Pascaline Bidegaray (...)_fille du couple Bidegaray-Darmendrail

(…) A l’actif de la communauté Bidegaray Darmendrail tel qu’il a été déterminé dans la déclaration de succession souscrite après le décès de monsieur Bidegaray au bureau de l’enregistrement de Bayonne sous le numéro 272,le dix neuf juin mil neuf cent quarante cinq (…)

Il y a lieu d’ajouter

Un immeuble situé à Paris ,rue Baudin n°19 (actuellement rue Pierre Semard même numéro) ledit immeuble d’une valeur vénale de deux cent quatre vingt mille francs

(…)

A déduire de cette somme de 280.000 francs due à la Fédération Nationale des Travailleurs Cadres et Techniciens des Chemins de Fer ,Colonies et Pays de Protectorat dont le siège est à Paris dans l’immeuble précité pour le prix d’acquisition de l’immeuble ci-dessus fourni par ladite Fédération,ainsi qu’il résulte de l’attestation  et des documents ci-joints

(..)

Après les mentions signées des déclarantes,l'annotation suivante :

"En réalité,M.Bidegaray ne s'est jamais occupé de l'immeuble,il n'était qu'un prete-nom au moment de l'acquisition

D'ailleurs suivant acte Watin-Angouard,les cohéritières ont rétrocédé purement et simplement cet immeuble."

Signé illisible


Sélection d'articles de presse

 

Information ouvrière et sociale

Dimanche 6 avril 1919

Retronews

Échos

La maison des cheminots

La guerre n'a pas de profiteurs que dans le négoce.les organisations ouvrières ont aussi « profité » de la guerre mais pour un tout autre motif et pour d'autres fins que les mercantis.Les effectifs syndicaux ont grandi au point que les services, les bureaux corporatifs sont obligés de déménager pour se mettre plus à l'aise « dans leurs meubles ».

La Fédération des cheminots dont on connaît l'influence et la force est entraînée dans le mouvement.Elle vient d'acheter pour 400.000 francs un immeuble « qui sera payé le 1 mai 1919 ». Et  c'est bientôt qu'elle quittera la « bicoque » de la rue Amelot pour s'installer au centre de Paris « dans une maison digne de notre puissante organisation », dit la Tribune.

 

La Tribune des Cheminots

Organe de la Fédération Nationale des Travailleurs des Chemins de Fer

36 rue Amelot_Paris

N°40,1 er avril 1919

Pour la Maison des Cheminots

Depuis le congrès de 1918, le Conseil Fédéral et la Commission Exécutive de la Fédération avaient mandat impérieux d'acheter une Maison des Cheminots pour qu'il leur soit possible d'abriter leurs divers services, lesquels ont pris une extension considérable.

Il fallait trouver une maison digne de notre puissante organisation.

Aujourd'hui, nous avons la joie d'annoncer à nos adhérents que la maison est trouvée.

la maison est à nous sur parole, nous avons pris l'engagement d'honneur qu'elle serait payée le 1 mai 1919.

La somme de 400.000 francs doit être trouvée pour cette date.

Il faut que tous les syndiqués ainsi que les syndicats fassent l'effort nécessaire pour tenir l'engagement que nous avons pris.

A l'œuvre les cheminots , un sacrifice de deux francs ne peut vous ruiner et c'est pour vous que vous travaillez.

Bidegaray

Secrétaire Général de la Fédération

Les fonds recueillis dans chaque syndicat seront adressés directement au siège de la fédération 36 rue Amelot Paris.

