28 décembre 2014

Qui a laissé faire Stavisky à Orléans et à Bayonne ?

A la suite de l'affaire Stavisky, la responsabilité de Léon Delamarche,haut fonctionnaire au Ministère du Commerce et de l'Industrie,a été mise en cause.Le haut-fonctionnaire réplique au moyen d'un questionnaire dont voici des extraits.
 
Brochure de 56 pages , non datée
A.-L'Affaire de Bayonne ; paragraphes 1 à 18
B.-L'affaire de Bayonne ; paragraphes 19 à 38
C- L’enquête de M.Chautemps ;paragraphes39 à 43

 Extraits de la brochure 

Lorsque la Commission d’enquête parlementaire sur les affaires Stavisky m'a entendu,à ma demande,le 4 mai 1934,je me suis fait un point d'honneur de ne faire état que des éléments du dossier du Ministère du Commerce et des dépositions des témoins déjà entendus.
Plusieurs commissaires m'ont félicité de la netteté et de la modération de mon témoignage.
Dans les jours qui ont suivi,la Commission a entendu d'autres témoins.Je lui ai immédiatement demandé,par deux fois,le 9 mai et le 14 mai,de m'entendre de  nouveau pour que je puisse réfuter des allégations mensongères et j'ai notamment insisté pour être confronté avec M.le Préfet Mireur.
La Commission a refusé de m'entendre de nouveau.Elle n'en a pas moins pris (par 6 voix contre 4,sur 44 membres)des conclusions en ce qui me concerne,conclusions non motivées,qui tendent à discréditer le témoin pour émousser son témoignage.
Je n'ai donc plus à me faire entendre devant elle.
Je n'en dois pas moins à ma conscience de chercher,pour ma part,à faire la lumière.
C'est pourquoi j'ai rédigé le questionnaire ci-après qui,ne faisant état que des dossiers ,documents,et dépositions que la Commission a entre les mains,et des lois ,décrets et arrêtés ministériels qu'elle doit connaitre ,s'efforce de jeter de la clarté sur les points qui n'ont pas été élucidés.
Je m'excuse d'avoir été obligé de citer des noms,mais je ne fais que répondre ,sous forme interrogative,à ceux qui m'ont publiquement mis en cause dans l'espoir de se couvrir et,ayant été frappé avec un particulier acharnement pour des fautes administratives que je n'ai pas commises,n'ai je pas le droit  de me refuser a être plus longtemps le bouc émissaire,chargé de payer pour les défaillances et les illégalités des autres?
S'il était répondu nettement,sans dérobade et sans parti pris ,à chacune des questions posées,l'opinion publique serait alors éclairée.
Je n'ai rien à craindre de son verdict ni de la pleine lumière.
On a cherché à abuser,par un véritable jeu de mots,ceux qui ne jugent que superficiellement,en leur faisant croire,au mépris des textes et des faits,que j'étais un fonctionnaire ambulant,chargé de contrôler les Monts-de-Piété,que j'étais inspecteur général des Crédits municipaux,alors que j'étais ,avec deux sous-chefs de bureau et un rédacteur pour tout personnel ,le chef d'un service chargé de l'organisation  et de la réglementation de toutes les formes de crédit au commerce et à l'industrie:
Crédit à l'exportation ;
Assurance-crédit;
Crédit au petit commerce (banques populaires et sociétés de caution mutuelle);
Crédit hôtelier
Crédit aux artisans;
Crédit aux industries d'art;
Régime des paiements commerciaux à l'étranger (offices de compensation et négociation des accords internationaux de change et de transfert des créances françaises).
Mais on ne fera pas admettre au peuple de France que la victime choisie entre tous soit précisément celui qui,dans la carence de toutes les administrations ,a,par ses instructions et son insistance ,fait découvrir l'escroquerie et qui a fait délivrer un mandat d'amener contre l'escroc.


Avant de parler de l'affaire de Bayonne,il est nécessaire de poser quelques questions au sujet des agissements de Stavisky au Crédit municipal d'Orléans,où les aveux de l'ancien directeur Desbrosses viennent de révéler,au bout de quatre ans,que sous le nom d’Établissement Alex,il avait déjà émis de faux bons,ce qui avait échappé à toutes les investigations du Trésorier-payeur général du Loiret comme de l'Inspection des finances.

