Il s'agit du résumé d'une enquête à laquelle j'ai participé .Au départ,une rumeur locale rapportait que pendant la Seconde Guerre mondiale,Bertrand Laurent d'Abbadie d'Ithorots, s'était engagé dans la Milice française.Vrai ou faux,les recherches aux archives départementales des Pyrénées-Atlantiques d'un milicien sous le nom de d'Abbadie n'ont apporté aucune réponse.Le ouï-dire est resté longuement en l'état.Puis,un extrait d'un livre paru à la fin septembre 2017 a relancé la curiosité sur le parcours combattant de ce jeune homme d'Ithorrots.
Le format courrier des lecteurs ne se prête pas à la longueur des explications et aux mentions des sources consultées.À l'inverse,toutes choses possibles dans le cadre d'un blog.
Le livre qui a ranimé les recherches sur
Bertrand Laurent d'Abbadie
À la Libération, le colonel Paul Paillole, responsable du
contre-espionnage français, centralise une liste des personnes soupçonnées d'avoir collaboré avec l'occupant allemand.
Extrait du livre de Dominique Lormier "Les 100 000 collabos"Cherche Midi éditeur |
Ce Bertrand Laurent d’Abadie - avec un b - rendu
visible par Dominique Lormier, correspondrait-il à Bertrand Laurent
d’Abbadie - avec deux b - né le 6 décembre 1923 à Ithorrots (64). S’agit-il d’une erreur de plume dans la transcription du patronyme
ou de deux individus totalement différents ?
Pas la moindre trace d'un éventuel milicien sous le nom de d'Abbadie au Pays Basque, dans le Béarn ou dans les départements
limitrophes.La généalogie en aide à la recherche
Lorsqu'on ne trouve pas directement des renseignements sur le passé d'un individu,une méthode d'investigation consiste à s’intéresser à l'entourage familial.Les actes d'état civil accessibles depuis les communes et ou les Archives départementales, livrent des indices aux recherches.Les parents de Bertrand, Laurent Jacques d’Abbadie et Germaine Marie Rose Isabelle Botet de Lacaze se sont mariés le 29 novembre 1920 à la Labastide-Castel-Amouroux dans l’arrondissement de Marmande (47). Le mariage civil a été célébré par Henri Botet de Lacaze, châtelain, maire de cette petite commune et oncle de la mariée.Sous le gouvernement du Maréchal Pétain,il sera Chef local du Service d'ordre légionnaire (SOL) ,chef de Cohorte milicienne.puis délégué régional de la Milice pour la zone sud.
Vol de la Milice dans un garage de la gendarmerie
Dans la nuit du 7 au 8 juin 1943, Botet de Lacaze , commande un groupe de miliciens
dans le vol de onze side-cars et de quatre motos rangées dans un garage
de la brigade motorisée de gendarmerie de Grignols (Gironde).
Rapidement, la gendarmerie parvient à établir sa responsabilité dans ce coup de main. Un inspecteur des Renseignements
Généraux souligne dans un bulletin de renseignements daté du 17 juin :
« Ce vol effectué en bande probablement armée, la nuit, avec effraction, d’un matériel appartenant à l’État par des membres d’un organisme officiel commence à être connu dans la région où il fait une très mauvaise impression dans tous les milieux.
Les gens d’ordre, des Nationaux sensés, réprouvent énergiquement ces méthodes qui accroissent le désarroi des esprits en participant à l’anarchie où le pays semble déjà glisser. Ils disent que la plupart des Miliciens sont des gens tarés cherchant à créer un État dans l’État et ne valant guère mieux que les communistes ».
« Ce vol effectué en bande probablement armée, la nuit, avec effraction, d’un matériel appartenant à l’État par des membres d’un organisme officiel commence à être connu dans la région où il fait une très mauvaise impression dans tous les milieux.
Les gens d’ordre, des Nationaux sensés, réprouvent énergiquement ces méthodes qui accroissent le désarroi des esprits en participant à l’anarchie où le pays semble déjà glisser. Ils disent que la plupart des Miliciens sont des gens tarés cherchant à créer un État dans l’État et ne valant guère mieux que les communistes ».
Le plaidoyer de Joseph Darnand secrétaire général de la Milice Française
Côté jardin, Botet de Lacaze est révoqué de ses fonctions de conseiller
départemental de Lot-et-Garonne et de maire de
Labastide-Castel-Amouroux .
Côté cour, Joseph Darnand secrétaire général de la Milice Française adresse un courrier au préfet du Lot-et-Garonne :
« Vous demandez, Monsieur le Préfet , que je prenne des sanctions contre mon Camarade. Les apparences sont trop contre lui pour que je ne vous donne pas satisfaction et je vous informe que Henri BOTET DE LACAZE , Chef de Cohorte de Castel Jaloux est déchu de son grade et ramené à la simple condition de Franc-Garde.
