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07 mars 2025

Projet d’aménagement du Camp de Gurs :une présentation mémorielle qui interroge

 

Projet d’aménagement du Camp de Gurs :

une présentation mémorielle qui interroge

 

L’ancien camp de Gurs  (1939-1945) est l’objet d’un projet d’aménagement. Pour quoi faire ? Mieux accueillir les visiteurs et lutter contre l’oubli. Sauf que la présentation mémorielle mise en ligne sur le site institutionnel   https://pays-de-bearn.fr/actualites/patrimoines/un-projet-davenir/ interroge:

« Les Espagnols, notamment les combattants basques, et les volontaires des Brigades Internationales seront les premiers à subir les conséquences de cette politique d’exclusion que le camp de Gurs incarne et concrétise. D’autres suivront. Les opposants politiques aux premières heures du régime de Vichy. Des tziganes. Puis les populations juives, déportées du Sud-Ouest de l’Allemagne tout d’abord puis tous les Juifs étrangers dans le cadre de la politique de collaboration de l’État Français. Gurs devient alors l’antichambre de la mort, étape sur un trajet mortifère vers les camps de concentration et d’extermination de Europe de l’Est »

« D’autres suivront. »

Le Vel’ d’Hiv du 15 mai 1940 ? Deux ans avant la rafle du Vel’d’Hiv, de juillet 1942, les femmes allemandes, réfugiées ou non, ont été convoquées à se rendre vers cette enceinte sportive parisienne. Plusieurs centaines d’entre elles seront convoyées vers le camp de Gurs. Cette mesure a été également appliquée dans le Sud-Ouest.

Des indésirables français sont arrivés à Gurs sous la IIIe République finissante . Ainsi, le 8 juillet 1940 un groupe d’internés en provenance de la Maison d’Arrêt de Dax. Une figure de Bayonne ,le docteur Fernand Elosu, a fait partie du transfert. Les poursuites à son encontre, remontent à novembre 1939. A cette époque, le maréchal Pétain était ambassadeur en Espagne.

A la Libération, le camp de Gurs a reçu  des « collaborateurs », des prisonniers de guerre allemands et des espagnols.

Les indésirables allemandes

mai 1940

 

On attend au Vel’ d’Hiv

                       Allemandes

Mais elles ne se pressent guère

L’Intransigeant jeudi 16 mai 1940 page 3

"Mmes les Allemandes, nos hôtesses indésirables, n’ont pas mis ,ce matin ,plus que leurs maris hier, d'empressement à se rendre à l'invitation que leur a adressé par affiche M. le Gouverneur de Paris.

Elles ont d'ailleurs toute la journée pour se présenter au Vel’ d’Hiv’ où elles seront incarcérées.

 

Un détachement d'infanterie coloniale terminait l’emménagement mobilier : bottes de paille, toiles de paillasses, couvertures, marmites et dînettes mobiles.

Ces dames devront bourrer elles-mêmes leurs paillasses et faire leur cuisine comme des soldats. Le gouvernement verse pour elles une indemnité de nourriture, comme pour un homme de troupe

A leur arrivée, elles sont immatriculées et passent un rapide examen médical. Elles sont ensuite groupées par compagnies et réparties en sections, très militairement.

Il en faudra coucher partout, dans les locaux du Vel’ d'Hiv’, sur la piste, dans les couloirs des gradins, partout.

Pour combien de temps sont-elles là ? Trois ou quatre jours , croit-on. Ensuite, elles seront   t dirigées sur un autre centre. Du moins celles qui n'auront pas été libérées, car beaucoup présentent, en arrivant, des certificats de moralité."

 

 

Les mesures concernant les ressortissantes allemandes résidant dans la zone militaire

La Gazette de Biarritz vendredi 24 mai 1940 page 2

Les femmes de nationalité allemande ou originaire des territoires de l'Empire allemand tel qu'il  était délimité avant le 1 mars 1939,et  résidant dans les départements de la Gironde, Charente-Inférieure, Landes, Basses-Pyrénées ,Hautes-Pyrénées doivent, si elles sont âgées de plus de 17 ans et de moins de 56 ans, rejoindre  dans les trois jours  le Centre de rassemblement du Camp de Gurs (Basses-Pyrénées), gare Oloron-Sainte-Marie .

Celles qui conviendraient à cet ordre seront mises en état d'arrestation et passibles des sanctions prévues à cet effet.

Les étrangères visées ci-dessus ,pourront ,à leurs frais, prendre le chemin de fer ou tout autre moyen de transport public pour rejoindre le centre de rassemblement assigné.

Elles devront se munir de vivres pour deux jours et  du matériel nécessaire pour leur alimentation : fourchette, cuillère, quart, etc. Y compris des vivres ,elles ne devront pas avoir plus de 30 kilos de bagages .

Seront exemptées de cette mesure les femmes qui produiront un certificat qui, établi par un médecin des services publics d'assistance ,les déclarera hors d'état de supporter l'internement

Les autorités civiles et militaires sont chargées de veiller à l'exécution de cet ordre.


Affiche du 28 mai 1940 _général Chauvin (1876-1940) commandant la 18 e région militaire


 

Notices individuelles des Indésirables français arrivés au camp de Gurs le 8 juillet  1940 venant de la prison de Dax

AD 64 Pau 72 W Article 71 Sous-Préfecture d’Oloron_Camp de Gurs



Les indésirables français se répartissent en plusieurs catégories :
Repris de justice
Militants ou anciens militants politiques ,
Suspects 

 

70-4_Bancheraud Pierre Louis né le 17 juillet 1892 à Cauderan (Gironde),

70-7_Bellocq Eugène Ferdinand né le 4 novembre 1881 à Bordeaux (Gironde) . Évadé nuit du 18 au 19 aout 1940

70-9_Bidondo Jean né le 30 avril 1910 à Ispoure (Basses-Pyrénées),

70-11_Blache Paul Augustin Alphonse né le 12 mars 1884 à Paris (3 e arrondissement),

70-14_Bo Michel né le 3 septembre 1881 à Toulon (Var), arrivé au camp de Gurs

70-19_Bouzigon Georges Jean Augustin,né le 10 août 1910 à Demu (Gers),. Dirigé sur le camp de Billères le 25 juillet 1940

70-20_Bragas Jean Ernest Zadré né le 19 septembre 1891 à Bègle (Gironde),

70-21_Buraud Edmond Claude né le 14 décembre 1894 à Gensuzac (Charente Inférieure),. Evadé nuit du 18 au 19 août 1940

70-23_Caserda Antoine né le 10 avril 1901 à Toulon (Var),

70-25_Catala Henri né le 4 juin 1888 à Bordeaux (Gironde)

70-28_Coucharrière Désiré né le 31 aout 1897 à Paris (Seine)

70-29_Coudret Emmanuel Joseph Ange né le 15 mai 1892 à Fougères (Ile et Vilaine)

70-30_Cren Joseph Marie né le 6 mai 1900 à Saint-Marc (Finistère)

70-34_Dauzats Jean Ernest né le 15 mars 1892 à La Bastide-St-Georges  (Tarn)

