26 septembre 2025

L' équipée du 24 août 1944

 

L'équipée du 24 août 1944

 Bayonne, Villefranque, Mouguerre 


Les Allemands se sont retirés de la Cote basque le 22 août 1944.Dans l’après-midi du surlendemain de cette retraite, un gardien de la paix de Bayonne et un habitant de Villefranque ont pris l’initiative de procéder, sans le moindre mandat, à des arrestations. Madame Darricau et sa sœur ont été interpellées.
Dans un article à paraître prochainement nous nous intéresserons aux reproches formulées à l'encontre d'Arnaud Darricau, de son épouse et de la sœur de cette dernière.

Les identités de Dominique ,de Xavier et autres, ont été masquées dans le cadre de cette publication.

Gendarmerie Nationale

Cejourd’hui, trois octobre mil neuf cent quarante-quatre, à 8 huit heures 30’

Nous soussignés CAZAUX Joseph et BONLIEU Pierre,

Gendarmes à la résidence de Bayonne, département des Basses-Pyrénées, revêtus de notre uniforme et conformément aux ordres de nos chefs, de service dans la commune de Mouguerre et agissant en vertu de la réquisition de M. le Procureur de la République à Bayonne en date du 20 septembre 1944  (…) jointe à un dossier relatif à une plainte écrite formulée par M.CELHAY maire de Mouguerre et M.BIELLA, Syndic et Conseiller Municipal pour tentative d’arrestation arbitraire et illégale par MM.Cxxxx Xavier, demeurant à Eliçaberry,(…) et Cyyyy, agent de ville à Bayonne, avons procédé à une enquête et recueilli les renseignements suivants.

1°M.CELHAY, Alfred,76 ans, maire de la commune de Mouguerre, y demeurant, nous a déclaré :

(…) Le 24 aout 1944, vers 15 heures, je me trouvais à mon domicile en compagnie de M.RIGOLIER, chirurgien-dentiste et M. OSPITAL, facteur des P.T.T, lorsqu’une automobile pavoisée de plusieurs drapeaux devant chez moi. Un homme que j’ai su un peu plus tard se nommer Cyyyy et occuper l’emploi de gardien de la Paix à Bayonne, est descendu et a pénétré dans la salle où nous nous trouvions.

Aussitôt et sur un ton impératif, il m’a déclaré « Vous êtes bien M.CELHAY, maire de Mouguerre, je viens vous arrêter pour vous conduire à Bayonne. ». Cet homme était en civil ;je lui ai demandé de m’indiquer ses fonctions et qualité et de quel droit il venait m’arrêter .Il m’a alors répondu qu’il était le maître chez moi et qu’il avait son revolver comme pièce ». Ayant besoin de me rendre au water il m’a dit sur un ton arrogant « Vous avez la chiasse maintenant, mais il est trop tard, dépêchez-vous ».

Ma femme s’est interposée et M.Cyyy lui a répondu « Madame vous me faites « chier » taisez-vous ».A mon retour des water closets , M.RIGOLIER ainsi que Mme .LAHERRERE, qui venait d’arriver, ayant protesté contre mon arrestation et voulant téléphoner à la police à  Bayonne, M.Cyyy m’a alors fait des excuses et est sorti de chez moi en me montrant une carte au nom de Cyyy.

J’ai appris depuis par Mme DARRICAU, maison Tarridenis à Villefranque, qui se trouvait dans l’auto en compagnie de sa sœur, de HAUCIARTS demeurant également à Villefranque où il est ouvrier tanneur et du conducteur Cxxx Xavier, que ce dernier reprocha vivement à la personne rentrée chez moi de ne pas m’avoir arrêtée et conduit en prison au moins pour 48 heures et qu’ils allaient maintenant rechercher à Bayonne M.BIELLA, pour l’arrêter.

Cxxx Xavier n’est pas sorti de l’automobile. Ma femme lui ayant demandé pourquoi il venait m’arrêter il répondu : » Moi je ne sais rien, c’est mon camarade qui s’en occupe et je n’y suis pour rien. »

J’ignore pour quel motif ces personnes ont voulu m’arrêter.