A.-L'affaire de Bayonne
L'entrée en scène de Stavisky dans les établissements de prêts sur gage date de la nomination de son associé ou agent de Chevert comme commissionnaire du Crédit municipal d'Orléans pour Cannes,Biarritz et Le Touquet.Celle-ci a résulté de deux délibérations du Conseil d’administration du Crédit municipal d'Orléans ,en date l'une du 15 mai,l'autre du 11 septembre 1928.
Un Crédit municipal étant un établissement mineur,dont les délibérations doivent être approuvées par le préfet,comment M.Genébrier,préfet du Loiret et tuteur légal du Crédit municipal d'Orléans,a-t-il pu laisser prendre et appliquer ces deux délibérations ,en violation de l'article 5 du décret du 24 octobre 1918,qui exige,non seulement l'approbation préfectorale,mais aussi l'approbation ministérielle pour la désignation de correspondants ou commissionnaires en dehors du département ?

Pourquoi M.Genébrier à qui,d'après sa déposition du 9 mai 1934,Stavisky avait été présenté en décembre 1928 par M.Aubin,adjoint au maire d'Orléans (1),et qui avait eu avec lui une conversation d'un caractère tellement inquiétant à ses yeux qu'il en a référé par téléphone à la Sûreté générale,n'a-t-il adressé à ce sujet aucun rapport au Ministère du Commerce?
Comment se fait-il qu'à la suite d'un prétendu coup de téléphone à inconnu,qui ne lui donna pas satisfaction,il n'ai,jusqu'à son départ d'Orléans,c'est à dire jusqu'au 19 février 1929,ni confirmé par écrit,ni fait la moindre démarche?
(1)M.Genébrier s'est attiré un démenti catégorique de M.Aubin (lettre du 15 mai 1934)et a du (réponse du 20 mai 1934 ) reconnaitre que sa mémoire le trahissait.

Comment cet entretien de décembre 1928 n'a-t-il pas conduit M.Genébrier à examiner plus attentivement les conditions dans lesquelles étaient intervenues la nomination du correspondant à Cannes,à Biarritz et au Touquet,et comment a-t-il fallu attendre que le Ministre du Commerce,informé seulement de cette nomination en avril 1929 par le Préfet des Alpes-Maritimes et par la Confédération permanente des crédits municipaux,l'ait aussitôt signalée comme irrégulière pour qu'elle fut rapportée par le successeur de M.Genébrier?

Comment se fait-il que Turbat,maire d'Orléans et président du Crédit municipal de cette ville ,ayant connu Stavisky en relations avec cet établissement,ayant eu,en janvier 1930,un entretien avec lui et ayant obtenu sur lui de mauvais renseignements à la suite d'une commande de 50.000 francs de fleurs que celui-ci lui avait faite (M.Turbat est horticulteur),ait laissé le Crédit municipal ,sur lequel il avait deux fois autorité,comme président et comme maire,faire des opérations très importantes avec un aventurier dont rien ne pouvait légitimer les relations avec un Mont-de-piété?

Pourquoi M.Turbat,s'il s'inquiétait des opérations faites par le Crédit municipal d'Orléans et s'ils se reconnaissait incapable d'y mettre fin,bien qu'il fut président responsable,n'est il jamais intervenu auprès du Ministère du Commerce,soit par écrit,soit par démarche,et ne lui a-t-il jamais signalé ce qui se passait ?