 70-35_Davias Marcel né le 22 septembre 1897 à Chevanceaux (Charente inférieure).Passé à l’ilot B le 23 juillet 1940Dirigé sur le camp de Billère Basses-Pyrénées le 25 juillet 1940

70-40_Dubernet René Jean né le 7 octobre 1913 à Port-Sainte-Marie (Lot-et-Garonne)

70-41_Dubois Jean Maurice né le 6 mars 1894 à Pessac (Gironde)

70-42_Ducos Pierre né le 21 février 1888 à Martillac (Gironde)

70-43_Duhau Lucien Paul né le 12 août 1902 à Tallance_sic_(Gironde)

70-44_Durand Firmin Emile né le 25 septembre 1911 à Biarritz.Évadé nuit du 15 au 16 août 1940

70-46_Dussin Joseph né le 16 juin 1895 à Saint-Paul-lès-Dax (Landes)

70-47 Elosu Fernand né le 28 mai 1875 à Bordeaux ex-Président de la section Bayonnaise de l’Union Soviétique.Libéré le 7 août 1940 lettre préfectorale du 3 août 1940 se rend à Aren (B.P.) pension « Bon accueil »

Compléments du blog :
9 février 2018 Fernand Elosu,un politique interné en 1940
17 janvier 2019 Jugement du 8 février 1940 à l'encontre de Fernand Elosu et Étienne Cazaux


70-48_Escoulan Paul Roger né le 16 mai 1895 Bordeaux. Évadé dans la journée du 22 au 23 août 1940.

70-49_Etchegaray Joseph né le 9 novembre 1902 à St-Jean-Pied-de-Port

70-50_Etcheverry Joseph né le 23 novembre 1913 à St-Jean-Pied-de-Port

70-51_Fauvel Eugène né le 29 novembre 1897 à Angoulême (Charente)

70-52_Ferradou Alexandre né le 1 er septembre 1893 à Bordeaux

70-54_Floras Louis René Marie Augustin né le 28 juin 1910 à Hiers-Brouage (Charente Inférieure)Passé à l’ilot B le 23 juillet 1940.Dirigé sur le camp de Billère (B.P.) le 25 juillet 1940

70-55_Fonteilles Louis né le 14 octobre 1890 à Bordeaux . Évadé dans la nuit du 22 au 23 août 1940

70-59_Germain Jean Baptiste né le 24 juillet 1915 à Ispuru (B.P.)

70-61_Giraud Isidore né le 4 février 1885 à St Bonet (Charente-Inférieure)

70-62_Grebeil Camille André né le 2 mai 1882 à Agen (Lot-et-Garonne)

70-63_Griset Fernand Jean né le 5 avril 1888 à Bordeaux.Évadé dans la journée du 26 août 1940

70-64_Gubes Gaston né le 29 janvier 1909 à Bordeaux .Évadé nuit du 15 au 16 août 1940

70-65_Guillaud Louis né le 11 octobre 1908 à Bordeaux.

70-69_Jambon André Pierre Léopold  né le 14 août 1898 à Hagetmau (Landes). Evadé nuit du 20 au 21 aout 1940.

70-71_Joubert Emile Raphael né le 12 septembre 1888 à Cadillac-sur-Garonne (Gironde)

70-76_Lagoanere Jean né le 27 avril 1875 à Castres (Gironde)

70-78_Lapeyre Elie né le 8 avril 1890 à Champeau (Dordogne)

70-82_Lecoin Louis Pierre,né le 30 septembre 1888 à Saint-Amand-Montrond (Cher).Arrivé au camp de Gurs le 21 juin 1940.Est à la Prison Militaire de Paris replié au camp. Interné administrativement.

70-83_ Louey Michel né le 22 aout 1877 à Arrens (Hautes-Pyrénées) arrivé au camp de Gurs le 6 juillet 1940 venant de la prison de Dax

70-89_Miremont Pierre Georges né le 28 juin 1884 à Bayonne .
Complément du blog : Imprimerie La Rénovatrice 4,8 quai Chaho à Bayonne

70-90_Modir Edouard Alfred né le 10 décembre 1906 à Bordeaux Évadé nuit du 15 au 16 août 1940

70-92_Mora Henri André né le 4 avril 1898 à Bordeaux (Gironde)Évadé nuit du 12 au 13 août 1940

70-97_Palomera Raymond né le 20 novembre 1889 à Bordeaux Évadé dans la journée du 26 août 1940

70-99_Pasquet Pierre Aimé Amédé né le 26 avril 1894 à Le Tech (Gironde)

70-100_Péant Gaston Etienne né le 1 er avril 1904 à Bidache (Basses-Pyrénées)

70-101_ Penaud Jean né le 1 er septembre 1892 à St Aubia-Blaye (Gironde)

70-102_Perry Jules né le 29 mai 1878 à Targen (Gironde)

70-104_Rancez Jean né le 24 mai 1906 à Bayonne Évadé nuit du 12 au 13 aout 1940

70-108_Richer Marcel,Paul,Alexandre né le 30 novembre 1895 à Amboise (Indre-et-Loire)

70-109_Riffe Édouard Raoul Eugène né le 3 novembre 1917 à Paris .Dirigé sur le camp de Billère (B.P.) le 25 juillet 1940

70-111_Robin René né le 26 février 1906 à Bouscat (Gironde). Evadé dans la journée du 26 août 1940.

70-114_Sanchez Manuel né le 21 septembre 1884 à Puebla Don Fabrique (Espagne)

70-115_Sormet Jean Urbain né le 26 novembre 1898 à Le Tourne (Gironde)

70-116_Souque Henri né le 11 aout 1895 à Preignacq (Gironde)

70-117_Sutra Péchou Noél Jean Marie né le 25 décembre 1894 à Biert (Ariège)

70-125_Tuffraud Eugène né le 19 mai 1896 à St Martin d’Ary (Charente Inférieure)

70-126_Vabre Jean né le 3 avril 1907 à Bordeaux.Evadé dans la nuit du 12 au 13 août 1940

70-127_Vaché Edouard Émile né le 30 juin 1906 à Bordeaux (Gironde) Évadé dans la journée du 26 août 1940

70-128_Vallat Etienne né le 28 février 1940 à Chazelles (Charente)

70-129_Vaudou Jean né le 4 juillet 1884 à Nontron (Dordogne)

70-130_Verdoncq Victor né le 16 septembre 1893 à Roubaix (Nord)

 

Le témoignage de Louis Lecoin

 Pacifiste, anarchiste

(70-82)


"Le camp avait été aménagé sur un terrain marécageux qui se transformait en cloaque sous la pluie. Je me rappelle être resté 18 jours sans pouvoir poser le pied dehors, je m'y serai enlisé jusqu'au ventre. Nous avions dressé un pont de planches pour atteindre les WC.

A la fin de décembre, on nous évacuera au camp de Nexon dans la Haute-Vienne.

Auparavant, il me sera donné d'assister, à Gurs à des scènes dignes du Grand Guignol.