Depuis bientôt deux ans je suis l’objet de plaintes continuelles de la part de M.Cxxx Xavier auprès de la Sous-Préfecture et du Ravitaillement Général et consécutives à des ordres de réquisition. Trois ont été adressées depuis deux mois au Ravitaillement Général ;M.BIELLA, Syndic, qui était également impliqué dans ces plaintes, à été convoqué à la Police à Bayonne, pour enquête.

Il pourra donner toutes précisions à ce sujet.

Lecture faite persiste et signe.

2° Monsieur BIELLA, Jean-Baptiste,41 ans, propriétaire et Conseiller Municipal à Mouguerre, nous a déclaré :

Le 24 aout dernier, M.Cxxx Xavier, demeurant à Eliçaberry, s’est présenté à mon domicile vers 15 heures accompagné de l’agent de Police Cyyy de Bayonne. L’agent a demandé à ma belle-mère si j’étais à la maison. Sur sa réponse négative, ils ont demandé où je me trouvais ; lui ayant dit que j’étais à Bayonne, ils sont partis chez M.le Maire sans dire ce qu’ils voulaient.

J’ai appris par la suite par Mme DARRICAU Adrien, demeurant à Villefranque, qu’ils venaient avec l’intention de m’arrêter.

Le 24 septembre dernier, devant la mairie, M.Cxxx Xavier m’ayant interpellé, je lui ai demandé les raisons pour lesquelles il voulait m’arrêter. Il m’a répondu catégoriquement qu’il était prêt à revenir à la première occasion.

Je n’ai jamais rien fait à Cxxx Xavier, et je ne m’explique pas sa façon de faire ni sa ligne de conduite à mon égard.

Je dois ajouter que le 15 septembre dernier, j’ai été convoqué chez le Commissaire Spécial de Police à Bayonne.  J’ai été mis à ce moment, au courant d’une plainte portée par Cxxx contre moi, m’accusant de lui avoir envoyé la Police Allemande pour ne pas avoir livré des pneus d’automobile qu’il détenait encore ; ce qui est tout à fait inexact.

Voici dans quelles conditions se sont passés les faits.

Dans le courant du mois de juin ou juillet 1944, plusieurs policiers Allemands, accompagnés de M.Dxxxx entrepreneur de transport à Bayonne s’étaient rendus chez moi afin de prendre livraison de pneus de ma voiture que j’avais reçu ordre de ne pas livrer. Après contrôle fait, ces derniers m’ont demandé où habitait M.Cxxx ;au moment où je leur donnais les indications nécessaires M.Dxxx me dit qu’il le connaissait personnellement et qu’il savait où il habitait.

J’ignorais totalement les raisons de la visite chez Cxxx à ce moment-là. La même réponse a été faite devant M. le Commissaire Spécial. Ce n’est pas dans mes habitudes de porter plainte et moins encore devant les Autorités Allemandes.

Lecture faite persiste et signe.

(…)

Madame LAHERRERE, Alice,56 ans, employée de mairie à Mouguerre, nous a déclaré

Le 24 aout dernier vers 14 heures 45, étant chez moi j’avais été prévenu que quelqu’un venait arrêter M. le Maire.Je me suis rendue immédiatement chez lui  et devant sa porte j’ai reconnu la voiture de M.Cxxx d’Eliçaberry ; celui-ci se tenait au voulant. Je suis entré et j’ai vu M.CELHAY en compagnie d’un homme habillé en kaki. M. le Maire m’a mise alors au courant que l’homme qui était là présent venait pour l’arrêter. Je lui ai répondu « Et vous vous laissez arrêter comme ça ». J’ai alors demandé à cet homme qui il était et s’il avait un mandat d’arrêt ; celui-ci m’a répondu que cela ne me regardait pas.

Sur cette réponse j’ai prévenu cet homme que j’allais téléphoner au Commissariat de Police et en effet je me suis rendue à la Poste et d’après l’explication que j’ai eue avec le Commissaire j’ai su qu’il n’y avait rien contre M.CELHAY. J’ai été chargée de lui dire de ne pas se déranger. A mon retour chez M. le Maire les deux hommes étaient déjà partis.

Lecture faite persiste et signe.

