Mai 1939:fugitifs espagnols assassinés et décapités par des soldats espagnols en France
Procès-verbal de transport
Cabinet du juge d'Instruction
L'an mil neuf cent trente neuf et le quatre juin à 12 heures.
Vu la procédure suivie contre X... et X..... soldats espagnols inculpés d'homicide.
Ensemble les articles 87 et 88 du Code d'Instruction Criminelle et notre Ordonnance en date de ce jour.
Nous,Roger DELERIS,Juge d'Instruction de l'Arrondissement de Bayonne accompagné de Monsieur BOUTEMAIL Substitut assistés de Monsieur BELLUCHON Greffier et aussi de Monsieur BARBASTE médecin légiste,expert commis par Nous par Ordonnance de ce jour aux fins d'examiner les deux cadavres et de rechercher la cause de leur mort.
Nous sommes transportés à Sainte-Engrâce où en présence de Monsieur le Commissaire Divisionnaire Claverie Chef de la 17 ème Brigade de Police Mobile à Pau accompagné de ses Inspecteurs de Monsieur le Capitaine Gautier Commandant de la Gendarmerie d'Oloron,nous a mis au courant des résultats de l’enquête à laquelle il avait procédé.Ces résultats permettent de penser que Monsieur Valentin Larcuen milicien espagnol qui était entré en France dans la nuit du 31 mai pouvait avoir joué un rôle dans cette affaire nous avons chargé la Police Mobile de se transporter au Camp de Gurs où il avait été interner et de le faire immédiatement identifier et amener à la gendarmerie de Tardets.
Pendant ce temps nous nous sommes transportés quartier Chapuir à St-Engrâce et dans la montagne où nous avons entendu les témoins suivants:
EYHERAMENDY a déclaré qu'alors qu'il gardait des moutons près du Col d'Hourdayte le 30 mai dernier vers midi en compagnie du berger Etcheto Hustu et Acaussay ils ont vu venir vers eux un individu âgé d'environ 24 ans qui à leur vue s'est arrêté.Invité à s'approcher cet individu expliqua que parti de Saragosse avec deux camarades dans l'intention de passer en France ils avaient été battus à coup de crosse par des soldats espagnols et que seul il avait pu passer la frontière.Le témoin précise que cet individu était blessé sur le dessus de sa tête et portait sur lui une couverture tachée de sang.
ELICHALDE Jean,a déclaré que le 30 mai dernier vers 10 heures il se trouvait dans la cour de la ferme qu'il habite avec ses parents lorsqu'un jeune homme vint lui demander à manger.Il l'a conduit à la cuisine et lui a donné à manger.Au cours de la conversation que cet individu a eu avec lui et son père il a raconté qu'il s'était échappé d'une prison de Madrid en compagnie de deux camarades pour se rendre en France:que tous les trois avaient franchi la frontière en face du village espagnol Issaba dans la nuit du 29 au 30 mai,mais par des chemins différents.Le témoin n'a pas remarqué qu'il soit blessé ni que la couverture qu'il portait soit tachée de sang.
ELICHALDE Dominique fait la même déposition.
IBANEZ,préposé des douanes a déclaré qu'étant de service le 30 mai vers 13 heures à la Croisière Aguer il avait rencontré un individu suspect;qu'il avait conduit au Restaurant Ungurathurru devant le brigadier des douanes Naumy ou fouillé il n'a pas été trouvé porteur d'aucune pièce d'identité ni d'aucune somme d'argent ;qu'il a déclaré se nommer Balatini Marcoune et avoir franchi la frontière .Sa chemise était taché de sang,il était blessé sur le dessus de la tête.
Ugurathurru confirme la déposition du témoin Ibanez et précise que Larcuen expliqua que la blessure qu'il portait sur le dessus de la tête lui avait été faite par des soldats espagnols qui l'avaient poursuivi lui et ses deux camarades alors qu'ils avaient franchi la frontière.
Ces dépositions nous ont fait un instant penser que Larcuen pouvait être l'auteur du double assassinat.
A vingt heures nous sommes revenus à Licq-Atherey St-Engrace ne possédant pas d’hôtel et le lendemain lundi nous avons interrogé Larcuen qui avait été conduit à Licq- Atherey dans la nuit par la police mobile.
INTERROGATOIRE DE L'INCULPE
L'inculpé déclare que le 8 avril 1939 il s'était enfui du camp de concentration d'Albatera province d'Alicante en compagnie des nommés Burguète Jésus et Acin Domongo,tous trois originaires du village Uncastillo province de Saragosse.Les trois évadés restèrent deux semaines cachés à Uncastillo où ils avaient pu arriver puis,tentèrent de se réfugier en France.Le 29 mai ils arrivèrent au village d'Issaba,Burguète demande à une vieille femme rencontrée à la sortie du village quel était le chemin qui conduisait en France.Et c'est sans doute elle qui les dénonça aux autorités militaires toujours est-il que quelques heures après ils étaient arrêtés par une patrouille et conduits à la Venta de Araco Poste situé à proximité du col d'Ourdayte.Dans la soirée ils furent attachés les uns aux autres et confiés à la garde de deux soldats qui avaient pour mission de les conduire à Issaba devant le commandant de la région frontière.A mi-chemin l'un des trois fut détaché pour manger et ils profitèrent de ce que leurs gardiens faisaient une cigarette et avaient posé leurs fusils par terre pour s'en emparer.Ils contraignirent les soldats à les précéder et tous les cinq franchirent la frontière française au col d'Ourdayte dans la nuit du 30 au 31 mai vers minuit.