Source : Institut d'histoire sociale CGT cheminots, collection numérique

Cote 4 C 1/1

http://archives.cheminotcgt.fr/viewer/3650/

 

Le Journal

Samedi 4 juin 1921

Retronews

Les extrémistes occupent la Maison des cheminots

M.Bidegaray les fera expulser

Le Conseil fédéral des cheminots s'est réuni statutairement hier toute la journée à la Maison des cheminots, 19, rue Baudin.La  matinée fut assez calme on se borna de part et d'autre à interpréter différemment les articles 5 et 9 des statuts.Les délégués des deux tendances opposées ne purent se mettre d'accord.Après l'entracte du déjeuner, on discuta à nouveau sur les fameux articles, puis comme il s'agissait d'élire le bureau de la Fédération M.Marcel Bidegaray, secrétaire général déclara qu'il ne se représentait pas, sa politique ayant été mise en minorité au congrès .

Deux motions furent déposées concernant l'élection,l’une de M.Monmousseau réclamant la proportionnelle,l’autre de M.Bruges demandant le respect de l'article 5 des statuts, qui stipule : « Le  conseil fédéral élit le bureau. »

Les deux bureaux

Voici la composition du nouveau bureau de la Fédération des cheminots :MM.Montagne (chef de train à l’Est),secrétaire général ;Toulouse (Midi) et Marchal (Ceinture),secrétaires adjoints ;Rousseau (Etat),trésorier ;Vallet (Nord),trésorier adjoint ;Rauch (Est),archiviste ;Guillory (P.-L.-M.),gérant du journal.

Ces nouveaux élus majoritaires sont tous des cheminots en activité de service.Ils ont été élus par 30 voix contre 23 abstentions (les voix des extrémistes) et quatre absents.

Lorsque la séance fut levée, vers 06 heures, les extrémistes se réunirent isolément et procédèrent à l'élection de leur bureau, qui est ainsi composé :MM.Ducoeur (Nord),secrétaire général ;Chaverot (Paris P.-L.-M) et Semard (Valence),secrétaires adjoints ;Dejonckère (Saintes),trésorier.

Les  délégués majoritaires s’en furent  par petits groupes, et les extrémistes, trop heureux de les voir abandonner la place et de ne pas être obligés de prendre la maison d'assaut,s’y  installèrent en maitre.Il ne leur suffisait pas d'avoir l'immeuble ,mais les archives et la caisse surtout avaient une grande importance.Comment, en effet, organiser la propagande sans les fonds nécessaires ?Aussi,i décidèrent-ils de forcer M.Bidegaray à les leur livrer sur le champ.Il s'y refusa énergiquement et  fut entouré par une quinzaine de cheminots menaçants.Son calme et aussi ses arguments les impressionnèrent et ils le laissèrent rejoindre ses amis dans un petit café du square Montholon où se tenaient nombreux militants de la C.G.T.

A qui la caisse ?

M.Bidegaray, respectant  les statuts, ne veut livrer les archives et la caisse qu’aux membres  du conseil élus régulièrement et en présence des membres de la commission de contrôle.

Les extrémistes en attendant occupent la Maison des cheminots.Ils ont décidé d'y laisser des plantons et des membres de leur bureau en permanence.Ils  ont demandé à M.Bidegaray de revenir ce matin, mais l'ex secrétaire général a répondu :

« Je suis fatigué.Samedi, je fais la semaine anglaise ; dimanche, repos dominical.Je ne reviendrai pas avant lundi. »

Que vont faire les nouveaux maîtres ? Forcer les serrures des armoires et défoncer le coffre-fort ?Peine perdue.Jeudi soir,deux militants ont mis les pièces comptables et la caisse en lieu sûr .Quant  à la Maison des cheminots, elle est officiellement la propriété de M.Bidegaray.On voit que le coup de force à la mode de Moscou avait été prévu.De sorte que si lundi les extrémistes ne se décident pas à quitter de bon gré la maison de la rue  Baudin,M.Bidegaray, qui n'est plus secrétaire général mais qui reste propriétaire aura le droit de faire expulser M.Monmousseau et ses amis. Nous croyons que les choses pourront aller jusque-là, parce que ce sont les amis de M.Bidegaray eux-mêmes qui nous ont affirmé qu'ils répondraient à l'illégalité par le droit appuyé sur la force en cas de besoin.