Monsieur LAHERRERE, Paul,21ans, instituteur à Mouguerre, nous a déclaré :

Le 24 août dernier, vers 14 heures 30 me trouvant dans la rue M.Ospital, facteur des postes m’a prévenu qu’on venait arrêter M. le Maire. Je me suis rendu à son domicile et devant sa porte j’ai vu M.Cxxx d’Eliçaberry au volant de sa voiture. Il y avait déjà dans la voiture 3 personnes dont deux femmes avec lesquelles j’ai engagé une conversation. Elles m’ont déclaré avoir été arrêtées.

M’adressant alors à M.Cxxxje lui ai demandé s’il était bien chargé d’arrêter M. le Maire ; celui-ci m’a répondu évasivement qu’il n’y était pour rien. Je lui ai alors dit ironiquement « Vous allez me dire que vous êtes requis avec votre auto. ». Ce à quoi il m’a répondu affirmativement.

Je me suis alors rapproché du seuil de la porte sur lequel se tenait un autre homme habillé en kaki, chaussé de sandales et coiffé d’un béret et qui d’après la conversation que j’ai saisi refusait de montrer à Mme.  CELHAY sa carte de policier ou autre. Sur l’insistance de celle-ci cet homme a répondu grossièrement à cette dame et lui a dit finalement en exhibant sa carte : » Tenez-vous me faites chier ». Quelqu’un a examiné la carte et a lu sur celle-ci le nom de Cxxx Dominique.

Lecture faite persiste et signe.

 

Mademoiselle LAHERRERE, Marie,23 ans, institutrice à Mouguerre, nous a déclaré :

Le 24 août 1944, je me trouvais chez moi lorsque M.Ospital, facteur nous a prévenu que l’on venait arrêter M. le Maire. Je me suis rendu chez lui et ai constaté qu’une auto au volant de laquelle se trouvait Cxxx Xavier, stationnait devant la porte. Dans l’intérieur de la maison se trouvait un homme qui attendait que M.CELHAY soit prêt à le suivre. Ma mère ayant annoncé qu’elle allait téléphoner à la police et effectivement étant partie le faire, l’homme qui voulait arrêter M. le Maire s’est retiré avant qu’elle ne revienne. En partant il a montré une carte d’identité au nom de Cxxx, agent. J’ai entendu ce dernier parler grossièrement à Mme CELHAY et en ces termes « Madame vous me faites chier, taisez-vous. »

Lecture faite persiste et signe.

Monsieur OSPITAL, Jean 46 ans, facteur des P.T.T. à Mouguerre, y demeurant, nous a déclaré :

Le 24 aout 1944, vers 15 heures, je distribuais le courrier à M. le Maire de Mouguerre, à son domicile, lorsqu’une voiture automobile s’est arrêtée devant chez lui. Un homme est descendu du véhicule, est entré chez M. le Maire et lui a dit : » Vous êtes bien M.CELHAY, maire de Mouguerre, on vous arrête, suivez-nous. ». Je suis sorti aussitôt et ai prévenu de ce fait le Secrétaire de Mairie et ai continué ma tournée. Je n’ai pas connu le civil qui a voulu arrêter M.Celhay ; j’ai su par la suite qu’il s’agissait de M.Cxxx, agent de police à Bayonne. Au volant de la voiture j’ai reconnu M.Cxxx Xavier, demeurant à Eliçaberry. C’était son automobile. Il y avait également dans le véhicule Mme DARRICAU et sa sœur Mlle Dxxx, ainsi que M.HAUCIARTS , Jean Baptiste demeurant à Villefranque maison « Pahaldia »Je ne puis vous donner aucun autre renseignement.

Lecture faite persiste et signe.

 

Cejourd’hui, quatre octobre 1944, à huit heures, les gendarmes CAZAUX et BONLIEU, continuant l’enquête à Elicaberry, avons recueilli les renseignements suivants :

Je me nomme HAUCIARTS  Jean ,44 ans, cultivateur à Villefranque, maison « Pahaldia ».

Le 24 août dernier, dans le courant de l’après-midi me trouvant au restaurant DUFAU, sis à proximité de chez moi, Cxxx Xavier, est arrivé avec son automobile, accompagné de Cxxx, agent de Police à Bayonne, que je connais très bien. Ils sont descendus et l’agent de ville a dit aux deux filles Dxxx qu’il fallait qu’elles aillent à Bayonne. Ayant besoin moi-même d’y aller, j’ai demandé à Cxxx, agent, s’il avait une place pour moi. Sur sa réponse affirmative je suis parti avec eux et j’ignorais s’ils devaient passer à Mouguerre. Dans cette localité ils sont allés d’abord chez M. Biella et ensuite chez M.le Maire. M.Biella n’était pas chez lui. Lorsque l’agent Cxxx est sorti de chez M. le Maire, il a dit à Xavier que M. Celhay était malade et qu’il ne pouvait pas l’emmener.