Se croyant en sécurité Larcuen,Burguete et Acin allumèrent un feu à environ un kilomètre de la frontière et s'étendirent les uns à coté des autres pour dormir après avoir pris la précaution d'enlever la culasse mobile des deux fusils qui se trouvaient placés entre eux et les deux soldats qui de l'autre coté du foyer leur faisaient face .C'est alors que profitant du sommeil de leurs anciens prisonniers que les deux soldats se saisirent des fusils et s'en servant comme massue en frappèrent les trois hommes.Larcuen réveillé par le coup de crosse qui lui fut asséné sur la tête mais pas complètement assommé réussit à s'enfuir et à passer le gave qui coule non loin de l'endroit où ils avaient campé sans plus s'occuper de ses camarades.
Interrogé sur l'identité des deux soldats Larcuen n'a pu fournir aucun renseignement si ce n'est que l'un deux serait originaire des îles Canaries et l'autre de l'Aragon.
A 7 heures nous nous mettons en route pour nous transporter sur les lieux en auto jusqu'à Sainte-Engrâce,puis pendant deux heures à dos d’ânes et durant 2 heures 1/2 à pied.A 11 heures 30 nous sommes au col d'Ourdayte, près des cadavres qui étaient gardés par des gendarmes depuis qu'ils avaient été découverts.Larcuen mis en présence des cadavres a déclaré formellement les reconnaître pour être ceux de ses camarades Burguète et Acin.
DESCRIPTION DE L ÉTAT DES LIEUX
Dans la foret de hêtres et de mélèzes à 1 heure de marche de la frontière près du gave un campement avait existé.Un feu avait été allumé.On aperçoit encore des couches faites avec des feuilles.Un cadavre décapité se trouve près du feu,c'est celui d'Acin,l'autre également décapité se trouve à une vingtaine de mètres du campement,c'est celui de Burguète.Le cou a été tranché près du tronc.Les habits que portent les deux cadavres correspondent à la description qu'en a fait Larcuen.Près du corps d'Acin nous avons découvert et saisi une crosse de fusil qui parait être de marque allemande matricule 252.604.5.,un calot de soldat d'infanterie espagnole et un carnet d'adresses.
C'est alors que nous apprenons par une personne qui se rendait en Espagne que le lieutenant du poste frontière de la Venta d'Araco était désireux de s'entretenir avec le capitaine de gendarmerie.Ce dernier à 13 heures s'est rendu à la frontière et l'officier espagnol qui ne dissimulait pas son écœurement lui a appris que dans la nuit du 31 mai,vers 4 heures du matin,il avait été réveillé par deux de ses soldats qui présentèrent 2 têtes d'homme fraîchement coupées en lui contant le drame.Ils avaient décapité leurs victimes pour ne pas être considérés comme des déserteurs.
Les deux soldats dont l'officier espagnol n'a pas voulu donner les noms auraient été mis aux arrêts et l'officier a spontanément exprimé au capitaine Gautier ses regrets que pareils faits se soient produits surtout en territoire français.
Le docteur Barbaste a examiné les cadavres.(...)
Devant l'état de décomposition avancé,la difficulté du transport et l'impossibilité de trouver des volontaires pour transporter les cadavres au cimetière de Sainte-Engrâce ,nous nous sommes trouvés dans l'obligation de les faire enterrer sur place par des ouvriers amenés par monsieur le Maire.
A 19 heures 30 nous étions de retour à St-Engrâce.
Le jour étant avancé et 4 heures 1/2 de marche sous une pluie battante nous ayant mis dans l'obligation de faire sécher nos vêtements nous avons du coucher à Licq-Atherey que nous avons quitté le lendemain mardi.
De tout quoi nous avons dressé le présent procès-verbal que nous avons clos à St-Engrâce le 6 juin à 8 heures et que nous avons signé avec Monsieur Boutemail Substitut et notre greffier.
Le Procureur de la République Le Juge d'Instruction Le Greffier
Gendarmerie Nationale
18 e Légion
Compagnie des Basses-Pyrénées
Section d'Oloron
Brigade de Licq-Atherey
N°24 du 5 juin 1939
PROCÈS-VERBAL
constatant une déclaration anonyme sur la découverte sur le territoire français,près de la frontière,de deux cadavres décapités d'espagnols.
