10 mai 2017

Emigration à la Plata

Émigration à la Plata


Pau,le 15 avril 1867,

Le Préfet à MM.les Sous-Préfets et Maires du département.


Messieurs,
L’administration en appelant dans plusieurs circonstances votre attention sur les émigrations nombreuses de la population vers les rives de la Plata, vous a fait connaître que généralement  les déceptions les plus cruelles  attendent nos émigrants  à leur  arrivée dans ce pays, et vous a demandé, tant dans leur intérêt que dans  celui des contrées qu’ils abandonnaient ,de les prémunir par des avertissements réitérés contre les promesses brillantes qui leur  étaient  faites et qui ne se réalisaient malheureusement que trop rarement.
Cet état de choses à empiré d’une manière considérable et, d’après un rapport tout récent de notre Consul à Buenos-Ayres, la situation de nos nationaux dans ces contrées est on  ne peut plus malheureuse.
Notre représentant à Buenos-Ayres a constaté que , le nombre  des émigrants français (Basques et Béarnais pour la plupart)  arrivés dans cette ville pendant les 4 dernières années, s’est élevé à 13 000 individus environ. Il fait remarquer que le plus grand nombre de nos compatriotes qui se rendent à La Plata  sont loin d’y trouver un sort meilleur que dans leur pays natal  et que, sans les manœuvres de certains agents d’émigration, beaucoup d’entr’eux sans doute n’auraient jamais songé à quitter leur pays où les bras deviennent tous les jours plus rares et plus recherchés.
A leur arrivée dans cette contrée, ajoute M. le Consul, la plupart des émigrants se font gardiens de moutons pour le compte des grands propriétaires du pays qui leur confient des troupeaux de 1500 à 2000 têtes. Leur salaire est de  300 piastres ou  60 francs par mois plus une certaine mesure (un arrobe) de sel et le droit de prendre sur pied la viande qui leur est nécessaire ; mais il  ne leur est allouée d’ailleurs ni pain ni vin. Cette nourriture et l’isolement dans lequel ils doivent vivre dans le pampas  les rendent sauvages et leur inspirent le goût des boissons alcooliques, en sorte que les quelques petites économies que les émigrants pourraient faire sont dépensées en provisions de Rhum dont l’usage prolongé conduit la plupart d’entre eux à une triste fin.
En présence d’une semblable situation, il est hors de doute, et telle est aussi l’opinion de notre  Consul à Buenos-Ayres, que bon nombre de ces émigrants ne sont point allés spontanément en Amérique ;ils y ont été poussés par  des courtiers d’émigration qui courent les campagnes en faisant miroiter à leurs yeux la perspective d’un brillant avenir. C’est du reste ce que déclarent eux-mêmes beaucoup d’émigrants désillusionnés qui vont journellement solliciter la charité du Consulat.
Telle est, d’après les renseignements qui m’ont été transmis et qui sont d’une exactitude incontestable, la position de la plupart de nos compatriotes sur les rives de la Plata. Cette position est de nature à servir d’utile avertissement pour les familles qui désireraient se rendre dans ce pays. Il importe essentiellement ,de ne pas leur laisser ignorer cet état de choses et de les prémunir ainsi contre  les entraînements auxquels ils  pourraient être en  butte. Je vous prie  donc de faire donner lecture de la présente circulaire à l’issue de la messe  paroissiale ,et ,lorsque  des projets d’émigration vous seront connus et  que vos administrés vous réclameront les certificats nécessaires à l’obtention des passeports ,ayez soin de mettre sous leurs yeux les renseignements qui précèdent. Faites surveiller aussi les courtiers d’émigration qui  parcourraient vos communes et useraient de moyens illicites pour  entraîner des émigrants,et mettez les familles en garde contre les  promesses mensongères qui leur seraient faites. Vos conseils vigilants  et éclairés auront assurément pour effet d’ arrêter la désertion de nos campagnes aussi préjudiciable au pays qu’aux émigrants eux-mêmes.
Recevez,Messieurs, l’assurance de ma considération très distinguée.

Le Préfet des Basses-Pyrénées
G.d'AURIBEAU 

Source:
Empire Français
Département des Basses-Pyrénées
Recueil des actes administratifs.
Année 1867
Pages 137,138,139
Collection particulière.