Je n’ai pas saisi ce qu’a répondu Xxxx Cxxx mais j’ai remarqué qu’il n’était pas content. J’étais monté à l’arrière de la voiture et j’ignore la conversation tenue par eux, surtout que je me trouvais là accidentellement.

J’ai habité jusqu’en 1932 à Mouguerre, quartier Eliçaberry et pendant 10 ans environ.

Je n’ai jamais eu à me plaindre de M.Celhay, maire de Mouguerre.

Lecture faite persiste et signe.

Entendu, Cxxx , Xavier, nous a déclaré :

Je me nomme Cxxx, Xavier,38 ans, propriétaire cultivateur à Mouguerre-Eliçaberry, maison « Gxxx », né le 3 mars 1906 à Urt fils des feus Jean-Baptiste et Larran, Jeanne Marie,marié,3 enfants, je sais lire et écrire, j’ai été élevé par mes parents jusqu’à ma majorité ,je n’ai jamais été condamné, classe 1926, Recrutement Maritime de Rochefort° Mle 142.254.

Le 24 août 1944, vers 10 heures, ma femme se trouvant à Bayonne a été interpellé par l’agent de Police Cxxx qui lui a demandé si notre voiture automobile était en état de marche. Ma femme lui a répondu affirmativement. Cet agent de police a alors dit à ma femme qu’il lui réquisitionnait sa voiture. Il est arrivé à la maison à Eliçaberry vers 12 heures, à bicyclette et en compagnie de ma femme. Il était en tenue Kaki et sans arme apparente. Il m’a dit qu’il requestionnait ma voiture pour procéder à l’arrestation de M. et Mme DARRICAU et la sœur de cette dernière Mlle Dxxx, domiciliés à Villefranque. Nous sommes partis à Villefranque vers 12 heures 30 et avons arrêté ces deux femmes. M.DARRICAU était absent.

L’agent Cxxx a invité un voisin de Darricau, M.Hauciarts à s’unir à nous. En partant du domicile de Darricau j’ai fait part à l’agent Cxxx que M.le Maire de Mouguerre et M. Biella, conseiller municipal , m’avaient envoyé les allemands pour me prendre ma voiture. Il m’a répondu « Ces messieurs sont fautifs et nous allons les arrêter ».

Nous sommes partis à Mouguerre et sommes allés chez M.Biella. Celui-ci était absent. J’ignore ce qui s’est dit à l’intérieur de la maison car je suis resté au volant de ma voiture.

Cxxx m’a alors commandé de me rendre chez M. le Maire, ce que j’ai fait. Il est descendu seul de la voiture et est rentré chez M. le Maire. Je suis resté au volant de mon véhicule. J’ai entendu une conversation assez agitée et j’ai compris que l’agent Cxxx reprochait au maire d’avoir envoyé les allemands chez moi. Le maire a répondu qu’il avait reçu des ordres de la troupe d’occupation et qu’il était obligé d’agir ainsi. Les enfants de Mme Laherrere étant arrivés à ce moment là je n’ai plus entendu ce qui se disait à l’intérieur de la maison. L’agent Curutchet est sorti seul de chez M. le Maire et m’a dit »Je ne l’ai pas arrêté parce que c’est un vieillard et il est essoufflé. » Je ne lui ai rien répondu  et il m’a donné l’ordre de rentrer à Bayonne.

Je nie avoir dit à Cxxx qu’il aurait dû quand même procéder à son arrestation et le mettre en prison au moins 48 heures.

Je n’avais aucune autorisation de circuler pour ma voiture automobile N°6936. N.M.3.L’agent Cxxx ne m’a donné aucun ordre de réquisition écrit.

Je n’ai fait que conduire ma voiture et n’ai opéré aucune arrestation. L’agent Cxxx a opéré seul.

J’ignore s’il avait des mandats d’arrêt.

J’ai conduit les personnes arrêtées au poste de police à Bayonne.