Si je cède ainsi à l’insistance que vous avez mise à obtenir une sanction contre l’un des nôtres, je me permets cependant d’attirer votre attention sur le passé de la famille BOTET DE LACAZE dans votre département. Les BOTET DE LACAZE ont été appelés, de père en fils, par la voix publique à diriger les destinées politiques de leur commune et de leur canton. Ils sont estimés et aimés de leurs concitoyens. Je voudrais aujourd’hui que pour une faute bénigne ne dépassant en aucun cas le cadre de son activité milicienne, mon camarade Henri BOTET DE LACAZE ne soit pas déchu de la confiance publique accordée depuis plusieurs générations à sa famille. Je sais que diverses interventions, émanant d’autres organisations que la nôtre, sont venues peser sur votre décision. Mais la sanction prise contre DE LACAZE dans le cadre de la Milice est, à mon avis, suffisante pour calmer les inquiétudes qui ont pu être soulevées et exploitées dans votre département. »[2]
La sanction sera de courte durée. À la fin février 1944 Henri Botet de Lacaze est nommé délégué général de la Milice pour la zone sud. Il s’installe à Vichy et assure la liaison entre le secrétaire général Francis Bout De l'An et les chefs régionaux ou départementaux de la Milice.
Côté cour, Joseph Darnand secrétaire général de la Milice Française adresse un courrier au préfet du Lot-et-Garonne :
« Vous demandez, Monsieur le Préfet , que je prenne des sanctions contre mon Camarade. Les apparences sont trop contre lui pour que je ne vous donne pas satisfaction et je vous informe que Henri BOTET DE LACAZE , Chef de Cohorte de Castel Jaloux est déchu de son grade et ramené à la simple condition de Franc-Garde.
Si je cède ainsi à l’insistance que vous avez mise à obtenir une sanction contre l’un des nôtres, je me permets cependant d’attirer votre attention sur le passé de la famille BOTET DE LACAZE dans votre département. Les BOTET DE LACAZE ont été appelés, de père en fils, par la voix publique à diriger les destinées politiques de leur commune et de leur canton. Ils sont estimés et aimés de leurs concitoyens. Je voudrais aujourd’hui que pour une faute bénigne ne dépassant en aucun cas le cadre de son activité milicienne, mon camarade Henri BOTET DE LACAZE ne soit pas déchu de la confiance publique accordée depuis plusieurs générations à sa famille. Je sais que diverses interventions, émanant d’autres organisations que la nôtre, sont venues peser sur votre décision. Mais la sanction prise contre DE LACAZE dans le cadre de la Milice est, à mon avis, suffisante pour calmer les inquiétudes qui ont pu être soulevées et exploitées dans votre département. »[2]
La sanction sera de courte durée. À la fin février 1944 Henri Botet de Lacaze est nommé délégué général de la Milice pour la zone sud. Il s’installe à Vichy et assure la liaison entre le secrétaire général Francis Bout De l'An et les chefs régionaux ou départementaux de la Milice.
Fuyant l'avancée des troupes alliées en France, il restera en exil à Sigmaringen jusqu'à son départ pour Milan le 22 avril 1945. Sa trace se perd en Italie.
Henri Botet de Lacaze et deux de ses enfants condamnés à mort par contumace
Un arrêt du 16 octobre 1945 de la Cour de Justice séant à Riom, condamne à mort par contumace,à la dégradation nationale et à la confiscation de ses biens pour crime d’intelligence avec l’ennemi, Henri Botet de Lacaze.Deux de ses fils, Jean et Maxime, qu’il a enrôlés dans la Milice et qui auraient par la suite combattu au sein de la Waffen SS « Charlemagne » ,sont également condamnés à la peine de mort et à la confiscation de tous leurs biens présents et futurs pour crime d’intelligence avec l’ennemi par deux arrêts de contumace de la Cour de Justice d’Agen en date du 18 septembre 1946.