En novembre_ les derniers internés espagnols emmenés vers d'autres cieux, ainsi que les prévenus des prisons de Paris _nous demeurions seuls dans le camp, avec un quarteron d’antifascistes internationaux ,lorsque nous assistâmes à une lamentable occupation des lieux ; un défilé ininterrompu de femmes et d'hommes de tous âges ,d'enfants de toutes tailles, ployant  sous les baluchons, trébuchant ,s'effondrent dans la boue. En flancs-gardes, des gendarmes et gardes mobiles, gueulant, sacrant et, colériques, cravachant à tour de bras ceux, notamment, qui s'affaissaient. Et la pluie dégoulinait sans interruption, noyant les larmes des gosses.

C'était 12.000 juifs allemands que l'Allemagne hitlérienne rejetait de sa communauté, les envoyant se faire pendre autre part.

Les femmes furent placées à un bout du camp, les hommes à l’opposé. Les fillettes avec les femmes ; les garçons au-dessus de 3 ans avec les hommes, même sans le papa.

La guerre est bien l'âge de la brute et l'emploi de gardien de prison ou de camp de concentration le plus vil des métiers.

Il n'est pas douteux que les régimes totalitaires excellent dans l'art d'emprisonner de torturer. Et il est fort possible que le régime hitlérien ait battu tous les records en cette matière et qu'il se situe dans le temps et dans l'espace comme le bourreau type.

Ça n’enlève rien aux autres gouvernements, aux autres régimes, et ça ne les innocente point.

J’ai vu dans un îlot proche du mien, quelques malheureux israélites suspendus aux fils de fer barbelés. L’administration du camp avait fait circuler dedans le courant électrique sans prévenir. Ils ne pouvaient se dépendre. Des cris affreux sortaient de leur gosier, pareils à ceux de bêtes qu'on égorge. Et ce supplice dura, dura… tant que leurs camarades n'eurent pas brisé les fils de fer à l'aide de madriers.

Un matin, à la suite des premiers froids, on ramena vingt morts parmi la population du camp. Et , tous les jours, ensuite ,on compta une moyenne de quinze décès.

Mauvais traitements, demi famine, hygiène déplorable, baraque pissant l’eau et laissant   « filtrer » l'air glacial par leurs planches disjointes, concoururent à cette accumulation de mort.

La radio anglaise, des journaux suisses signalèrent, m’a-t-on affirmé, le scandale de ces décès indéfinis.

Une très belle jeune fille, l’adoration de ses parents, mourut dans ces circonstances. La douleur des siens était inimaginable. L’administration, insensible, refusa à ce père, à cette mère l'autorisation de demeurer quelque temps l'un près de l’autre, pour pleurer ensemble.

Les fossoyeurs étaient débordés, et un gendarme paterne, me conduisant à l'hôpital pour des soins dentaires, voulus me le faire constater de visu .Il m'emmena vers un local dont il ouvrit la porte .Quelle horreur !De nombreux cadavres étaient empilés les uns sur les autres, pêle-mêle ,le nez et les oreilles mangées par les rats !

Les rats ne se contentent pas de grignoter les morts. Ils attaqueront les vivants quand le froid s'intensifiera et qu'il neigera. Les antifascistes internationaux durent toute une nuit défendre contre leur baraque prise d'assaut. L’un d'eux mourut des suites de morsures.

J’ai quitté Gurs avec l'impression que ses  geôliers  croyaient  remporter une victoire sur l'Allemagne, une sorte de revanche en leur faisant mourir des juifs allemands. »



Louis Lecoin
De prison en prison
Edité par l'Auteur
73,rue Camille-Pelletan ANTONY-SEINE
Achevé d'imprime le 30 aout 1947

  

Bibliographie sélective



Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques
Le camp de Gurs
Dossier pdf à télécharger 

https://archives.le64.fr/fileadmin/mediatheque-satellite/archives/documents/2_Decouvrir/dossier-pedagogique_gurs/campdegurs2.pdf


L’ouvrage de référence :
Claude Laharie, agrégé d’histoire
Le camp de Gurs 1939-1945 un aspect méconnu de l’histoire de Vichy
J&D Éditions
Dépôt légal octobre 1993
ISBN 9 782906483897

 

Hanna Schramm et Barbara Vormeir
Vivre à Gurs
Un camp de concentration français 1940-1941
Collection Actes et mémoires du peuple.François Maspero
Dépôt légal :1 er trimestre 1979
ISBN 2-7071-1070-1

 

Lilo Petersen
Les oubliées
« Moi,Lilo Petersen,allemande,protestante,emportée en 1940 par la première rafle du Vel’d’Hiv dans les camps de concentration français… »
Éditions Jacob-Duvernet
Dépôt légal :novembre 2007
ISBN :978-2-84724-174-7

 


Et pour élargir la réflexion, un ouvrage très intéressant hors périmètre du camp de Gurs
Lucie Hébert
Les victimes n’étaient pas assez belles
Déportation,mémoire &exclusion
Éditions Grevis Caen, 2023
32 avenue de Creully-14000 Caen
ISBN :978-2-492665-09-7
Quatrième de couverture:

« Les monuments aux morts de la Deuxième Guerre mondiale sont nombreux dans nos villes Les hommages aux déportés et fusillés sont ritualisés et leur tragédie est l'objet d'un apprentissage scolaire.

Pourtant, au cœur de ce « devoir de mémoire » se cache un oubli de taille.

Méthodiquement le sort terrible d'une partie de ces victimes a été doublé d'un oubli institutionnel. Parce qu'ils ont  été considérés comme coupables de faits de droit commun, la République française a fait de ces hommes et ces femmes des parias de la mémoire et du droit à la réparation. Lucie Hébert nous raconte l'histoire de la mise au  ban de ceux qui ont été jugés indignes de la République. »

 

29 décembre 2024

Contrebandes ,violences,et menaces de mort

 

Contrebandes,violences,menaces de mort

Bayonne-Biarritz-Urrugne été 1942

Les Archives départementales de la Gironde conservent un dossier du SRPJ  Bordeaux étiqueté « Association de malfaiteurs, Bayonne et Biarritz » particulièrement éclairant .Le dossier renferme des pièces relatives aux agissements pendant l’été 1942 d’un petit groupe de malfaiteurs bayonnais et parisiens .Plusieurs de ces individus sont liés à la Gestapo française du 93 rue de Lauriston Paris 16e, organisation criminelle  que dirige Henri Chamberlin dit Henri Lafont. L’équipe présente sur la Cote basque , trafique, vole, frappe, menace impunément.

Parmi les noms cités dans le dossier du SRPJ Bordeaux::

Lionel Alphonse Augustin Marie Joseph WIET, faux marquis, vrai escroc, né le 8 juin 1899 à Constantinople de Ferdinand Léonel Marie Joseph WIET, consul, et Elvira Augusta Sophie CATONI.
La marquise De Wiet ,prénommée Renée sans autres renseignements,

Hubert Charles CAZAUBA ,né le 3 novembre 1906 à Dax,de Jean Baptiste et Marie Ducasse,décédé le 16 août 1944 à Germigny-sur-Loire (58124)

Marie GARASSU Marie,dite GARAT,épouse de Émile Henri Camille  Garassu  dit Henri GARAT ,acteur de cinéma. Elle est également connue  sous  le nom de comtesse TCHERNYCHEFF.