Les statuts du Crédit municipal d'Orléans prévoyaient ,seuls entre tous ceux des établissements similaires,que les prêts de plus de 3.000 francs ne pouvaient être accordés sans l'autorisation préalable du Préfet.Quand un préteur se présentait,il fallait courir à la Préfecture pour obtenir un visa.Le Préfet du Loiret fit remarquer au Ministre du Commerce qu'il n'avait aucun élément d'appréciation pour prendre des décisions de l'espèce.M.Bonnefous,Ministre du Commerce,répondit au Préfet,le 14 aout 1929,qu'il considérait cette obligation d'un agrément préalable comme une anomalie,puisqu'elle n'existait nulle part ailleurs et qu'une telle intervention directe dans la gestion engageait dangereusement la responsabilité de l’administration préfectorale.
M.Turbat prétend qu'il avait désapprouvé cette lettre qui,dit-il,lui enlevait,à lui,maire et président du Crédit municipal ,toutes ses attributions.Pourquoi,si tel était son avis,l'a-t-il gardé par devers lui et ne l'a-t-il pas fait connaitre à M.Bonnefous.?
Pourquoi a-t-il,au contraire,fait prendre au Conseil d’administration du Crédit municipal,dont il était président,et au Conseil municipal d'Orléans,qu'il présidait en tant que maire,des délibérations proposant la suppression,dans les statuts du Crédit municipal,de l'obligation de l'agrément préfectoral préalable?
Comment peut-il méconnaitre que cette suppression de l'intervention du Préfet,non seulement ne diminuait en aucune façon,comme il l'a prétendu,les attributions du maire,président du Crédit municipal,mais augmentait au contraire ses pouvoirs et ses responsabilités?

Les opérations traitées par le Crédit municipal d'Orléans avec la maison Alex (prête-nom de Stavisky) n'étaient pas seulement importantes quant à leur montant;elles étaient surtout irrégulières,faites en violation des textes qui régissent le fonctionnement des Monts-de-Piété.Ce serait vouloir escamoter leur caractère répréhensible d'illégalité,qui est essentiel,que de ne s'attacher qu'à la question de leur montant.S'il n'y avait eu que des opérations importantes,mais saines,elles n'auraient pas enseigné à leur bénéficiaire les pratiques frauduleuses dont il devait ultérieurement se servir.
Or,il résulte de la déposition même de M.Turbat devant la Commission d’enquête (analytique de la seconde séance du 30 mai 1934) que les gages déposés par la maison Alex et en représentation desquels des bons de caisse lui étaient remis à elle-même,étaient expédiés de Paris au Crédit municipal d'Orléans sous scellés,avec une appréciation toute faite;faite par qui ? par la maison Alex elle-même,c'est à dire par l'emprunteur !
Ces pratiques ,absolument contraires au règlement de 1865,n'ont certainement pas échappé à M.Turbat,qui aurait fait bon marché de sa mission de président du Conseil d’administration,s'il ne s'était pas au moins tenu informé des conditions dans lesquelles étaient effectués les prêts,surtout lorsqu'ils atteignaient un montant considérable et qu'ils étaient faits au profit de la maison Alex,sur laquelle il avait eu des renseignements défavorables.Il semble,bien,d'après sa déposition,non seulement ne les avoir pas ignorées,mais encore les avoir admises.N'a-t-il pas manqué à son devoir le plus strict en ne les empêchant pas et en ne prenant pas de lui- même les mesures nécessaires pour les réprimer?

Le Conseil d’administration du Crédit municipal d'Orléans ,présidé par M.Turbat,n'a t'-il pas attribué,en 1930,au directeur de l'établissement ,Desbrosses,des pourcentages s'élevant à un total de 113.000 francs?Le Conseil municipal d'Orléans,présidé par M.Turbat ,n'a-t-il pas pris une délibération qui,tout en faisant des réserves pour l'avenir,n'en tolérait pas moins cette perception,contraire à tous les règlements?

N'en a t-il pas été de même pour des commissions et ristournes à des intermédiaires,en l'espèce à la maison Alex,s'élevant à un total de 31.000 francs,en contradiction flagrante avec les dispositions du règlement de 1865,qui s'opposent à la remise de bons de caisse à des courtiers?

10°
M.Turbat a pris texte,dans sa déposition devant la Commission d’enquête,de ce que le Ministère du Commerce avait fait allusion au caractère commercial des opérations des Monts-de-Piété,pour prétendre que ce Ministère voulait faire de ces établissements des maisons de commerce.Mais n'est ce pas précisément lui qui,en tolérant la délivrance à des courtiers de bons en blanc,l'attribution de pourcentage au directeur,la remise de commissions et de ristournes à des intermédiaires,a fait du Crédit municipal d'Orléans,au mépris des règlements,une véritable maison de commerce?