La fuite vers l’Argentine
Henri Botet de Lacaze, son épouse et leurs enfants, parviennent à s’enfuir d’une Europe dévastée par la guerre. Ils voyageront à bord du Cabo de Buena Esperanza_au départ de Bilbao ?_sous les identités suivantes:Botet de Lacaze de Menou Geliot Hubert Joseph,ville de naissance G.Gérona,âgé de 13 ans
Botet de Lacaze de Menou Léon,Fernand,François, ville de naissance Toulouse, âgé de 58 ans
De Lacaze de Menou Geliot,Diane Françoise,ville de naissance ,L Gérona âgée de 19 ans
De Lacaze de Menou Geliot Elisabeth,Bernadette ,ville de naissance L.Gérona âgée de 10 ans
De Lacaze de Menou Geliot Fernand Maxime,ville de naissance L.Gérona âgé de 22 ans
De Lacaze de Menou Geliot Henriette ,Odile,ville de naissance LGérona âgée de 17 ans
De Lacaze de Menou Geliot Jean Baptiste Ferdinand ,ville de naissance L.Gerona âgé de 25 ans
De Lacaze de Menou Geliot Marguerite Marie ,ville de naissance L.Gerona âgée de 24 ans
Ils débarqueront à Buenos Aires le 2 octobre 1946
Henri Botet de Lacaze décède le 2 septembre 1956. La justice française ordonne la cessation des recherches en 1973 seulement, en apprenant son décès.
Et Bertrand Laurent d’Abbadie ?
L’appartenance à la Milice Française étant susceptible de constituer un motif de poursuites, nous nous sommes tournés vers le Dépôt Central des Archives de la Justice Militaire (DCAJM) situé dans le département de l’Indre. Une procédure a été effectivement instruite par le Tribunal militaire de Bordeaux à l’encontre d'un Bertrand d’Abbadie né le 6/12/1923 à Ithorrots.
La grand-mère du jeune Bertrand Laurent d'Abbadie, Jessie d’Abbadie, née Tessié de La Motte, âgée de 81 ans, déclare dans le cadre de l'instruction : son fils Laurent Jacques a été mobilisé en qualité de capitaine et fait prisonnier en juin 1940, il est resté en captivité en Allemagne jusqu’à son rapatriement au mois de juillet 1941 comme père de famille nombreuse, cinq enfants, Bertrand, Jean, Maiten, Evelyne, Raymond.
Il résulte de l’enquête :
- Du mois d’octobre 1940 au mois de juillet 1941 son petit-fils, Bertrand Laurent, est étudiant à Toulouse, au Caousou, école de l’Immaculée conception tenue par les pères jésuites, pour préparer la 2ème partie du baccalauréat-mathématiques.
- Du mois d’octobre 1941 au mois d’octobre 1942, et du mois d’octobre 1942 au 21 janvier 1943 (une date chère aux royalistes, mort de Louis XVI), il est interne au lycée (Pierre de Fermat ?) de Toulouse et suit les cours préparatoires au Concours d’admission à l’École Spéciale Militaire de Saint Cyr. L’Armée et l’École de Saint Cyr sont dissoutes en février 1943, le 5 février 1943 l’étudiant prend deux inscriptions à la Faculté de droit de Toulouse, mais ne suit les cours que durant quelques mois.
- Toujours selon sa grand-mère, dès 1942, Bertrand Laurent est rarement au domicile familial et manifeste le désir d’intégrer une formation pro-allemande. La mésentente éclate entre le père et le fils à propos des idées politiques de ce dernier. Peut-être influencé par son oncle maternel, Henri Botet de Lacaze, il passe outre les ordres de son père qui lui interdit catégoriquement de s’engager dans des groupements qui venaient de se former et recrutaient des jeunes, souvent des mineurs, pour des formations militaires et il fait un stage de deux ou trois mois dans les Chantiers de jeunesse.
- Cette même année la famille d’Abbadie vient habiter à Toulouse au n° 6 de la rue Darquie et quitte ce domicile un mois avant la Libération. Il semble que durant son séjour à Toulouse il ne se soit livré à aucune activité répréhensible ou s’il l’a fait, cela a été à l’insu de ses maîtres et condisciples, ne portant pas de tenue de milicien. Toutefois il y est signalé comme Franc-Garde, branche armée de la Milice
- En 1943 il rejoint l’École des cadres de la Milice à Uriage (Isère). Cette École avait été voulue par le maréchal Pétain pour la formation d’une élite destinée au redressement de la Nation, en particulier pour la formation des meneurs des Chantiers de la jeunesse. À l’origine l’École est marquée par la fidélité au Maréchal, mais à partir du 11 février 1943 elle passe sous les ordres de Joseph Darnand et de la Milice. Le comte Pierre Louis de la Ney du Vair (1907-1945) royaliste, ami de Charles Maurras, antiparlementariste, nationaliste et violemment anticommuniste devient directeur de l’École. Le nom de d’Abbadie figure dans les listes en possession de du Vair." Le nom de ce milicien _d'Abbadie_ n’a éveillé aucun souvenir dans l’esprit des habitants des diverses localités savoyardes où la Milice a cantonné »
Il résulte encore de l’instruction:
- Qu’il n’a pas été poursuivi par la Cour de Justice de Toulouse et aucune enquête n’a été effectuée sur son compte par les différents services de police de Toulouse.
