Un instituteur retraité
s'adresse au journal "Sud-Ouest"
Le "Sud-Ouest" mercredi 24 octobre 1928
Coll.Médiathèque de Bayonne.
Cote J48
A propos de l'affaire des fraudes électorales
Monsieur le Rédacteur du "Sud-Ouest",
J'assistais à l'audience correctionnelle de jeudi au sujet des fraudes électorales du Grand Séminaire.
L'attitude arrogante,et même insolente des Abbés Durquet et Arrana, m'a péniblement impressionné.Je crois pouvoir dire que l'ensemble de l'auditoire en éprouvait un sentiment de véritable indignation qui lors de certains incidents avait peine à se contenir.
A propos de l'apostrophe inconvenante de M.l'abbé Durquet à M.le Procureur,au moment où celui-ci rappelait sa belle conduite pendant la guerre:
"Et vous,vous ne l'avez pas faite!"laissez-moi vous dire qu'elle dénota chez son auteur autant de présomption que d'incorrection.
Le Procureur est un homme d'âge,aux cheveux blancs.L'abbé est tout jeune et en en pleine force.
Il n'aurait plus manqué qu'un gaillard de cette santé ne servit point son pays!
Sa conduite à la guerre ne devrait pas l’empêcher de respecter les lois et les magistrats de sa patrie.
On parle toujours volontiers dans certains milieux des exploits des prêtres catholiques pendant la guerre!Cependant,ils ne sont pas seuls à avoir rempli leur devoir.
N'oublie-t-on pas trop que de 1914 à 1918,douze mille instituteurs appartenant à l’École Laïque donnèrent leur vie pour la France.Il semble que leur sacrifice ne compte pas devant l'orgueilleuse publicité de tout un parti qui voudrait monopoliser le patriotisme et la bravoure à son profit.
Il était de bon ton avant la guerre d'accuser les maitres laïques de défaitisme.On les représentait dans un certain clan comme des antipatriotes.
Douze mille parmi eux sont morts pour la France!
Rappelons-le à ceux qui seraient tentés de l'oublier.
Veuillez croire à mes meilleurs sentiments.
UN INSTITUTEUR RETRAITÉ.
La réponse de l'abbé Durquet
Le "Sud-Ouest" mardi 30 octobre 1928
Collection Médiathèque de Bayonne - Cote J48
Une lettre de M. l'abbé Durquet
C'est avec le plus grand plaisir que nous répondons au désir exprimé par M.l'abbé Durquet en publiant sa lettre au "Sud-Ouest".
Nous rappelons à nos lecteurs qu'à la suite du procès des fraudes électorales,venu devant le Tribunal Correctionnel de Bayonne et dont nous avons donné un compte -rendu détaillé,un instituteur retraité nous adressa une lettre insérée dans les colonnes du journal il y a déjà quelques jours.
Il soutenait cette thèse,à notre avis très juste,que la guerre a été gagnée par tous les Français et qu'en conséquence aucun parti,ni aucune catégorie de citoyens,ne pouvait s'attribuer le monopole du patriotisme ou de la bravoure.
Même ceux qui étaient à l'arrière,en raison de leur age,de leur santé ou de leurs fonctions militaire ou civile ont contribué à la défense nationale et apporté leur part contributive à la victoire commune.
La lettre ajoutait,ce qui est aussi notre sentiment,qu'on oubliait un peu trop le sacrifice des 12.000 instituteurs morts pour la Patrie!
M. l'abbé Durquet nous adresse une lettre où il nous plait de voir un hommage rendu à la mémoire des instituteurs laïques ,tombés au Champ d'honneur.
Nous nous empressons de la publier.
A la fin de sa missive,notre correspondant bénévole émet un doute sur l'hospitalité du "Sud-Ouest".
Qu'il se rassure!
Notre journal qui connait les règles de la courtoisie,en même temps que ses devoirs professionnels,sait défendre ses idées,et ce qu'il croit être la justice et la vérité.
S'il convenait à M.l'abbé Durquet d'écrire une histoire des instituteurs morts héroïquement pendant la guerre,nous nous ferions un devoir d'accepter sa collaboration.