Lecture faite persiste et signe.

Par téléphone, nous avons demandé à M. le Commissaire de Police à Bayonne, l’autorisation d’entendre l’agent de Police Cxxx Dominique. Cette autorisation nous ayant été accordée, nous avons convoqué Cxxx au bureau de notre brigade.

Cejourd’hui, cinq octobre 1944, à 10 heures, nous CAZAUX et BONLIEU, continuant l’enquête à notre caserne, s’est présenté Cxxx Dominique, qui nous a déclaré :

Je me nomme Cxxx Dominique,38 ans, gardien de la Paix à Bayonne, y demeurant, quartier Villa Pia, maison Petit-Beyris, né le 17 juin 1906 à Arcangues, fils de Martin et de Camajor, Marie, marié,4 enfants, je sais lire et écrire, élevé par mes parents, jusqu’à ma majorité, classe 1926, recrutement de Pau, N° Mle 1068.

Le 24 août 1944, j’ai pris l’initiative d’aller à Villefranque pour arrêter M.DARRICAU, sa femme ainsi que la sœur de cette dernière Mlle Dxxx, Lxxx , qui collaboraient avec l’ennemi. A cet effet ayant rencontré Mme Cxxx Xavier à Bayonne, je lui ai fait part de mon intention et elle m’a offert sa voiture automobile qui était à Eliçaberry.J ‘ai accepté et je me suis rendu chez elle à bicyclette.

Vers 12 heures 30, M.Cxxx Xavier, qui était au volant de sa voiture et moi sommes allés à Villefranque et j’ai procédé à l’arrestation de Mme DARRICAU et Mlle Dxxx.

Au moment du retour Cxxx Xavier, m’ayant fait part que M. le Maire de Mouguerre et M. BIELLA lui avaient envoyé les gendarmes allemands, au sujet de bêtes qu’il n’aurait pas fourni au ravitaillement et des pneus d’autos qu’il n’avait pas livré .Je lui répondu que nous allions y passer pour lui demander des explications.

Nous nous sommes rendus chez M. BIELLA qui était absent de son domicile et d’après sa belle-mère  se trouvait à Bayonne.

Ensuite nous sommes descendus chez M.le Maire ,Cxxx Xavier est resté au volant de sa voiture. J’ai pénétré seul chez M. le Maire après avoir frappé à la porte et j’ai demandé à ce magistrat pourquoi il avait envoyé les gendarmes Allemands chez Cxxx Xavier. Il m’a répondu qu’il avait été dans l’obligation de les envoyer. Je lui ai alors dit de venir s’expliquer au poste de police ; bureau des F.F.I.. Il m’a répondu qu’il était malade et ne pouvait pas se déplacer.

A ce moment-là Mme CELHAY m’a demandé qui j’étais. (…) je lui ai présenté ma carte professionnelle de police (…)

Cxxx Xavier m’a demandé si j’avais vu M. le Maire, je lui ai répondu que oui, mais qu’il était malade.

Je n’ai jamais prononcé les paroles grossières qui me sont reprochées par M. le Maire et sa femme et j’ai présenté ma carte d’identité dès qu’elle m’a été demandée, sans faire la réponse que l’on m’implique.

J’affirme que je n’ai pas dit à Mme Cxxx que je réquisitionnais sa voiture ; c’est elle-même qui me l’a offerte.

J’ignorais si ce véhicule avait une autorisation de circuler, M. HAUCIARTS qui se trouvait avec nous n’était là que comme passager, ayant demandé au conducteur de le porter à Bayonne.

Je précise que lorsque je suis entré chez M le Maire, celui-ci était seul avec sa femme dans la salle à manger.

M.RIGOLIER est arrivé au moment où je sortais et je lui ai parlé devant la porte.

Lecture faite persiste et signe.

Monsieur RIGOLIER, André, Joseph ,53 ans, chirurgien-dentiste, demeurant à Mouguerre, entendu à Bayonne,26 rue Lormand, nous a déclaré :

Le 24 aout 1944, je me trouvais chez M.CELHAY, maire de Mouguerre lorsqu’une voiture automobile s’est arrêtée devant la porte. Un homme en est descendu et s’est présenté chez M.CELHAY en lui enjoignant l’ordre avec insistance, de vouloir bien le suivre à Bayonne. A ce moment par discrétion, je suis sorti et quelques instants après ayant entendu le bruit d’une discussion plus animée, je suis entré à nouveau. J’ai dit alors ce monsieur que M. le Maire était un vieillard intransportable, que je répondais de lui et je l’ai invité à le laisser. Sur ces paroles il n’a pas insisté.