11°
Pour quelle raison,sur quelles instances,le Préfet du Loiret,tuteur légal du Crédit municipal d'Orléans,a t-'il approuvé les délibérations qui ont décidé de ces prélèvements irréguliers et ratifié les comptes administratifs où ils ont été inscrits

(...)
14°
Pourquoi M.Turbat,président du Crédit municipal d'Orléans et son directeur,Desbrosses, n'inspirait,a-t-il dit,aucune confiance,et qui connaissait,dès le mois de mai 1930,le projet de création d'un Crédit municipal à Bayonne,a -t-il permis à Desbrosses de se rendre trois fois à Bayonne,en octobre,en novembre 1930 et en janvier 1931,pour s'occuper de cette création?

15°
Pourquoi ni le Préfet du Loiret,ni Mireur,Préfet des Basses-Pyrénées,n'ont-ils informé le Ministère du Commerce de ces missions de Desbrosses?Pourquoi ni l'un ni l'autre,qui avaient correspondu au sujet de la candidature de Desbrosses à la Direction du Crédit municipal de Bayonne,n'ont-ils informé le Ministre du Commerce de cette candidature et de l'insistance apportée à la présenter?

16°
Le contrôle effectué par l'Inspection générale des Finances au Crédit municipal d'Orléans sur la demande du Préfet,à la suite des instructions énergiques qui lui avaient été envoyées par le Ministère du Commerce le 29 avril 1931,a eu lieu en juillet 1931.L'Inspecteur des Finances a-t-il fait part aussitôt ,comme il le devait,au Préfet,tuteur légal de l'établissement,des constations qu'il avait faites?
Dans l'affirmative,pourquoi le Préfet n'a-t-il pas immédiatement suspendu le directeur des Desbrosses de ses fonctions,mesure provisoire qui s'imposait et qu'il n'a prise que quatre mois après,le 23 novembre 1931?

(...)