Cejourd'hui,cinq juin mil neuf cent trente neuf à dix neuf heures,
Nous soussigné:M.L.Chef CYPRIEN,commandant la brigade frontière de Licq-Athérey,département des Basses-Pyrénées,revêtu de notre uniforme et conformément aux ordres de nos chefs,pour faire suite à l'information judiciaire effectuée par le Parquet de Bayonne,au sujet de la découverte sur le territoire français,,dans un bois à proximité de la frontière franco-espagnole de deux cadavres d'espagnols décapités,avons reçu d'une personne qui s'est présenté spontanément à notre brigade ,mais désirant garder l'anonymat,la déclaration suivante:
Me trouvant en Espagne le 4 juin courant,au lieu dit "La Venta de Arraco",à proximité de la frontière et causant avec l'officier commandant le poste frontière du même nom,j'ai appris ce qui suit:le lundi 28 mai 1939,trois réfugiés espagnols qui essayaient de passer la frontière pour se rendre en France par le col d'Hourdayte,ont été pris par des soldats espagnils qui les ont emmenés au poste de la Venta.Ces trois hommes ont été dirigés aussitôt sur la prison d'Isaba accompagnés par deux soldats en arme.En cours de route,ces trois hommes ont pu se libérer de leurs liens et ont assailli leurs gardiens et les ont désarmés.Ils les ont ensuite obligés de les suivre en France jusque dans un bois situé sur le versant français à deux kilomètres environ de la frontière.Là,les deux soldats ont dit à leurs gardiens qu'ils désiraient les accompagner en France et partir avec eux.A ce moment-là les cinq fraternisèrent et finirent par s'endormir cote à cote.Seulement ,les deux soldats ne dormaient que d'un oeil,et dès qu'ils virent les trois réfugiés endormis,ils s'emparèrent à leur tour des armes et assommèrent à coups de crosse deux des hommes endormis et blessèrent le troisième qui put s'enfuir et éviter ainsi la mort.A ce moment-là,les deux soldats sachant qu'ils seraient portés manquants à leur poste et voulant prouver à leur officier qu'ils n'avaient pas déserté,décapitèrent les deux cadavres avec un couteau de poche et apportèrent les deux têtes à leur lieutenant comme pièces à conviction.
Lecture faite déclare ne vouloir signer.
Deux expéditions
1° à M.le Procureur de la République à Bayonne
2° aux Archives
Source:
AD 64 Annexe de Bayonne
1027 W Art 291 Tribunal de Grande instance de Bayonne
Revue de presse
Extrais
Source: RetroNews site média dédié aux archives de
presse issues des collections de la Bibliothèque nationale de France sur
la période 1631 à 1945
Journal des débats des lundi 5 et mardi 6 juin 1939
Page 6/6
Faits divers
Trois espagnols assassinés près de la frontière
(...) l’enquête du parquet de Bayonne a établi que le vol aurait été le mobile de ce triple assassinat.Les soupçons se sont portés sur le nommé Valentin Carcero,réfugié d'Espagne en France,qui aurait passé la frontière avec les trois hommes,et qui s'est présenté au camp de Gurs avec des vêtements couverts de sang.Interrogé,il n'a pas encore fait d'aveux.
L’œuvre
Lundi 5 juin 1939
Page 5/10
On découvre près de la frontière espagnole deux cadavres décapités.
(...) Mercredi dernier ,les gendarmes de Lick-Atherey recevaient à leur brigade la visite d'un Espagnol portant une blessure au front:le nommé Valentin Esteban ,âgé de 24 ans ,né à Uncastillo,province de Saragosse,évadé du camp d'Albatera,près d'Alicante.Il déclara avoir fui en compagnie de deux miliciens qui,eux,avaient été repris.Il fut hospitalisé au camp de Gurs.
Il a été entendu aujourd'hui.Les enquêteurs lui attribueraient le double meurtre
La Petite Gironde
Lundi 5 juin 1939
Page 1
En pleine montagne basque près de la frontière espagnole,deux cadavres décapités sont découverts par un berger
Les deux tetes restent introuvables
Un milicien évadé d'Alicante et arrivé mercredi au camp de Gurs est soupçonné de ce crime
Suite page 2
Le Midi Socialiste
Lundi 5 juin 1939
Page 5/6
Un crime horrible en Pays basque
(...) S'agit-il de républicains évadés d'un camp de concentration franquiste et poursuivis par des patrouilles jusque sur le territoire français.(...)
L'Humanité
Mardi 6 juin 1939
Page 2
Dernière heure
Ce sont bien des policiers franquistes qui assassinèrent sur notre sol deux républicains évadés
La Petite Gironde
Mardi 6 juin 1939
Page 1
Le mystère des cadavres décapités dans la montagne basque est éclairci
Ce sont des soldats espagnols qui tuèrent les deux miliciens et leur tranchèrent la tete pour leur rapporter en Espagne
Le rescapé du camp de Gurs qui échappa à la tragédie est complètement mis hors de cause