Lucien André PREVOST né le 24 avril 1906 à Paris 6e ,de Gaston et  Macé Marie-Louise.
Fusillé le 18 mars 1949 au fort de Montrouge situé à Arcueil (94110)

Louis PAGNON ,dit « Eddy "né le 30 juillet 1904 à Paris 10e,de Elysé Benoit Louis et Juliette Marie Perdon
Fusillé le 27 décembre 1944 au fort de Montrouge (94110 Arcueil)

Adrien ESTEBETEGUY né le 4 janvier 1897 à Bayonne ,13 rue de l'abattoir,quartier Saint-
Esprit,fils de Pierre et Dourisboure Marie .Son frère Émile né le 25 juillet 1915 à Bayonne.
Assassiné par le docteur Marcel Petiot,probablement le 26 mars 1943 (Source:David Alliot LA CARLINGUE la Gestapo française du 93,rue Lauriston.Pages 293-301)

Gisèle Charlotte ROSSMY née le 26 mars 1909 à Maisons-Alfort (94) de Charles et Alice Chantrieux.
Maîtresse d'Adrien Estebetéguy.
Assassinée par le docteur Marcel Petiot,probablement le 28 mars 1943.(Source:David Alliot LA CARLINGUE la Gestapo française du 93,rue Lauriston.Pages 293-301)



Biarritz,le 20 août 1942

Le Chef de la Sûreté DUCASSE Joseph

A Monsieur le Commissaire de Police

Vu et transmis à Monsieur le Sous-Préfet de Bayonne le 20 8 1945

J'ai l'honneur de porter à votre connaissance les faits suivants :

Il y a un mois environ est arrivé, à BIARRITZ une bande de gros souteneurs de PARIS dont certains sont des repris de justice dangereux qui se livrent au trafic du marché noir au vu et au su de tout le monde sont le couvert des Autorités occupantes.

Ces individus ayant paru suspects, j'ai délégué deux inspecteurs de la Sûreté pour les identifier à la villa « Macarena », Avenue maréchal Foch, où ils habitent en partie et à l'avenue de Frais, où habitent l'autre partie.

Les Inspecteurs ont été reçus sur le pas de la porte par le chef de bande, le dénommé « Lucien », dit marquis de WIET, lequel leur a fait connaître qu’il n'avait rien à dire à la Police Française, car il travaillait pour les troupes d'occupation .

Ne voulant pas forcer la consigne, les inspecteurs n'ont pas insisté et m'ont rendu compte de leur mission qui avait échoué.

Conformément aux instructions relatives à la déclaration obligatoire pour les voyageurs, j'ai fait aviser la Feldgendarmerie de BIARRITZ, des difficultés que venaient de rencontrer mes inspecteurs pour identifier ces personnes étrangères à la ville.
Le service de la Feldgendarmerie de Biarritz m'a fait connaître le lendemain de cette intervention que les dites personnes travaillaient pour les troupes d'occupation et que nous devions les laisser tranquilles.

De nouveaux faits viennent se greffer à cette affaire.

Il  y a une dizaine de jours, une jeune fille de mœurs légères a été victime d'une agression de la part du prénommé Charles, faisant partie de la bande.

Cette femme qui était venue se plaindre à la Police Française a été menacée d'être tuée par eux ainsi que moi-même, M.DUCASSE, Chef de la Sûreté, qui avait reçu les doléances de cette personne.

Quelques jours après, un autre français ,qui aurait traité une affaire de marché noir avec eux aurait été menacée d'être écrasé par  une de leurs voitures ,un de ces jours, dans la rue ou abattu à coups de revolver.

Un sujet espagnol dont la femme alsacienne exploite une maison de tolérance à Arcachon a été mis en demeure de verser la somme de 10.000 francs, toujours par la menace .

Ces individus auraient dit à cet étranger qu'ils avaient des revolvers pour abattre celui qui ne céderait pas leurs démarches et que si des membres de la Police Française intervenaient, ils sera abattus également.

Bien que l'identité de ces individus soit ignorée, il m'a été permis de savoir qu'il s'agissait d'une bande de sept ou huit des plus grands repris de justice français, dont deux seraient condamnés à mort et évadés.

L'un d'eux se serait évadé de la prison d'Alger avant la guerre, l'autre serait le précédent tenancier de la maison close « Le Royal » à DAX.

Cette bande à a sa disposition plusieurs voitures automobiles qui circulent tant  la nuit que le jour à BIARRITZ et dans la région.

Il n'est pas douteux que sous le couvert des autorités occupantes, cette bande se permettre d'agir de la sorte en faisant verser de l'argent sous la menace de l'arme et en essayant d'intimider les services de la Police Française.

Signé :DUCASSE.

 

Bordeaux, le 10 septembre 1942

L’INTENDANT RÉGIONAL DE POLICE
A Monsieur le SOUS-PRÉFET de Bayonne


OBJET : Activité d’individus louches à Biarritz

J'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai fait part à M. le Commandant LUTHER, Chef du Service allemand de sûreté à Bordeaux, des inconvénients que peut présenter pour le maintien du bon ordre ,le séjour à Biarritz des repris de justice que vous avez signalés à M. le Préfet Régional.

Je vous indique par une note M. le Commandeur LUTHER me fait savoir que Charles CAZAUBA ne doit pas être arrêté, et quittera Biarritz vraisemblablement en septembre

P/L’Intendant Régional

   

Bordeaux,le 2 octobre 1942

L’inspecteur de Police Mobile QUEFFELEC à

Monsieur le COMMISSAIRE DIVISIONNAIRE

Chef de la 7 eme Brigade Régionale à BORDEAUX.

 
J'ai l'honneur de vous rendre compte les résultats de l'enquête quelle nous sommes livrés, en vertu de la commission rogatoire de M. le Juge d'Instruction de Bayonne, relative à une association de malfaiteurs
Avec l'appui de certains membres de l'autorité allemande, un nommé Henri LAFON a organisé, à Paris, un service qui semblerait être chargé de récupérer toutes sortes de marchandises et principalement de l'or et des devises. Des équipes formées de repris de justice tel que : Abel DANOS condamné à mort pour crime de droit commun, CAZAUBA Charles évadé de Clairvaux, VIET Lionel huit fois condamné etc… parcourant la région occupée à la recherche de marchandises. Tous sont armés et certains seraient porteurs de cartes officielles de la police allemande. N’importe quel procédé sont employés par eux. Un de ceux-ci est le suivant : la recherche d'une personne ayant de l'or .L’'un se présente comme acheteur, s'il fait affaire, au moment du paiement deux autres de ses acolytes interviennent, se disant de la police ,saisissent la marchandise et disparaissent. Le volé ne peut pas porter plainte, car il sait qu'il pourrait être poursuivi pour trafic de devises. Un autre procédé consiste à effectuer des perquisitions, principalement chez d'anciens bijoutiers ; après s'être présentés comme des Inspecteurs de la Sûreté Nationale, ils raflent la marchandise qu'ils découvrent la Police Française s'est trouvée face à face avec ces individus, tant à Paris qu'à Bordeaux. En 1941, dans cette dernière ville, alors qu'une équipe de faux policiers venait de pénétrer dans un appartement, ils se trouvèrent avec des Inspecteurs de la Police Municipale.