 

Le Journal

Mercredi 8 juin 1921

Page une

Retronews

Mon film

BIDEGARAY._J’ai la caisse,je la garde.

MONMOUSSEAU._A moi,le coffre-fort !

BIDEGARAY._La maison est à moi,c’est à vous d’en sortir.

MONMOUSSEAU._J’y suis,j’y reste !

BIDEGARAY._Je vais chercher l’huissier,le commissaire,les gendarmes !

Il est amusant de voir le camarade Bidegaray revendiquer ses droits de « sale proprio » et le camarade Monmousseau me parait vraiment drôle en Mac-Mahon de la Sociale.

Au point de vue Bourgeois,Bidegaray a peut-être raison.Mais au point de vue révolutionnaire Monmousseau est dans le vrai.Et je le trouve bon de chercher à justifier sa présence dans le fort Baudin en disant :

_ Je représente la majorité

Quand on est communiste, on se fiche de la majorité, de la boîte à bulletins de vote et de l'arithmétique électorale.A la place de Monmousseau je déclarerai tout simplement en me carrant dans le fauteuil,tournant comme une girouette, de la rue Baudin :

_J’ai fait mon petit grand soir …Je suis ici de par ma volonté et celle de quelques camarades costauds et décidés et l'on ne m'en chassera même pas par la force des baïonnettes.Depuis quand les révolutionnaires discutent-ils avec ceux qu'ils sont dépossédés ?

C’est surtout pour eux que l’aphorisme est vrai : »Possession vaut titre ». Est-ce que Lénine raisonne avec ses adversaires ?Le droit,la légalité,la justice même,tout cela n’existe plus devant ce fait :la Révolution.Car la Révolution,ça consiste précisément à créer une légalité,une justice nouvelles.

Voilà ce que ce partisan de la dictature devrait répliquer aux arguments de Bidegaray.Il devrait même faire empoigner celui-ci par quelques gardes rouges et ordonner sans plus d’histoires :

_Pendez-le !...

Mais quoi qu'il arrive, le camarade Monmousseau ne se maintiendra pas longtemps dans le fort Baudin.

Ou il sera vaincu par une contre-révolution menée par Bidegaray avec les forces que lui prêtera la société bourgeoise, cette bonne fille, ou il sera emporté à son tour ,par une vague surextrémiste.Car  les doctrines révolutionnaires, comme d'ailleurs les doctrines réactionnaires, ont ceci de curieux qu'on n’en peut trouver le bout : les « extrémistes » et les « ultras » forment deux chaînes qui se prolongent parallèlement dans l'infini, à moins qu'elles ne se rejoignent à un certain moment.

Monmousseau,ayant prospéré à l’ombre du fameux coffre-fort,étant devenu loup gras,verra surgir devant lui des minoritaires ambitieux….Ces loups maigres l’accuseront d’être un modéré,un réformiste,ils lui reprocheront de vivre dans un bureau confortable,d’avoir les mains blanches,de jouer au patron au milieu des dactylos et ils le flanqueront dehors…

Après quoi,la dépouille de Monmousseau ira rejoindre celle de Bidegaray et de bien d’autres dans le mystérieux et tragique cabinet de Mme Barbe-Rouge.

CLEMENT VAUTEL.

 

 Page 3

Le conflit des cheminots

L’huissier entre en scène

Journée calme hier dans le secteur du fort Baudin.Les adversaires ont simplement échangé à grande distance deux communiqués  sans résultat.Le soir,M.Monmousseau et ses amis occupaient toujours le bel hôtel particulier à cinq étages et tout fraîchement recrépi qui est devenu la Maison des cheminots ,et vraiment ils ne semblaient pas décider à en sortir de bon gré.