B.-L'Affaire de Bayonne

19°

M.Mireur,Préfet des Basses-Pyrénées,a déclaré à la Commission d’enquête (analytique de la première séance du 8 mai 1934):"J'ai le contrôle du Mont-de-Piété,mais aucun texte ne précise,je crois,mes attributions à ce sujet."Et il a ajouté: " Le Préfet est tuteur des crédits municipaux.Mais je n'avais pas le moyen d'exercer le contrôle."
Comment accepter d'aussi stupéfiantes déclarations?Il suffit d'un coup d’œil sur les lois et règlements qui régissent les Monts-de-Piété et sur les statuts mêmes du Crédit municipal de Bayonne,qui,presque à chaque ligne ,font intervenir le Préfet,pour juger de l'étendue et de la vigueur de ses moyens de contrôle.
Le Préfet a le contrôle de tout le personnel;c'est lui nomme les administrateurs et le directeur,et c'est lui seul qui a le pouvoir de les révoquer (loi du 24 juin 1851,art 2);l'ordonnateur est nommé par lui et reçoit de lui délégation (statuts de Bayonne,art 7) ;la nomination des appréciateurs,du garde-magasin,des commissionnaires et correspondants relève de lui (ibid.,art.8 et 12);il fixe les cautionnements,ratifie les traitements,approuve les règlements déterminant les fonctions de chacun (ibid).
Il a le contrôle des délibérations du Conseil d’administration,qui ne sont exécutoires qu'avec son approbation (loi du 7 aout 1851,art.8,9,et 10;statuts de Bayonne,art.6).
Il a le contrôle des budgets et des comptes administratifs,car c'est lui qui les approuve ou les règle définitivement  (règlement du 30 juin 1865,art.27 et 28).
C'est lui qui règle les conditions des emprunts (loi du 24 juin 1851,art.4) ,les conditions et la durée des prêts (décret du 24 octobre 1918,art.3) ainsi que les conditions des sursis pouvant être accordés aux emprunteurs (statuts de Bayonne,art 14).
Bien plus.Le Préfet a le moyen de contrôler toutes les dépenses,car aucune somme placée au Trésor ne peut en être retirée sans son autorisation,qu'elle qu'en soit la quotité,et il ne peut "autoriser le retrait que des sommes qui doivent être immédiatement appliquées à des dépenses régulières" (règlement du 30 juin 1865,art 43). Il a le moyen de contrôler toutes les recettes,car aucun état de recouvrement n'est exécutoire sans son visa ou celui de son sous-préfet (ibid,art.29). Enfin,il a le contrôle,non seulement du volume global des emprunts,mais de l'émission de chaque bon en particulier,car,dans un "Mont-de-Piété simple",comme celui de Bayonne,aucun bon ne peut être émis sans une délibération spéciale du Conseil d’administration qui "doit toujours précéder l'émission de chaque bon (règlement de 1865,art45) et les délibérations de l'espèce sont soumises à l'approbation préfectorale.
Est -ce là des attributions non précisées?Un préfet qui a de tels pouvoirs manque-t-il de moyens de contrôle?
S'il a besoin,pour les exercer,de se procurer des informations techniques plus approfondies que celles de ses propres services,il a auprès de lui un trésorier-payeur général et,si le Mont-de-Piété est,comme à Bayonne,situé dans un arrondissement ,un receveur des finances,qui disposent ,de leur coté,des moyens d'investigation les plus précis et les plus rigoureux.Le receveur des finances est chargé de la surveillance de la caisse et de la comptabilité;il doit vérifier tous les mois la balance des comptes,une fois au moins par trimestre,et toutes les fois en outre qu'il juge à propos,la caisse et les comptes ,avec pièces à l'appui,et toutes les parties du service comptables,tous les ans le compte de gestion,il doit s'assurer que celui-ci est "le relevé fidèle de toutes les recettes et dépenses qui ont dû
être effectuées" et qu'elles sont "appuyées des justifications prescrites" (règlement de 1865,art 176).
Si le receveur des finances constate des irrégularités graves dans la gestion du caissier,il peut le suspendre d'office "sous sa responsabilité",mais c'est au Préfet qu'il doit en rendre  immédiatement compte (ibid,art 177). Il y a ainsi auprès du Préfet un auxiliaire auquel il peut avoir recours pour toutes informations d'ordre technique ,avant de prendre ses décisions.
Dans de telles conditions,le Préfet Mireur a-t-il manqué de moyens de contrôle ou de la bonne volonté de s'en servir?

21°
L'ordonnance royale du 26 juin 1816,qui institue un commissaire-priseur par chaque justice de pais dans toutes les villes chefs-lieux d'arrondissement ,prescrit,en son article 5,que les appréciateurs des Monts-de-Piété seront exclusivement choisis parmi les commissaires priseurs résidant dans la ville.Le monopole des prisées et des ventes ainsi confié à des officiers ministériels,placés sous la surveillance du Parquet,connus dans la ville et les évaluations sont garanties par la valeur de leur charge,constitue la plus sérieuse garantie d'une saine appréciation des gages.
Pourquoi,au mépris de cette disposition légale impérative,le Préfet Mireur a-t-il nommé,sans même en rendre compte,les deux appréciateurs successifs du Crédit municipal de Bayonne,qui n'étaient pas commissaires-priseurs,qui étaient étrangers à la ville et,qui comme par hasard,venaient aussi d'Orléans?
Cette illégalité,commise par M.Mireur,n'a-t-elle pas été une des causes directes et fondamentales de l'escroquerie?