D'un côté comme de l'autre on sortit les armes et après discussion la police française dut abandonner son enquête.

Un fait à peu près semblable vous êtes arrivé à PARIS où, accompagné de l'Inspecteur Principal CASTEX de la Police Judiciaire et de l'Inspecteur GIRARD de notre Service nous étions présentés chez un receleur nommé CASTAGNA Guiseppe dit « Pépine » 67 bis avenue de Wagram, qui avait acheté une quantité importante de bijoux provenant de la région bordelaise .CATAGNE refusa de répondre à nos questions , de nous suivre à la Police Judiciaire et le droit de perquisitionner dans le logement sans l'assistance d'un Officier Supérieur. Il téléphona ; nous passa à la communication d'un soi-disant service allemand qui nous enjoigna de quitter les lieux sur le champ sans quoi on viendrait nous sortir à coups de pied dans le derrière.

Effectivement, à peine le récepteur accroché ,deux individus firent irruption dans le logement ,l'un d'une carrure athlétique nous fit comprendre qu'il était temps de partir ;nous quittâmes les lieux et la police judiciaire faisait arrêter quelques jours après le nommé CASTAGNA qui ne reste que 48 heures en prison ,quoique nous avions apporté la preuve formelle du recel.

Nous trouvant à Paris le lundi 28 septembre et recherchant CAZAUBA pout l’interroger sur l'affaire qui nous concerne, nous l'avons rencontré dans une boîte de nuit de la place Pigalle « Le Chapiteau » et avons reconnu en lui l'homme qui nous avait donné l'ordre de quitter le logement de CASTAGNA.

Nous avons pu approcher certains individus du « milieu » sortis de prison qui ont été les hommes de LAFON, mais qui m'ont dit s’en être séparés parce qu'ils ne voulaient pas être mêlés aux procédés employés par certains d'entre eux pour se débarrasser des personnes gênantes : tracts ou arme trouvés au cours de perquisitions, faux rapports aux troupes d'occupation dénonçant les personnes comme gaullistes ou communistes.

Lafont et certains de ses hommes sont connus de la Préfecture de Police mais leur activité échappe à ses services parce qu'ils travaillent surtout en province. Certains inspecteurs n'ont-ils pas été arrêtés parce qu'ils avaient suivi LAFON. L’Inspecteur Principal MAIZO de la P.J. n'a t-il pas eu, lui aussi, le revolver braqué sur la tempe. CAZAUBA a dit vrai quand il a outragé les gendarmes de Bayonne le 12 août 1942 en leur disant, que comme leurs collègues, il les ferait arrêter. Effectivement, on sait dans le « milieu » que des gendarmes ont été arrêtés, mais ce que CAZAUBA a omis de dire, ce sont les raisons et les moyens employés pour motiver l'arrestation.

Il serait des plus utile de centraliser toutes les affaires effectuées par cette bande et principalement celle des « faux policiers » .Il y aurait certainement des surprises car il ne faut pas croire que ces gens sont dévoué à l'armée occupante ;ils travaillent surtout pour leur compte personnel ,c'est ce qui leur permet de pouvoir ,comme ils s'en vont dépenser 10 à 20.000 francs par jour dans une vie de luxure invraisemblable.

Ce sont des hommes d'une de ces équipes qui sont venus au mois de juillet 1942 louées la villa « Macarena » à Biarritz, semant la terreur parmi la population, menaçant la police, outrageant les Gendarmes ,frappant les filles soumises, faisant des scènes d'orgie dans les cafés fréquentés par eux, volant la marchandise des contrebandiers, sortant leurs revolvers à tout bout de champ et menaçant ouvertement de brûler la cervelle à quiconque viendrait les déranger.

(...).

Tous circulent en voiture et ont à leur disposition de camionnette pour transporter la marchandise qu’ils vont chercher dans la montagne.

Tous ces individus ont de nombreuses années de prison à purger mais aucun ne se voit dans l'obligation de faire sa peine.

ESTEBETEGUY Adrien a été condamné l'an dernier à quatre ans de prison pour escroquerie et à un an de la même peine pour violences à agents ne croit pas devoir faire ses peines. Nous l'avons fait arrêter par la gendarmerie de Belin le 17 septembre 1942 alors qu'il nous avait échappé à Biarritz et contre lui, M. le Juge d'Instruction de Bayonne avait lancé un mandat d’arrêt. Écroué au Fort du Hâ,il était le lendemain demandé par les autorités occupantes, amené à Paris et remis en liberté Lors de son arrestation il était accompagné d'un nommé Charles LOMBARD. Ce dernier figure au B.P.C. et quoique n’ayant pas purgé sa peine, il bénéficie, tout comme CAZAUBA, d'une cessation de recherche.

Au cours de cette enquête, nous avons eu à mettre à exécution trois mandats d'arrêt de Mr. le Procureur de la République de Bayonne contre les nommés Lxxx,Cxxx,et Emile ESTEBETEGUY qui ont été condamnés par la Cour d'Appel de Bordeaux à six mois de prison pour trafic de fausses cartes d'identité .Nous savons que ces individus seront remis en liberté avant 15 jours. Ils retourneront à leur trafic, il nous restera à nous le soin de découvrir à nouveau les personnes qui viendront sur la côte avec de fausses cartes. La police et la Justice continueront à être bafouées par tous ces Messieurs.

(...)

Nous devons à la vérité de dire qu'Adrien ESTEBETEGUY, au cours de son arrestation, a été d'une correction parfaite. Il est le seul homme, avec LOMBARD qui ne veut pas travailler avec LAFONT et a toujours refusé de porter sur lui une arme quelconque.

Le temps matériel nous a manqué pour identifier toute la bande et en connaître l’activité.


 

Biarritz,le  15 septembre 1942

Audition de Yxxx Henri,36 ans, commerçant, demeurant à Biarritz (B.P.) , avenue de Verdun.

Dans le courant du mois d'août ;à une date que je ne puis vous préciser, j’ai fait la connaissance, au Café Terminus à Biarritz, d’un individu qui m'a dit être venu à Biarritz pour se reposer.

Vers sept heures le soir, nous sommes venus prendre l'apéritif à mon café, et là au cours d'une conversation, mon compagnon m'a dit que personne ne pouvait le gêner. Il m’a donné comme exemple, qu’un certain, Monsieur DUCASSE, Chef de la Sûreté s'était permis de le convoquer, il n'a pas daigné répondre à sa convocation et que si ce monsieur insistait « je  le descendrai comme tous ceux qui peuvent me gêner, car je ne reçois des ordres que de Berlin ».En me disant cela, il avait sorti son revolver, qu’il il avait dans la poche de son pantalon.

J'ai senti que cet individu m'attirait sur un terrain dangereux j'ai détourné la conversation.