« Nous avons la légalité et les statuts pour nous déclarait de son côté à ce moment,M.Bidegaray,ex secrétaire général de la Fédération,mais porte-parole autorisé du bureau numéro un, le bureau de la tendance réformiste.Cette situation ne peut se prolonger.Si  les moyens de conciliation que nous allons encore tenter échouent, nous recourrons à la justice bourgeoise pour rentrer en possession de notre maison et redonner à notre fédération sa vie normale. »

C’est l’heure du commissaire qui approche !...Excipant de sa qualité de propriétaire,M.Bidegaray a rendu visite hier à huissier et l’a chargé d'agir et d'instrumenter ,avec ménagement certes, mais quand même, aussi énergiquement que les circonstances le nécessiteront.L’offensive  est donc bien déclenchée contre les occupants du fort Baudin !...Quel délai lui faudra-t-il pour atteindre son objectif ?...Cela dépend maintenant des complications procédurières qui peuvent surgir.

De nombreuses protestations de sympathie et d’encouragement sont arrivées hier des syndicats cheminots de province à l’adresse du bureau réformiste.Il est vrai que le bureau extrémiste affirme en avoir reçu tout autant.(…)

 

La Vie Ouvrière

Vendredi 10 juin 1921

Retronews

L’Empereur Bidegaray en route pour Ste-Hélène

 

L’Echo de Paris

Dimanche 12 juin 1921

Retronews

Pris par les majoritaires le « Fort Baudin » est repris par les extrémistes

Hier matin,au petit jour,M.Bidegaray,accompagné d’une trentaine de partisans,a poussé une offensive brusquée rue Baudin et repris,par surprise,possession de l’immeuble.

Se doutant avec juste raison que la surveillance des gardes communistes ne tarderait pas  à se relâcher un peu,M.Bidegaray et ses amis les « dissidents » arrivèrent en automobiles vers quatre heures du matin,et eurent le soin de faire arrêter les voitures à quelque distance de l'immeuble pour ne pas attirer l'attention.

Puis la bande s'engouffra sous le porche, l'ancien secrétaire général de la Fédération en tête.

La concierge réveillée immédiatement, ne put refuser au « propriétaire » les clefs que celui-ci lui réclamait.Muni du précieux trousseau,M.Bidegaray se dirigea, non vers la porte principale, mais vers une porte de côté, l'ouvrit avec précaution et fit irruption avec ses amis dans le bureau du rez-de-chaussée,où sommeillaient deux « gardes rouges ». En chemise,ceux-ci reçurent les envahisseurs et , sentant impossible toute résistance, dirent : »Camarade ! » mot qu’au surplus les  syndiqués profèrent assez volontiers…. Un instant après il se retrouvaient sur le trottoir de la rue Baudin,avant même d'être revenus de leur surprise.Un troisième communiste,trouvé somnolent aussi au premier étage ,ne tarda pas à les rejoindre. M.Bidegaray procéda ensuite à un inventaire complet, transmit ses pouvoirs de secrétaire général à son successeur M.Montagne et répondit même à un coup de téléphone ou on avertissait le vigilant gardien Chaverot « que ceux de Bidegaray » tramaient  quelque chose !Puis ayant fait barricader toutes les portes, sauf celle donnant sur l'escalier de la cave et par laquelle il sortit ,M.Bidegaray s’en fut,les mains dans les poches, en fumant avec une évidente satisfaction sa « bouffarde légendaire ».

Les Communistes rentrent dans la place

Mais dans l’après-midi,les « monmoussistes »,qui n’avaient point abandonné leurs prétentions,ont repris possession de l'immeuble en y pénétrant par la seule porte que M.Bidegaray avait négligé de clore ,celle de la cave !

Y resteront ils ?

La trêve de la semaine anglaise est là, opportune.M.Monmousseau ,frappé par un deuil cruel, est tout à sa douleur quand à M.Bidegaray ,il est allé demander à la campagne quelques heures de fraîcheur apaisante.

On apprend,d’ailleurs,que les « réformistes »,pour éviter à la C.G.T des représailles de la part des extrémistes,ont décidé de quitter l’immeuble de la rue Lafayette où ils s’étaient provisoirement installés.