- Qu’un d’Abbadie Bertrand figure dans un fichier de police régional comme chef de dizaine sous les ordres de Jacques Delile, Chef de Cohorte Régional à Agen.
Le 1er juin 1948 selon le jugement du Tribunal militaire de Bordeaux, Bertrand Laurent d’Abbadie est effectivement reconnu membre de la Milice en Lot-et-Garonne, inculpé d’infraction à la sûreté extérieure de l’État (infraction prévue par les articles 75 et suivants du Code pénal), mais il n’a pu être établi qu’il ait exercé une activité quelconque dans cette formation, l’inculpé n’est donc passible que de la peine d’indignité nationale.
Curieusement
(carence des tribunaux de cette époque ?), l’instruction judiciaire n’a
pas établi l’existence d’une proximité familiale entre Bertrand d’Abbadie,
milicien dans le Lot-et-Garonne, et Henri Botet de Lacaze, délégué général de
la Milice pour la zone sud. Les recherches effectuées dans le cadre de
l’enquête n’ont pas mis en évidence l’éventuelle participation de Bertrand d’Abbadie
à des activités violentes dans le Lot-et-Garonne et en Rhône-Alpes.
Du brouillard de la fin de la guerre à l’Argentine
Dans l’Encyclopédie de l'Ordre Nouveau – Hors série – Français sous l’uniforme allemand, Partie 2, Sous-officiers & Hommes du rang de la Waffen-SS, juin 2019, Grégory Bouysse publie une brève notice biographique consacrée à Bertrand Laurent d’Abbadie, né à Ithorots le 6 décembre 1923, chef de dizaine dans la Franc-Garde permanente du Lot-et-Garonne, versé à la Waffen-SS en novembre 1944, passé par la SS-Panzergrenadierschule de Kienschlag (second Führerbewerber – Lehrgang du 5 février au 14 avril 1945), avec, sans doute, un grade de sous-officier, Waffen – Unterscharführer der SS,(...).
ISBN 978-0-244-49450-6_Gregory Bouysse _Auto édition Lulu.com |
Quelle a été la suite du parcours de Bertrand Laurent d'Abbadie entre la fin des combats et son installation en Argentine ? S’est il caché en France, en Italie ou en Espagne , en attendant des jours meilleurs ? Qui l’a aidé ? Questions sans réponse à ce jour.Il y a là un vaste terrain à défricher pour les chercheurs en histoire.
A propos de l’enquête
Les résultats de cette enquête sont les fruits d'un travail d'équipe.Du Pays Basque à l'Allemagne,et au-delà de l'Europe,chacun à apporté sa pierre à l'édifice.Merci à toutes et à tous.
Sources
État civil d'Ithorrots (64) et de Labastide-Castel-Amouroux (47)
Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques
Site de Pau
Archives de l'épuration:internement ,justice .
Vichy en Aquitaine _Les Éditions de l'Atelier
La Milice au service de l'ordre nouveau:l'expérience lot-et-garonnaise par Jean-Pierre Koscielnak
Eté 1944
La libération du Lot-et-Garonne et de la Gironde rattachée_Éditions Privat
Henri Botet de Lacaze ou la République honnie par Jean-Pierre Koscielnak
Collaboration et épuration en Lot-et-Garonne 1940-1945
Editions d'Albret maison d'édition des amis du vieux Nérac
Editions d'Albret
Archives départementales Lot-et-Garonne (AD 47)
Attention 2 sites des AD 47 à Agen
Archives départementales Centre des archives contemporaines .
Pascal De Toffoli des AD 47,que je remercie,a suggéré la consultation de plusieurs fonds dont
1 W Article 377
1 W Article 385
1 W 443,444,445
1738 W Article 62
1738 W Article 74
1769 W Article 767 et 768
1738 W Article 87
1738 W Article 90
1825 W Article 99
1825 Article 578 Château de Ferron,fonctionnement,1944.
List of passengers of the ship CABO DE BUENA ESPERANZA to Argentina Arrived to Buenos Aires on Oct 02, 1946
Dépôt Central d’Archives de la Justice Militaire (DCAJM)
54 rue de la Guignière
BP 214
36300 LE BLANC
Courriel : dcajm.cmi.fct@intradef.gouv.fr
Gregory Bouysse
Ouvrage papier
Encyclopédie de l'Ordre Nouveau - Hors-série - Français sous l'uniforme Allemand Partie II : Sous-officiers & hommes du rang de la Waffen-SS
Gregory Bouysse _Auto édition Lulu.com
Site internet
Encyclopédie de l'Ordre Nouveau