10 avril 2014

La fabrication de l'espadrille

Extrait d'une plaquette réalisée par le Conseil Départemental de la Croix-Rouge Française des Basses-Pyrénées,avec le concours des cités Basco-Béarnaises,des personnalités,collectivités et industrie de notre département.
4e trimestre 1954.
Article signé Pierre Beguerie.(Texte intégral)

Savez-vous que cette fabrication particulière fortement implantée dans le département ,occupe directement plus de 3000 ouvriers et ouvrières en usine,autant de travailleurs à domicile ,et,indirectement permet à ses fournisseurs de matières premières d'employer,eux aussi,plus d'un millier d'hommes et de femmes du pays?
Beaucoup de nos compatriotes et à peu près tous les étrangers,voient dans l'industrie de l'espadrille au travers de ces estampes originales qui représentent des types caractéristiques de Basques assis à califourchon sur un banc rustique ,le poinçon à la main,une semelle de jute à peine ébauchée sur l'établi.
Il était d'ailleurs encore possible de contempler ce spectacle avant la guerre,dans quelques quartiers populeux d'Oloron et de Mauléon,et dans quelques villages reculés du Pays de la Soule , sur la Côte Basque,et même sur les quais de Bordeaux.
Cette fabrication artisanale est le vestige des travaux des espadrilleurs ou sandaliers du dix-huitième siècle et du début du dix-neuvième siècle.
D'où vient cette curieuse chaussure?
Certains la font remonter à une haute plus haute antiquité et l'apparentent aux cothurnes des Romains.
Ce qu'il y a de certain,c'est que l'espadrille était la chaussure préférée des montagnards des Pyrénées.
Très répandue en Espagne,elle était alors fabriquée entièrement à la main;les semelles tressées à la façon de nattes étroites étaient constituées soit par du chanvre,soit par du lin peigné à l'aide d'un instrument rustique pourvu de grosses dents.
Le dessus était avant la Révolution ,composé de lanières et de bandelettes venant entourer le mollet jusqu'au-dessous du genou.Environ après 1800,l'empeigne de l'espadrille adopta sa forme actuelle et fut fabriquée en tissu de lin par certains tissages à la main d'oeuvre d'artisans de réputation nationale (linge basque).
Pendant cette période et jusqu'en 1830,l'espadrille était presque inconnue en France;elle était fabriquée et consommée dans les Pyrénées Occidentales (Pays Basque,Béarn,Bigorre) et également dans les Pyrénées Orientales (Catalogne et Roussillon).
Vers 1850 ,l'espadrille commence a être connue et appréciée de tous.Des centres de fabrication se créent à Mauléon,Oloron,et à St-Laurent de Cerdans,dans les Pyrénées-Orientales.
Ce ne sont pas encore des industriels qui assurent la fabrication de la chaussure nationale basque qui est encore uniquement faite à la main.Ce sont des commerçants qui achètent le chanvre brut,le tissu,font exécuter les travaux à domicile chez les paysans,ramassent ensuite les espadrilles terminées et les expédient à leurs clients.
Le matériel pour ces commerçants consistait surtout en un solide camion traîné par les petits chevaux du pays.
En 1851,l'espadrille était vendue par un commerçant de Mauléon (M.Justin Béguerie) à 4.75la douzaine,franco Bayonne !!!
Après 1870,nous assistons à une transformation complète de cette industrie qui,pareille à celle de la chaussure,prend un essor formidable.Le jute des Indes et le coton d'Amérique sont adoptés,permettant une fabrication rationnelle et industrielle.
Vers 1880 quelques pionniers dont nous avons plaisir à rappeler les noms:Pascal Cherbero,Laplace,Louis Béguerie, Çarçabal, Bedat, Bellocq, entrevoyant l'avenir avec optimisme se lancent avec courage dans la réalisation d'usines importantes.
Oloron, Mauléon,pour ne citer que les centres importants,voient s'élever des constructions grandioses;des usines hydro-électriques naissent sur les rives du gave d' Oloron,du Saison,des milliers d'ouvriers sont employés sur place.
Mais cela ne suffit pas.Il faut encore de la main d'oeuvre pour activer une fabrication momentanément connue dans la France entière,dans ses colonies,en Angleterre et en Suisse.
Les industriels n'ont pas à chercher très loin,et dès que souffle le vent du Sud,avant l'apparition des premières neiges,dévalent des cols pyrénéens les Navarraises aux longues nattes,les Aragonais aux culottes courtes et aux chapeaux ronds.
Ils viennent tout joyeux passer l'hiver chez nous,pousser l'aiguille des monteuses ou le poinçon du chevalet;ils animent nos petites cités de leurs chants et de leurs danses.Quand vient le mois de mai ,ils repartent dans leurs hautes vallées espagnoles pour assurer la moisson;ils remontent nos sentiers un peu tristes,regardant souvent derrière eux,avec la nostalgie d'un métier et d'un pays attrayant.
Beaucoup ,d'ailleurs ,sont restés parmi nous,et les Morillon,les Lopez,les Garcia,sont nombreux et admirablement acclimatés du reste ,dans leur patrie d'adoption qui,devenus de bons français n'hésitèrent pas devant leur devoir en 1914,1939,1944.
Voici donc très brièvement comment naquit et se développa dans notre département la fabrication de l'espadrille.
A l'heure actuelle,l'activité de cette production est assurée par des Industriels puissamment outillés qui luttent contre les centres concurrents des Pyrénées Orientales et du Nord,et par des Artisans dont l'ingéniosité a su adapter aux gouts de la mode,l'espadrille de nos grands parents.
Répartis surtout le long de la Côte Basque,ils sont les fournisseurs attitrés de nos élégantes baigneuses.
Qu'ils soient industriels ou artisans,solidement attachés à leur langue et à leurs traditions,ils n'ont qu'un but,défendre une industrie que leurs pères ont créée,la voir progresser,et répandre en France ,aux Colonies,à l’Étranger,un produit de qualité,bien fabriqué,justement apprécié,faisant honneur à leur petite Patrie,le Pays Basque,le Béarn et Landes fraternellement unis.