Ils renonceraient même à tout retour dans le « fort » Baudin où M.Bidegaray n’a pénétré que pour recouvrer des documents et des dossiers.Il a ensuite fermé la maison et « monmoussistes » en y entrant hier après-midi ont donc commis le délit nettement caractérisé de violation de domicile.

Et c’est à l’huissier,à la loi,à la « justice bourgeoise » enfin que M.Bidegaray et les siens comptent en appeler.

Le G.Q.G bolchevik a rédigé hier soir le communiqué officiel suivant où il rend compte des événements de la journée M.Bidegaray, suprême injure,y est appelé « monsieur ! »

Cette nuit ,entre 3 et 4 heures,une bande d’individus sous la conduite de « Monsieur » Bidegaray s’est introduite dans l’immeuble de la Fédération des cheminots,rue Baudin,et s’est livrée à des violences sur les occupants,qu’elle a immobilisés et volés.Cette bande qui d'après le communiqué officiel de la préfecture était composée de 50 noctambules suspects,avait à sa disposition cinq taxis.Elle s’est livrée à un déménagement en règle :machines à écrire,documents corporatifs,titres,finances, papiers et correspondance,_vraisemblablement compromettante, intéressant la gestion passée,tout a été soustrait.

À 07 heures du matin cette opération, que nous laissons à tous les honnêtes gens en général et aux cheminots en particulier le soin de juger, était terminée.Malgré les mesures prises par M.Bidegaray   qui,en la circonstance s’est révélé  comme un professionnel de haute envergure,les  membres de la Fédération réintégraient le domicile et reprenaient  à l’heure habituelle leurs occupations régulières, après s’être livrés toutefois à un inventaire imposé par les circonstances.Cependant, si le travail   syndical et corporatif continue à la Fédération, nul ne se montrera étonné que, dans l'avenir, en vue d'éviter le retour de pareils procédés certaines dispositions et précautions soient  prises.

AVIS AUX INTÉRESSÉS !

La dernière phrase est, évidemment ,menaçante.Il est à souhaiter que les adversaires continuent de se bombarder que de mots.

 

La Libre Parole

Dimanche 12 juin 1921

Retronews

Page 3

Le raid Bidegarray sur le fort Monmousseau

« L’empereur des cheminots »,tout comme un vulgaire monarque détrôné,a fait une randonnée sur le fort Baudin tenu par le « dictateur » Monmousseau.

Vers le matin de samedi, à l'heure où les sentinelles de l'armée rouge éprouvaient la lassitude (bien connue des combattants de plus glorieux fronts) qui précède le lever du soleil ,Bidegarray ,suivi d'une vingtaine d'amis, arrivés en cinq taxis, pénétra au 19 de la rue Baudin et sans coup férir,prit  possession de l'immeuble en propriétaire… qu'il est.

Le camarade Chaverot ,secrétaire adjoint du bureau moscovite, était endormi.Réveillé par le bruit, il se précipita vers les envahisseurs.

_Je suis ici par la volonté syndicale et je n'en sortirai que par la force.

_Oui,mon vieux,ça va,répliqua Bidegarray ,narquois.On va te « sortir » sans douleur.

Et pendant que l'on surveillait les trois gardiens pour qu'ils ne puissent donner l'alerte, le bureau des anciens majoritaires procédait à un rapide inventaire.

Il ne constata aucun dégât, rien ne manquait aux archives ; alors, dans la forme d'usage,Bidegarray  procéda à la remise de ses pouvoirs de secrétaire général à son successeur Montagne ; et, après avoir libéré ses prisonniers, il s'en alla en fermant les portes mais non sans avoir enlevé toutes les archives.

Quelques heures plus tard , les extrémistes pénétraient de nouveau par effraction dans l'immeuble vide.

Dans ce cas « monsieur » Bidegarray,comme dit maintenant Monmousseau,pourra faire intervenir la justice bourgeoise.

C’est le roman-ciné dans le syndicalisme !