LE "SUD-OUEST"
Bayonne,le 27 octobre 1928.
Monsieur l'instituteur retraité,
Je m'excuse de répondre un peu tard à la lettre parue dans le "SUD-OUEST" du 24 octobre et où vous me mettez en cause;ce n'est qu'aujourd'hui que j'en ai pris connaissance par le journal qu'une main inconnue m'a adressé.
Je tiens cependant à vous répondre:d'abord,parce que vous êtes "instituteur retraité";et ce titre m'a tout de suite rappelé qu'il y a quelque part dans les Basses-Pyrénées ou les Landes,en retraite,un maitre d'école laïque qui m'apprit autrefois à lire et me fit obtenir le certificat d'études primaires;je lui ai voué une trop respectueuse reconnaissance pour ne pas englober dans ce même sentiment tous les instituteurs retraités!
Et puis vous parlez des instituteurs morts à la guerre:et aussitôt dans cet immense champ de croix blanches qu'est la mémoire de tout ancien combattant ,me sont apparues les trois croix blanches de trois instituteurs qui furent mes amis et mes frères d'armes au 49 me d'Infanterie.
Le premier c'est le capitaine Lacoaret instituteur dans la Gironde.Il arriva au 49me en septembre 1914,et après avoir fait pendant près de quatre ans l'admiration de tout le régiment,mourut des suites d'un stupide accident de grenade en janvier 1918.Mes camarades ne me démentiront pas si,je vous dis que notre régiment ne compta pas de chef plus intrépide dans le danger,ni de plus bienveillant à ses hommes,ni nous-mêmes de camarade plus aimable.
Le second me touche encore de plus près;c'est le lieutenant Bachellerie instituteur à Brives:nous fumes pendant plus d'un an ensemble officiers à la 5me Cie;c'est à lui que je passais le commandement de mes hommes lorsque gravement blessé,je dus les quitter le 10 octobre 1917;et l'accolade qu'il me donna ,sur le brancard qui m'emportait,est de celles qu'on n'oublie pas.En relations étroites avec lui durant plusieurs mois,ma dernière lettre me revint avec la fatale mention "décédé",et j'appris un peu plus tard qu'il avait été mortellement blessé d'une balle au ventre,dans la plaine de Montdidier en enlevant avec un magnifique courage un silo de betteraves où s'était concentrée la résistance ennemie!......
Le troisième est un petit caporal de la section que je commandais à Verdun en mai 1916:le caporal Lavielle instituteur dans les Landes.Il fut tué d'une balle en plein front en repoussant une attaque ennemie;et il y a quelques jours ,en pèlerinage sur ce champ de bataille,c'est au caporal Lavielle que je songeais en essayant de retrouver l'endroit précis où nous étions en 1916 ;que n'étiez-vous là,monsieur l'instituteur retraité?Ensemble nous nous serions recueillis dans le souvenir de votre jeune collègue,et je vous aurais montré un peu plus loin la zone de trous d'obus où "disparut" à la recherche des blesses le soldat brancardier Bouillon,un R.P. Assomptionniste,lui,venu des Balkans à l'appel de sa Patrie.
Croyez-moi,monsieur l'instituteur retraité,instituteurs et curés ont fait la guerre fraternellement unis.....si la fatalité nous envoyait une nouvelle guerre,ils repartiraient encore la main dans la main,laissant à d'autres le soin de garder l'arrière...Il y a donc mieux à faire que de les opposer les uns aux autres;la moisson de lauriers est assez abondante pour que chacun en ait sa part.
Me permettrez-vous de vous suggérer une pensée?Vous êtes à la retraite,vous avez donc des loisirs;vous possédez,à en juger par les quelques lignes que vous me consacrez,une plume d'une belle vigueur intellectuelle...,pourquoi n'écriveriez-vous pas l'histoire des instituteurs morts à la guerre?Modeste collaborateur,je vous promets de vous fournir des souvenirs inédits sur les instituteurs (que) j'ai connus,appréciés et aimés durant la guerre....à une condition cependant,c'est que que vous me ferez connaitre votre adresse;car l'intermédiaire d'un journal est gênant et puis,sait-on jamais?Depuis quelques jours,le "Sud-Ouest"accorde à mon nom une hospitalité très large et toute gracieuse;mais ces heureuses dispositions dureront-elles toujours?