Lorsque je suis sorti du Café Terminus toujours accompagné de ce monsieur, nous avons rencontré un autre individu avec qui il s'est arrêté pour causer. Sans bien prêter attention à la conversation, j'ai compris qu'il s'agissait du chargement ou du déchargement d'un bateau en provenance sur la destination de l'Espagne.

Je connais ;Mr Ducasse, Chef de la Sûreté ,depuis de nombreuses années, je le considère comme un brave homme, j'ai cru que c'était de mon devoir de l'avertir.

 S.I.La photographie que vous me présentez et que vous me dites être celle d'un nommé PREVOST Lucien ,est bien celle de l'individu que j'ai rencontré au Café Terminus et qui m'a tenu ces propos .

Cet individu voyageait avec une Citroën, traction avant décapotable, dont je n'ai pas relevé le numéro. Je sais qu'il habitait une villa à Biarritz, avenue Foch.

Lecture faite persiste et signe.

 

Sxxx Marguerite,35 ans, fille soumise, demeurant à Biarritz (B.P.) ;

Au début du mois de juillet, quatre ou cinq individus sont venus louer la villa Macarena à Biarritz pour la saison.

Un jour, au Palermo, un de ces individus m'a invité à table et le même soir, au Lido, je « montais » avec lui, il m’avait remis gentiment cinq cents francs.

Par la suite, je rencontrais  souvent cet individu que je connaissais sous le prénom de LUCIEN, soit au Palermo, soit au Lido ,lorsque le 28 juillet ou plutôt le 29 vers deux heures du matin, Lucien et un de ses amis qui venait d'arriver, m'invitèrent à leur table. Lucien me présenta à un camarade pour être un prénommé Charles. Par  la suite, une de mes compagnes, nommée Arlette Lxxx ,est venue à notre table et à engagé la conversation avec Lucien .Un moment après ,Charles crut devoir me faire savoir qu'il avait quitté  le milieu et qu'il  travaillait pour les Allemands. Il a ajouté que s'il appartenait encore à ce milieu, il aurait des comptes à me demander, car il n'était pas régulier que je travaille pour moi et non pour un « barbeau ».Je lui ai répondu que j'avais encore le droit de vivre comme je l'entendais.

Nous avons quitté le Palermo pour boire le champagne au Carlton. A cet établissement, Charles dormait ou tout au moins fit semblant. Je demandais alors à Lucien et à mon amie Arlette ce que Charles avait voulu dire quand nous nous trouvions au Palermo. Lucien m'a répondu que ce n'était rien et que je n'avais pas à y prêter attention.

Vers deux heures le matin, nous quatre avons quitté le Carlton ; Arlette monta dans la voiture de Lucien et moi dans la voiture de Charles.Je pensais que Charles voulait me reconduire à mon domicile, mais je suis surprise de lui voir conduire la voiture dans une direction contraire.

Arrivés à proximité du terrain de golf de Biarritz, Charles a arrêté sa voiture et me dit qu'au Carlton il n'avait pas dormi et qu'il avait tout entendu. Il me frappa violemment au visage avec les deux poings, il a ouvert la portière et m'a jetée en bas, puis il est parti.

Je me suis aperçue, lorsque je me suis relevée que la glace de mon poudrier était cassée et que par les coups mes boucles d'oreilles étaient tombées.

Je suis rentrée chez moi et le lendemain je me suis rendue chez le docteur Jaulerry de   Biarritz qui m'a donné les soins que nécessitait mon état et m'a remis un certificat.

 Porteur de ce certificat, je suis venue le même jour au Commissariat de Police de Biarritz, où  le Chef de la Sûreté m'a dit qu'il ne pouvait rien faire contre ces individus et me conseilla de me rendre auprès des troupes d'occupation pour porter plainte.

 J'ai eu la figure tuméfiée pendant plusieurs semaines et ai été obligée de rester chez moi.

A ma première sortie et quoiqu'ayant encore la figure pourtant les traces des coups que m'avait portés Charles, je me suis rendue un soir au Palermo. A la porte de cet établissement, j'ai été accostée par un individu que j'ai su par la suite se nommé « EDDIE »i et qui m'a tenu ces propos : « Madame, si j'ai un conseil à vous donner ,c'est de ne plus revenir ici ,car il y a un certain monsieur qui, à chaque fois qu'il vous verra , « vous cassera la figure »,et si toutefois il n'était pas là ,c'est moi qui prendrais « ses crosses » et vous « casserais la gueule ».Je n’ai pas insisté et je suis partis.

À quelques temps de là, et sachant que Charles , Lucien  et son équipe allaient quitter Biarritz, je suis retourné au Palermo et j'ai été surprise d’y  rencontrer  Lucien et un de ses amis prénommé Georges .Lucien m'a invitée à fumer une cigarette ,car il avait quelque chose à me dire. Il m'a semblé légèrement pris de boisson, m'a dit que j'avais eu tort de porter plainte contre Charles, car il n'y avait rien à voir avec la Police Française, qu’il « emmerdait » la Felgendarmerie et que si les Messieurs de la Feldkommandantur  n'étaient pas contents, ils les enverrai se faire casser la gueule en Russie. J’ai répondu à Lucien que Charles n'avait eu aucune raison de me frapper. Il  m'a répondu qu'ils avaient tous les droits, même celui de me tuer au d'abattre n'importe quel policier français. En disant cela il a sorti son revolver et m’'a dit que puisque c'était lui qui était chargé de faire la Police à Biarritz, on me mettrait à  la Maison Blanche d'ici trois ou quatre jours.

Il y a une dizaine de jours environ, Arlette Lxxx, à qui je causais très peu depuis cette histoire, est venue me voir chez moi. Elle m’a proposé de venir déjeuner avec elle et qu'après elle me présenterait à un marquis. Elle m’a expliqué que nous devions passer l'après-midi dans une villa et qu'ensuite « Eddie » me remettrait cinq cents francs de la part du marquis. J’'ai tout de suite compris qu'il s'agissait d'un ami à Lucien et Charles se faisant passer pour marquis et comme j'avais déjà eu affaire à Eddie, j'ai refusé la proposition d’Arlette, car j'ai eu l'impression qu'on voulait m'attirer dans une mauvaise affaire.

S.I. »J'ai l'impression que l'équipe au « marquis » invite les officiers allemands  à dîner avec eux pour se donner du prestige .Beaucoup de ces derniers ,qui y ont dîné une fois ,ne veulent pas y retourner.

S.I.Le certificat que m'avait délivré le docteur Jaulerry ,a  été remis par moi à la Feldgendarmerie allemande, à l'appui de ma plainte .Je demanderai au docteur de m'en fournir un duplicata que je laisserai à votre disposition au Commissariat de Police de Biarritz.

S.I. Tout le monde sait dans la région que l'équipe de WIET  veut se réserver le monopole de la contrebande qui se fait avec l'Espagne et pour ce, ils dénonceraient  tous leurs concurrents et les feraient  arrêter par les autorités occupantes.

Tout le monde sait également qu’ils pratiquent le chantage sous différentes formes pour se faire remettre de l’argent, mais comme tout le monde les craint-,il vous sera difficile d'obtenir des renseignements.