Adolphe Théry

Observation du blog :l’auteur de l’article a orthographié Bidegaray avec deux r.

 

La Presse

Dimanche 12 juin 1921

Retronews

Page une

La Bataille pour le Fort Baudin

Par crainte d’un retour offensif de l’ennemi

Les Communistes se barricadent !

Les amis de M.Monmousseau ont passé la matinée à se barricader dans l'hôtel de la rue Baudin.

Toutes les principales serrures de l'immeuble ont été changées afin que M.Bidegaray ne puisse pas s'introduire de nouveau par surprise dans la place.

La défense communiste

La garde rouge a été fortement renforcée et des provisions ont été emmagasinées pour parer  à toute éventualité .C’est M.Dejonkère, trésorier,qui, en l’absence de M.Monmousseau a pris le commandement des forces communistes.

Un laissez-passer,délivré par M.Semard,le secrétaire extrémiste, est nécessaire pour pénétrer dans les bureaux.

Au moindre mouvement sur la rue,un guetteur dont le poste d'observation se trouve à l'une des fenêtres du 4e étage, a pour consigne de donner l'alerte.

On attend l’huissier

Des confrères, venus aux nouvelles ,ont été pris ce matin pour un huissier et un commissaire de police.

Tandis qu'ils frappaient à la porte, ils entendirent ,en effet, l'un des gardiens conseiller au portier de ne pas ouvrir .

_ « N’ouvre pas, disait-il,c’est l’huissier et le commissaire de police qui viennent pour nous expulser !  »n

Nos confrères les rassurèrent.Mais la porte resta close.

_Toutes les précautions sont prises,nous a déclaré un communiste, pour que M.Bidegaray  ne puisse pas renouveler son équipée d'hier.

Nous saurons nous défendre nous-mêmes sans avoir recours à la justice bourgeoise.

M.Bidegaray s'est emparé de nombreux dossiers qui nous étaient nécessaires pour notre recrutement.Mais il n'a pu dénicher les douze mille francs que nous sommes parvenus à recueillir en quelques jours grâce à notre souscription.

Tactique réformiste

Les réformistes paraissent n’attacher,pour l'instant, aucune importance à l'occupation de l'immeuble par M. Monmousseau.

M.Bidegaray secondé par M.Flancette,conseiller municipal, c'est borné jusqu'ici à entreprendre les démarches en vue de faire reconnaître officiellement le nouveau bureau fédéral réformiste, ce qui lui permettra d'avoir recours à tous les moyens de droit  pour recouvrer loyalement l'hôtel.

 

L’Ere nouvelle

Mercredi 29 juin 1921

Retronews

Chez les cheminots

M.Bidegaray assigne les « occupants » de la rue Baudin

Les choses devaient en venir là et quelques répugnances que M.Bidegaray ait eu en arriver à cette extrémité, il a assigné  lundi MM.Dejonkère,Chaverot,Monmousseau,Sémart,Laccarère  à comparaître le jeudi 3 juin,à 2 h de relevée, devant le président du tribunal statuant en référé.

Voici les motifs de l'assignation

A Monsieur le Président du Tribunal civil de la Seine

Monsieur Marcel Bidegaray,et Madame Marie-Louise Darmendrail,son épouse,de lui assistée et autorisée, demeurant ensemble à Paris, 49 rue du Château.

Ayant Me Depaux-Dumesnil pour avoué,

Ont l’honneur de vous exposer :

Qu’ils sont propriétaires d'un immeuble sis à Paris, 19, rue Baudin (9e arrondissement)

Qu’à la date du samedi 11 juin 1921, un certain nombre d'individus parmi lesquels les nommés Dejonckère,Chaverot,Sémart,Monmousseau,Laccarère,se sont introduits par effraction dans ledit immeuble, en pénétrant par les caves et en fracturant divers portes et serrures.

Que depuis ils  occupent la maison avec diverses personnes et semble s'y être installés à demeure.

Qu’il y a la plus grande urgence à faire cesser cet état de choses.