A bientôt donc,monsieur l'instituteur retraité,le plaisir de vous lire,et veuillez agréer,en attendant,l’expression de ma considération distinguée.
DURQUET
Le "Sud-Ouest Républicain" mardi 30 octobre 1928.
Coll.Médiathèque de Bayonne.
Cote J48
Pour en savoir davantage :
- Les registres matricules consultables en ligne sur les sites des AD 19 et 40.
- Historique du 49e Régiment d'Infanterie pendant la guerre 1914-1918-Honneur et Patrie Imprimerie Berger-Levrault -8 aout 1919-148 pages .Annexe :Liste par grade des militaires tués ou morts des suites de leurs blessures.
- La base de données de la Légion d'honneur (Léonore)
Capitaine
Lacoarret Lacoarret Raoul-Alphonse,mort pour la France le 13 décembre 1917,Ambulance 7/12
Né le 19 09 1892 à Bordeaux (33-Gironde)
Dossier Légion d'honneur LH/1424/23 3 vues sur le site de la base des données Léonore (Légion d'honneur)
Lieutenant
Bachellerie Jean Pierre Augustin,mort pour la France le 31 mars 1918,Beauvais.
Né le 29 08 1895 à Perpezac-le- Noir (19 - Corrèze)
Archives Départementales de la Corrèze (AD 19)
Classe 1915 Bureau de Brive-la-Gaillarde Cote R 1524 Vue 89/665 |
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Fiche matricule 662
Caporal
LavielleLavielle (Salvat),tué le 25 mai 1916 Douamont
Né le 4 12 1883 à Soustons (40-Landes)
Archives Départementales des Landes (AD 40 )
Classe 1903 Bureau Mont-de-Marsan-Bayonne Cote 168 W 23 Vue N°608/1354
Fiche matricule N°1980
Abbé Paul Durquet
Acte de naissance e-Archives AD64 Labastide-Clairence Collection communale Naissances 1883-1892
Décédé à Bayonne le 5 juin 1973,quartier Saint-Léon (Tosse),domicilié à Labastide-Clairence ,maison "Maisonnave"
Officier de la Légion d'Honneur,décoré de la médaille militaire et de la Croix de Guerre.
Source:Registre des décès 1973 Bayonne .Acte N°460
Numéro matricule de recrutement :780 Classe de mobilisation 1908 (extraits)
Consultation en salle de lecture Pau-Bayonne AD 64
Décoré de la médaille militaire le 10 septembre 1914 .Croix de Guerre.Cité à l'ordre de l'Armée (J.O. du 19 septembre 1916)
"Modèle de bravoure d'énergie de stoïcisme.N' a pas hésité le 25 mai à aller reconnaitre lui meme (...) feu d'enfilade et un violent bombardement l'emplacement d'une mitrailleuse ennemie et a organisé la défense qui a permis d'enrayer les contre-attaques ennemies."
Cité à l'ordre du Régiment N°215 du 24 mai 1917
"Officier d'un rare mérite ,modèle de courage .Le 6 mai 1917 malgré un feu violent de mitrailleuse a en payant d'exemple fait atteindre à sa section l'objectif assigné indispensable à occuper pour assurer le succès de la contre-attaque effectuée par le bataillon et arreter la progression de l'infanterie ennemie"
Blessé le 11 octobre 1917 dans le secteur d'Auberive
Citation à l'ordre de la 36 e Division N°220 du 8 novembre 1918 "
A le 19 octobre 1918 entrainé sa compagnie dans un élan remarquable et a réussi à gagner du terrain malgré un tir de mitrailleuse d'une extrême violence"
Autres archives relatives à l'Abbé Durquet à consulter au
Pôle de Bayonne et du Pays Basque AD 64, archives communales de Bayonne 5 S.
Article de ce blog
Le Monument des basques ou mémorial de la 36 e Division