S.I. Je sais qu'une femme qui avait couché avec Roger Cxxx  a été menacée par ce dernier parce qu'elle refusait de « travailler « pour lui et que par crainte elle a quitté Biarritz,il  y a trois jours .(…).

Lecture faite persiste et signe.

L’Inspecteur de Police Judiciaire.

 

Sxxx,Suzanne,53 ans, masseuse, demeurant à Biarritz

(…).Elle me répète une conversation que l’un d’eux lui avait tenue. Cet individu qui je crois se nomme PREVOST, lui aurait dit un jour, qu’il avait suffisamment d’ennuis avec les « flics » de Paris pour que ça ne recommence pas ici, et que le premier qui viendrait l’embêter, il le « descendrait ».

Comme tout le monde, j'ai su que l'équipe d'un »Marquis de Wiet » qui habitait à la villa Macarena ,et où Madame GARAT avait ses grandes et ses  petites entrées faisait un commerce incroyable. Madame GARAT  s’est elle-même vantée d’avoir gagné un million en une semaine.

Tout le monde sait également que trois  contrebandiers s'étaient fait arrêter à Urrugne et que Mme GARAT est allée les chercher avec sa voiture et les a ramenés.

Si personne n'a averti la Police, c'est parce qu'on savait que cette bande était composée de souteneurs et de repris de justice, qu'ils étaient tous porteurs de revolver et que tout le monde en avait peur.

Lecture faite persiste et signe

 

17 septembre 1942

Uxxx Pierre,33 ans charpentier, demeurant à Uurrugne

Il y a quelques temps déjà, j'ai procuré à un nommé Charles, habitant villa Macarena à Biarritz une certaine quantité de bas et de chaussettes de laine. Sur ce marché, il me doit une somme de 40.000 francs environ.

Mardi 15 septembre ,j'ai eu la visite d'un camarade à Charles ,un nommé ESTEBETEGUY Adrien, qui m'a fait savoir que je devais lui remettre une somme de cent mille francs  sur le marché que j'avais fait faire à  Charles .J’ai répondu à Estebeteguy  que ce n'était pas moi le vendeur de la marchandise et que je n'avais pas d'argent .Estebeteguy a ajouté  qu'il fallait que je lui verse quand même cette  commission de cent mille francs, qu'il avait le droit de faire de moi ce qu'il voulait et que si je ne payais pas, il me « descendrait ».

Lorsqu’Adrien ESTEBETEGUY m'a tenu ces propos, il était en compagnie de son frère Émile. Estebeteguy doit revenir me voir aujourd'hui pour que je lui remette de l’argent, je me vois donc dans l'obligation de me sauver et de me cacher, car je crains qu'il m'abatte.

Je sais comme tout le monde dans la région, qu’Estebeteguy appartient à la bande à Charles , que ce sont des individus dangereux.

Il y a quelques temps, ils se sont emparés d'une certaine quantité de marchandises, à la Maison Sxxx à Urrugne et sous la menace du revolver, ils l'ont emportée sans la payer.

Sxxx n'a pas été le seul à être victime de la bande à Charles. Dans la montagne, ils ont souvent renouvelé cette opération.

Je n'ai pas peur d'être abattu par Estebeteguy, mais ce que je crains qu'il me fasse arrêter, pour une raison quelconque, par les autorités allemandes, pour se venger et m'obliger de payer.

Lecture faite persiste et signe

  

Rapport journalier de mission

Queffelec_Girard_de Lestable

Affaire N°470

Association de malfaiteurs

Audition du contrebandier Uxxx à Urrugne,qui nous a déclaré avoir fourni une très importante quantité de bas et de chaussettes à l’équipe de la villa Macarena. Hier il a reçu la visite d’Estébétéguy Adrien qui l’a mis à l’amende de 100.000 francs, représentant sa commission. Faute de paiement aujourd’hui, il a menacé de le tuer.

(…)

19 septembre 1942

Estebeteguy Adrien,45 ans, hôtelier, sans domicile fixe

Je me nomme ESTEBETEGUY Adrien né le 4 janvier 1897 à Bayonne (Basses-Pyrénées),de Pierre et de Dourisboure Marie.

Je suis célibataire.

J’ai eu quatre ou cinq condamnations, qui sont tous amnistiés. Le 16 juillet 1941, par la 16 e Chambre correctionnelle de la Seine, j’ai été à nouveau à quatre ans de prison, mille francs d’amende et cinq ans d’interdiction de séjour, pour tentative d’escroquerie. Cette condamnation m’a été notifiée par les Services de la Police Judiciaire à Paris. J’ai été arrêté, puis relâché peu de temps après, sur l’intervention des Autorités occupantes. J’avais donc le droit de penser que je bénéficiais d’une remise de peine, c’est la raison pour laquelle je n’ai pas fait opposition à ce jugement qui m’avait condamné par défaut.

D. Quels sont vos moyens d’existence ?

R. Je suis millionnaire depuis quinze ans, mais je ne peux cependant en faire la preuve. Je ne possède aucune valeur, aucun compte en banque.

C’est moi qui subviens à l’existence de toute ma famille à qui j’envoie dix mille francs par mois environ. J’ai remis il y a trois jours environ, une somme de dix mille francs à ma mère et je lui ai fait envoyer, il y a cinq jours de Paris, une somme de vingt mille francs. C’est Madame ROSSMY, ma maîtresse, ou peut être mon frère Joseph, qui a du envoyer cette somme.

Ma maîtresse, ainsi que mon frère Joseph, sont comme moi, sans domicile fixe.

Je reçois mon courrier un peu partout : Poste Restante Bureau 93,à Neuilly, rue Lauriston, etc…

Mon frère Joseph est malade, c’est pourquoi je le garde avec moi à Paris. Je ne le mêle jamais à mes affaires. Toutefois mon frère Emile, quand il descend à Paris, me seconde dans mes affaires de famille. Je suis actuellement en train de lui monter une « maison » à Rouen. L’affaire que je lui avais trouvé à Hourtin n’a pas tenu.

S.I._Il y a une semaine environ que j’ai quitté Paris et je suis arrivé sur la Cote Basque, samedi dernier, je crois. Accompagné de mon frère Émile, j’ai fait mes affaires personnelles sur la Cote, tant à Bayonne, que Biarritz et Saint-Jean-de-Luz.

J’ai vu du monde à Saint-Jean-de-Luz, mais je n’ai pas rencontré Uxxxx, seul avec mon frère, et j’ignore tout des transactions de cet individu que je ne connais même pas.  Pour ce qui est de mes affaires personnelles, je n’ai rien à vous dire.

Lecture faite persiste et signe (…)

 

 

21 septembre 1942

Rapport journalier de mission

Queffelec_Girard_de Lestable

Affaire N°470

Association de malfaiteurs

Audition du jeune Louis Estébétéguy qui a reconnu avoir servi d’intermédiaire entre Cazauba et le contrebandier Uxxx (…)

 

22 septembre 1942

Estebeteguy Émile,27 ans, sans profession, demeurant à Bayonne,39 rue Pannecau

Je me nomme ESTEBETEGUY Émile né le 25 juillet 1915 à Bayonne (Basses-Pyrénées),de Pierre et de Dourisboure Marie.