Pourquoi  les exposants requièrent qu'il vous plaise, Monsieur le Président, les autoriser à faire assigner :1°M.Dejonckère ; 2°M.Chaverot ;3°Sémart ;4°M.Monmousseau et 5°M.Laccarère  à comparaître à tels jour et heure qu'il vous plaira d'indiquer, vu l'extrême urgence, par devant vous en votre cabinet, statuant en référé

Suit l'assignation en bonne et due forme.

 

Le Gaulois

Vendredi 5 août 1921

Retronews

L’expulsion des cheminots communistes

La fin du fort Baudin_Lacarrière,Chaverot et Sigrand protestent et s’en vont.

Le Fort Baudin n’est plus…La justice Bourgeoise et la police bourgeoise ,agissant à la requête des syndicalistes du groupe Bidegarray,ont expulsé hier les syndicalistes extrémistes du groupe Monmousseau. Au nom de la société,l'ordre est rentré dans cette maison, où la fraction modérée va pouvoir, au lieu et place des usurpateurs, reprendre son œuvre de désorganisation sociale.La société bourgeoise est au fond bonne fille.

L’opération s'est passée le plus gentiment du monde : malgré le déploiement impressionnant des forces policières, tout s'est ramené à l'exécution d'une formalité.Les extrémistes, grands chambardeurs de réunions publiques, ont été doux comme des moutons.Quelques  phrases théâtrales renouvelées de l'histoire de la Révolution ont seules apporté à la matinée la note comique.

Comme il est toujours excellent aux yeux des « camarades» et pour la réclame de prendre figure de martyr, une dizaine de syndicalistes, prévenus de l'imminence de l'opération judiciaire, étaient venus au petit jour, renforcer la garnison du fort Baudin, composée seulement ces derniers jours des citoyens Lacarrière,Chaverot et Sigrand.

A dix heures,sur le trottoir de la rue Baudin,des photographes,des opérateurs de cinéma et quelques journalistes sont rassemblés.Nous faisons les cent pas jusqu’à dix heures et demie, heure à laquelle arrivent M.Desbleumortier,administrateur judiciaire,commis par le tribunal pour présider à l'expulsion,et M.Pruvost, commissaire de police du quartier Rochechouart,chargé de l’exécution.

Ainsi que le veut la loi ,M.Desbleumortier pénètre seul tout d'abord dans l'immeuble et signifié aux occupants l'ordonnance de référé qui rend la propriété de la maison à M.Bidegarray ,en tant que secrétaire du syndicat des cheminots.

Les citoyens Lacarrière,Chaverot et Sigrand écoutent sans mot dire la lecture de l'arrêt.Puis,M.Desbleumortier,d'une voix forte, dit :

_Messieurs, en conformité de cette ordonnance, je vous invite à quitter ces lieux.

_Nous ne céderons qu'à la force des baïonnettes, réplique M.Lacarrière,sur un ton que Mirabeau n'eût pas désavoué.

Un magistrat n'a pas le droit de rire dans l'exercice de ses fonctions.M.Desbleumortier garda son sérieux et redescendit dans la rue pour prier M.Pruvost d’agir.

Un signe du commissaire, et deux agents, armés, en guise de baïonnettes, du simple bâton blanc grimpent l'escalier et vont rejoindre le groupe des extrémistes dans la salle du secrétariat général.

Le citoyen Lacarrière  est empoigné et vigoureusement descendu.En arrivant sur le pas de la porte, il aperçoit la foule des curieux que cette scène amuse vivement, et,cambrant sa haute taille  pour les photographes et les opérateurs de cinéma, crie à tue-tête :

_Je proteste énergiquement contre la violence qui nous est faite, au mépris des droits du peuple… Mais il n’achève pas .Il est poussé sur la chaussée et prend le parti de se taire, en attendant les camarades.Deux agents remontent et ramènent le citoyen Chaverot qui, lui aussi, proteste à haute voix ,avant d'aller rejoindre Lacarrière.