Pierre BEGUERIE
Industriel,
Président de la Chambre Nationale des Fabricants d'Espadrilles.
Publicité 1954.Plaquette réalisée par le Conseil Départemental de la Croix-Rouge française des Basses-Pyrénées.





































 

L'Industrie de l'Espadrille

Jusqu'en 1880,il n'existait pratiquement pas d'industrie de l'espadrille.Cette fabrication s’exécutait entièrement à la main,mais dès que parurent les premières applications mécaniques de l'électricité,des machines à coudre,la fabrication prit un essor considérable pour atteindre son apogée vers 1910.
De 1914 à 1928,développement constant.Les usines se multiplient et sont devenues de véritables ruches bourdonnantes.A elles seules,les trois plus importantes assurent chacune la sortie de 13.000 paires par jour;nombreuses sont celles qui atteignent les 5 à 6000 paires quotidiennes sans compter les artisans cantonnés dans une fabrication spéciale.
Toutes les opérations sont mécaniques,les semelles sont moulées,cousues,par du matériel extrêmement ingénieux fabriqué dans le département.
Pour le montage et la couture,on établit du matériel de technique américaine Machines Consolidated,blake,petits-points.
Les tissus sont fabriqués à Oloron,Nay,Jurançon,Louvie-Juzon,dans des tissages spécialisés dans la petite laize de 10 à 18 cm.
Les fils à semelles sont livrés par quatre filatures qui traient le jute brut d'importations directe des Indes,acheminés par les ports de Bordeaux et de Bayonne.
La plus importante à Puyoo (Ets Saint-Frères),produit 6 à 7 tonnes par jour.Les trois autres (deux à Mauléon et une à Oloron) ,sortent chacune ,2 à 3 tonnes par jour.
De 1928 à 1935,crise très grave.Comme l'industrie française,les espadrilleurs voient leurs ventes fléchir considérablement,les marchés extérieurs se ferment ,les étés pluvieux ajoutent à la crise et causent un marasme grave.
Certains s'orientent vers la fabrication de la sandale à semelle de caoutchouc.Grâce à cette diversion,la crise est surmontée et de 1936 à 1939,nous assistons à une forte reprise de la vente de l'espadrille.
Je vous dirai encore que les sandaliers qui travaillent le caoutchouc sont aussi puissamment outillés pour la broyure,le malaxage,la vulcanisation.Ils utilisent les matières brutes telles que les feuilles fumées ou le caoutchouc synthétique G.R.S,américain,sans compter les déchets de pneus transformés en poudrette.
Sandales sur semelles caoutchouc,sabots et bottes moulées,viennent compléter heureusement la fabrication d'espadrilles.
La guerre et l'occupation vont suspendre les importations du jute des Indes et du coton d'Amérique.
Nos sandaliers ne se sont jamais avoués vaincus.Ils ont maintenu leur activité en adoptant les matières de remplacement.L'alfa,le sisal d'Afrique,et même le jonc des marais pour la semelle,la rayonne et la fibranne pour le dessus.
La libération a enfin permis de revoir et de réutiliser les matières habituelles:le jute et le coton,et malgré les à-coups dans l'approvisionnement,la fabrication s'est maintenue à un rythme extrêmement intéressant.
En 1948,pour la première fois depuis la guerre,la production a atteint et même dépassée les besoins de la consommation.
Sur les 24 millions de paires produites en France en 1948,on peut estimer que plus de 16 millions de paires ont été fabriquées dans les départements des Basses-Pyrénées et des Landes,dont les 41 industriels et 61 artisans se répartissent ainsi:
A la date du 1 er janvier 1948
Industriels Artisans
Mauléon et ses environs                                    20           15
Oloron                                                               3              5
Pau                                                                     2              5
Salies-de-Béarn                                                   2             "
Nay                                                                    1             2
Bruges                                                                1              "
Arette                                                                 1              "
Jasses,Montfort,Navarrenx,Araujuzon                2              4
Landes et Côte Basque                                     12             30
                                                                       ---            ---
                                                                        44            61

Pour terminer je me permets de signaler enfin l'excellent esprit social qui a toujours présidé à nos travaux.
Patrons et ouvriers oubliant les luttes stériles d'autrefois ,ont compris leur devoir respectif.Unis par leur travail,ils vivent dans nos petites cités ouvrières où leurs familles se connaissent et s'apprécient depuis des générations.Leurs plaisirs sont les mêmes,sportifs par excellence,ils pratiquent en commun les sports préférés du pays:Pelote basque,rugby,chasse,pêche,etc.
Grâce à l'activité de notre industrie,les espadrilles du Pays Basques vendues dans la France entière,exportées en Suisse,dans les Pays scandinaves,en Belgique,aux Etats-Unis,en Nouvelle-Zélande,en Australie,appréciées pour l'élégance de leur modèle,la vivacité des coloris,sont une publicité vivante pour nos plages,nos campagnes verdoyantes et les sites pittoresques de ce coin du Sud-Ouest qui est l'un des plus brillants joyaux de notre douce France.
Justin AGUER
Industriel,
Sécrétaire Général de la Chambre Nationale des Fabricants d'Espadrilles.
Publicité 1954.Plaquette réalisée par le Conseil Départemental de la Croix-Rouge française des Basses-Pyrénées.