Je suis célibataire.

J’appartiens à la classe 1935-recrutement de Pau-service auxiliaire.

J’ai été condamné le 20 juillet 1942 par la Cour d’Appel de Bordeaux à six mois de prison pour fabrication de fausses cartes d’identité,(…)

D. Quels sont vos moyens d’existence ?

R. Je vis chez mes parents dès que nous fait parvenir mon frère il et Adrien malade réformé 2 fois pour ganglion tuberculeux et ennemi général je suis dans l'impossibilité de travailler

D.Quels sont les objets de vos fréquents voyages à Paris ?

Je vais rendre visite à mes frères Adrien et Joseph.

(…)

Il est faux que mon frère Adrien et moi, ayons menacé de mort l'un des frères Uxxx. Je ne crains pas de vous dire la vérité et je vais vous expliquer comment je suis entré en affaires avec ces contrebandiers.

Fin juillet dernier je crois, un nommé CAZAUBA  Charles m'a demandé de lui faire connaître des personnes susceptibles de lui vendre de la marchandise, principalement en lainages, chaussettes et bas.

Je me suis mis en quête de lui trouver vendeur et suis allé voir Uxxx Pierre et Martin ,avec qui il a été convenu que pour toute la marchandise livrée à CAZAUBA ,je toucherais une commission d'un franc par paire de chaussettes.

Pour la première affaire ,une certaine quantité de marchandises a été saisie, soit par la douane français, soit par la douane allemande, il y en avait pour quatre cent mille francs  environ.Je me suis arrangé pour la faire débloquer et remettre à CAZAUBA et le reste de la marchandise qui n'avait pas été saisi a été livrée normalement à CAZAUBA.

Uxxx devait me remettre pour cette affaire, une somme de trois mille francs environ.

D'autres transactions ont été effectuées par la suite sur de plus grosses quantités de marchandises entre Uxxx et CAZAUBA.J'ai senti que Uxxx ne voulait pas me payer les commissions qu'il me devait. Je n'ai pas insisté, pensant bien qu'un jour, je le rencontrerais.

la semaine dernière mon frère Adrien, est venu en mission avec un officier des troupes d'occupation.Je les ai accompagnés sur la Côte et en ai profité  pour passer voir U xxxque j'ai rencontré chez lui à Urrugne.

J’ai demandé à Uxxx  Pierre s'il avait l'intention de me verser ma commission et que j'étais prêt à un arrangement sur la somme de cent mille francs.Il m'a répondu qu'il consulterait son frère Martin.Je l'ai quitté en lui disant que je lui donnais quarante huit  pour s'exécuter.Depuis je ne l'ai plus revu .

Je vous affirme qu'à aucun moment je n'ai menacé Uxxx de mort .Si ce dernier a pris ma conversation pour une menace , il s'est trompé ,car j'ai un autre moyen de faire du mal à Uxxx, sans avoir besoin de l'abattre.

Mon frère Adrien ne connaissait pas Uxxx et à aucun moment ne  lui a adressé  la parole.Je crois même qu'il n'est pas descendu de voiture .Charles Lombard qui nous accompagnait, pourra peut-être pourra vous le confirmer.

Je ne m'explique pas pourquoi Uxxx a  porté cette affaire devant la Justice ,puisque je vous le répète, il ne s'agit que d'une affaire de contrebande.

Je ne sais pas si CAZAUBA doit de l'argent a Uxxx.

Je me doute que CAZAUBA a fait d'autres affaires avec les frères Uxxx, mais depuis un moment déjà, je m'étais retiré et n'apparaissait plus dans leurs marchés.

Je  n'ai jamais entendu dire que l'équipe à CAZAUBA  avait enlevé à des contrebandiers de la marchandise sans la payer.

Lecture faite et persiste.

 

23 septembre 1942

Rapport  journalier de mission

Queffelec_Girard_de Lestable

Affaire N°470

Association de malfaiteurs

Arrestation et audition du sieur Estebétéguy Émile qui a reconnu avoir réclamé une commission de 100.000 francs au contrebandier Uxxx mais à nié l’avoir menacé de mort.

Audition du contrebandier Zxxx à Urrugne. (…)

 

Sources

Salle de lecture

AD 33 74 W Article 79 Dossier N°1299_Service Régional de Police Judiciaire Bordeaux 

En ligne

  • AD 75 État civil de Paris à partir de 1860
  • AD 75  Recrutement militaire de la Seine /Registres matricules du recrutement (1887-1921) Wiet Lionel Alphonse Augustin Marie Joseph Matricule 1003 D4R1 2144_(8 vues)
  • AD 75 _Mariage GARASSU (GARAT) -TCHERNICHEFF-BESOBRASOFF_19 juillet 1939 Paris 16_1939 , Mariages , 16 16M 282_B Acte N°1131 Vue 27/31

  • AD 75 Sources généalogiques complémentaires/Cimetières et pompes funèbres/Cimetières/Registres journaliers d'inhumation .Les fusillés au fort de Montrouge à Arcueil,ont été inhumés au cimetière parisien de Thiais (94320) La recherche s'effectue par date d'inhumation.

 

  • AD 40_Acte de naissance de Cazauba Hubert Charles Dax-Naissances-1905 - 1908-4 E 88/179 Acte N°173 Vue 111/233
  • AD 40_Acte de mariage de Cazauba_Dax-Mariages-1933 - 1934-4 E 88/224 Vue 131/155

 

  • AD 64 Registres paroissiaux et d'état civil/Bayonne/Bayonne/état civil/Naissances 1892-1902 Acte de naissance d'Adrien Etebeteguy  N°6 Vue 351/86
  • AD 64 Fiche matricule militaire Adrien Estebeteguy classe 1917 matricule 1353 

 

  • AD 94 _ Acte de naissance de Rossmy Gisèle Charlotte _Maisons-Alfort-Naissances-1909 - 1910 Acte N°57 Vue 16/113

Base de données LEONORE:
Dossier Légion d'Honneur de Ferdinand Lionel Marie Joseph Wiet père de Lionel _
Cote(s) : 19800035/1281/47844

RETRONEWS Le site de presse de la Bibliothèque nationale de France ;
Recherches sur Adrien Estebeteguy,Cazauba,Wiet,
La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, 11 août 1942,
page 4/4,NOS PETITES ANNONCES
ON DEMANDE excellente cuisinière,1re f.de chambre pour villa Macarena,avenue Foch,chez la Marquise de Wiet.Place stable assurée à personne sérieuse. 

Livres

Un ouvrage de référence:
La carlingue
La Gestapo française du 93,rue Lauriston

David Alliot
Éditions Tallandier,2024
ISBN 979-10-210-3643-7

Les belles années du « milieu » 1940-1944.Le grand banditisme dans la machine répressive allemande en France
Grégory Auda
2013 ,Michalon Editeur
ISBN 978 2 84186 678 6

Les Comtesses de la Gestapo
Cyril Eder
Texto_Éditions Tallandier ,2016 et 2020
Chapitre : Mara,comtesse Tchernycheff
ISBN 979-10-210-4361-9