Troisième irruption des agents dans le fort, et cinq minutes après apparaît le citoyen Louis Sigrand ,qui gesticule,pérore et et même menace

_Je proteste !Au nom de soixante dix mille cheminots parisiens, je proteste ! La maison n'est pas à Bidegaray !Elle est à nous.S'il ne nous la rend pas,gare à lui.

Une poussée,et Louis Sigrand va retrouver Lacarrière et Chaverot sur la chaussée.

La garnison de renfort ne juge pas utile de prolonger la scène et sort ensuite d’elle-même.

C’est fini.Les cinémas opèrent à tour de bras, et M.Ernest Lafont emmène le groupe des expulsés, à qui il prodigue des paroles d'espérance et de consolation.

Et, tranquillement M.Bidegarray,rentre chez lui, tandis que,deux par deux, les agents de la société bourgeoise allaient et venaient devant la porte de sa maison reconquise

Georges Drouilly 

 

Sources

Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques
Pôle de Bayonne et du Pays basque
Registre de formalité et actes déposés
Mutation par décès
Volume 263,1948
Cote:3 Q 5/1690
1er septembre-31 décembre 1948

 



https://archives.paris.fr 

Archives numérisées > Archives fiscales > Successions > Tables des décès et des successions
(1791-vers 1953)

8 e bureau_9e arrondissement_Table des décès et des successions
Lettre B ,du 1 er janvier 1939 au 31 octobre 1945
Cote DQ8 2775
Vue 155/182 _numéro d'ordre 17_Bidegaray Marcel


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Presse syndicale cheminote : liste des titres



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Suspension du Maire d'Ascain

Avril 1883

Suspension du Maire d'Ascain

Nous,Préfet des Basses-Pyrénées,Chevalier de la Légion d’Honneur,Officier d’Académie,

Vu la loi du 5 mai 1855 ;

Vu les rapports de M.le Sous-Préfet de Bayonne et de M.l’Inspecteur d’Académie desquels il résulte que M.Gracy,maire d’Ascain,a pris dans sa commune l’initiative d’une pétition contre les manuels scolaires, et invité l’instituteur à exclure ces livres de son enseignement, en le menaçant de faire déserter l'école s'il n'était pas fait droit à son injonction ;

Considérant qu'en agissant ainsi M.le Maire d’Ascain n'a pas gardé la réserve que lui imposait sa qualité de représentant du gouvernement et en a méconnu les devoirs,

ARRÊTONS

Art.1er_M.Gracy,maire d'Ascain est suspendu de ses fonctions.

Art.2_M.le Sous-Préfet de Bayonne est chargé de l'exécution du présent arrêté.

Fait à Pau,le 19 avril 1883

P.LAURENS

Mai 1883

Révocation du Maire d’Ascain

Le Président de la République Française,

Sur la proposition du Ministre Secrétaire d'État au département de l'Intérieur,

Vu l'article 2 de la loi du 5 mai 1855 ;

Vu l'article 9 de la loi du 14 avril 1871 ;

DÉCRÈTE :

Art.1er_M.Gracy,Maire de la commune d'Ascain (département des Basses-Pyrénées) est révoqué.

Art.2_Le Ministre de l'Intérieur est chargé de l'exécution du présent décret

Fait à Paris, le 27 avril 1883

Signé :Jules GRÉVY

Par le Président de la République :

Le Ministre de l’Intérieur,

Signé :WALDECK-ROUSSEAU

Pour ampliation :

Pour le Directeur du Secrétariat et de la Comptabilité,

Le Chef du 1 er Bureau du Cabinet

Signé :A.FLEURY

Source :
Pôle d’archives de Bayonne et du Pays basque,
Annexe des Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques
39 Avenue Duvergier de Hauranne,
64100 Bayonne,
Bibliothèque (consultation sur place uniquement)
BIB BAB 1.article 1883
Actes administratifs de la Préfecture des Pyrénées-Atlantiques