22°
Les Monts-de-Piété ne peuvent emprunter sur bons qu'afin de se procurer les ressources nécessaires pour alimenter leurs opérations de prêts sur nantissements"(règlement de 1865,art45). Ils ne peuvent donc émettre des bons qu'autant qu'ils sont en état de faire des opérations de prêts et dans la limite du volume des opérations de prêts qu'ils sont susceptibles de faire.Or,le Crédit municipal de Bayonne n'a été ouvert que le 16 mai 1931,date de l'installation du directeur-caissier par M.Garrie ,receveur des finances de Bayonne.Jusque-là,les magasins ne pouvaient recevoir aucun gage et,par conséquent ,aucun emprunt ne pouvait être envisagé.Cependant,le Crédit municipal de Bayonne n'a-t-il pas,dès la fin de mars et le début d'avril 1931,c'est à dire un mois et demi avant son ouverture ,émis et placé pour la somme énorme de 3.000.000 de francs de bons de caisse?
Ces émissions n'avaient -elles pas été précédées de la fixation par le Préfet,sur la proposition de l’administration (loi de 1851,art.4),des conditions d'emprunt?
Le Préfet Mireur n'a-t-il pas approuvé les délibérations de l’administration qui devaient,dans les conditions ci-dessus rappelées,précéder l'émission de chacun de ces bons ?
Une aussi grave irrégularité n'a-t-elle pas ouvert la porte à l'escroquerie,en montrant dès le premier jour,aux escrocs que le Préfet était disposé ,comme cela c'est effectivement prouvé encore par la suite,à autoriser les émissions , quel qu'en soit le montant,sans se préoccuper aucunement des contre-parties qui en doivent constituer le gage?

23°
Le Préfet Mireur n'a-t-il pas répondu au Ministère du Commerce,qui l'interrogeait sur la façon dont il avait,en autorisant les émissions,évalué les contre-parties,qu'elles étaient constituées par de nombreux et importants dépôts des émigrés espagnols?Ne l'a-t-il pas répété devant la Commission d’enquête (analytique de la première séance du 8 mai 1934)?L'instruction n'a t-elle pas démontré la fausseté de cette affirmation?

24°
Il n'aurait pas pu y avoir de faux bons,si un article essentiel du règlement qui doit servir de guide aux receveurs des finances dans leurs vérifications ,avait été observé.
C'est là un point capital dont toute enquête sérieusement faite n'a pu évidemment manquer de faire ressortir toute l'importance.
Le mécanisme de l'escroquerie de Bayonne a consisté en effet,en la remise à des courtiers,qui les plaçaient ensuite moyennant des commissions excessives,de bons de caisse dont le montant ne correspondait pas au chiffre inscrit sur la souche et le talon.Or,le règlement du 30 juin 1865 sur la comptabilité des Monts-de-Piété prescrit expressément,dans son article 45,complété par un arrêté ministériel du 30 juin 1884:1° que les bons,qu'ils soient nominatifs ou au porteur,ne soient délivrés aux préteurs qu'au moment du versement des fonds à la caisse du Mont-de-Piété,ce qui exclut l'intervention de courtiers;2° que les préteurs sur bons,nominatifs ou au porteur ,souscrivent ,au moment où ils effectuent le placement,c'est à dire où ils versent les fonds à la caisse du Mont-de-Piété,une déclaration énonçant en toutes lettres le montant de la somme placée,autrement dit le montant du bon;3° que ces déclarations de placement restent attachées aux talons,pour être représentées en même temps qu'eux au moment des vérifications.
(...)

26°
Ni le rapport Cousin du 21 mai 1931,qui établissait le lien entre l'affaire d'Orléans et celle de Bayonne,ni le rapport Pachot d'octobre 1931 qui demandait que des vérifications fussent faites sur les livres du Crédit municipal de Bayonne,ni l'information ouverte le 20 janvier 1933 par le Parquet de la Seine sur l'offre "dans des officines suspectes" de bons du Mont-de-Piété de Bayonne "qui seraient des faux" ,information close le 3 mars 1933 par un réquisitoire définitif de non lieu de M.le Procureur Pressard ,ni le rapport Cousin du 25 septembre 1933,qui concluait à la nécessité d'une enquête par l'Inspection générale des finances,ni aucun des nombreux rapports de la Sûreté générale de la Préfecture de police,de la police judiciaire qui,pendant trois ans ont dénoncé Stavisky et son activité à Bayonne,n'ont été portés ,sous quelque forme que ce soit,à la connaissance du Ministère du Commerce.C'est là un fait patent et hors de conteste.
Pourquoi ce silence obstiné de toutes les Administrations à l'égard de celle du Commerce,si c'est celle-ci,en définitive,qui devait être accusée de n'avoir pas su ce qui lui avait été caché?

(...)

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Base Léonore Légion d'Honneur