Pendant que j’étais dehors, il y a une discussion générale et je n’ai pu entendre les paroles prononcées. D’autre part je n’avais pas pris cette chose au sérieux.

Lecture faite persiste et signe

Madame DARRICAU et sa sœur Mlle.Dxxx sont détenues depuis 3 ou 4 jours au camp de Beyris. Nous nous sommes rendus sur les lieux ,mais elles n’ont pu être entendues, faute d’autorisation.

 

 Notes manuscrites

Parquet de Bayonne

Soit transmis à Monsieur le Commissaire de Police à Bayonne.

Pour admonestation du gardien de la Paix Cxxx Dominique et me rendre compte

Bayonne le 8 10 1944

 

Le Commissaire de Police à Monsieur le Procureur de la République à Bayonne

Bayonne le 11 10 1944

J’ai l’honneur de vous retourner le dossier ci-joint après avoir admonesté le gardien de la Paix Cxxx Dominique qui a déclaré que pareille chose ne se produirait pas à l’avenir et qu’il n’agirait qu’en exécution d’ordres émanant de ses chefs.

Il a ajouté qu’ayant montré sa carte professionnelle à M.Celhay, Maire de Mouguerre, ce dernier a pu penser qu’il était parent de Cxxx Xavier ,avec lequel M.Celhay est en difficultés depuis assez longtemps, chose qu’il a appris par la suite, et qu’ainsi il était intervenu auprès de lui pour lui faire plaisir.

Cxxx a déclaré en outre que Celhay avait (mot raturé…) démesurément l’affaire en lui prêtant les propos qu’il n’a pas tenus ;il a affirmé qu’il n’y avait eu de sa part ni menaces ni écart de langage. On lui avait dit que M.Celhay avait fait intervenir les allemands et il l’a invité à venir s’expliquer au bureau des F.F.I. à Bayonne. M.Celhay ayant répliqué qu’il ne pourrait se déplacer étant malade et âgé,il s’est retiré sans insister pensant  (…)

Cxxx Dominique n’est pas parent avec Cxxx Xavier



Source: Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque (AD 64)
1027 W article 18 Tribunal de Grande Instance de Bayonne

19 septembre 2025

Le cas Arnaud Darricau: un "accident mortel " en question

 

Arnaud Darricau (1911-1944)

Un "accident mortel" en question

Bayonne, camp d’internement du Polo Beyris 

Le Courrier, quotidien local du mercredi 29 novembre 1944 a rapporté en page 2

Accident mortel à Beyris

"Cette nuit, au Polo de Beyris, un détenu, M.Darricau, de Mouguerre, a quitté le camp réservé aux hommes, pour communiquer avec sa femme. Il a été aperçu par une sentinelle qui, après lui avoir fait les sommations d’usage auxquelles il n’a pas obtempéré, a tiré un coup de feu. Gravement atteint M.Darricau a été transporté à l’hôpital de Bayonne où il est mort peu après."

Cette tragique histoire est revenue en mars 2012 sur le blog de l’historien Jacky Tronel,  Histoire pénitentiaire et Justice militaire. «. Depuis, des renseignements complémentaires ont été obtenus par des archives dispersées. Elles sont plus ou moins ouvertes au public. Ainsi, un petit dossier d’enquête, découvert incidemment dans la multitude non référencée des 300 cartons du commissariat de police de Bayonne. La recherche sur les circonstances de la mort d’Arnaud Darricau a été menée au pas de charge par Julien Duhau, commissaire de police. Il en résulte :

·         La victime doit son internement pour des motifs de collaboration et dénonciation à l’ennemi, sans autres précisions. Nous reviendrons plus longuement  dans un  article à paraître  sur cette incrimination qui s’applique à des  relations conflictuelles entre particuliers .

·         Par quatre fois, Darricau  a contrevenu à l’interdiction de communiquer avec une femme, également détenue.

·         Enfin, le coup de fusil a été tiré après une injonction injurieuse lancée à l’adresse du garde.

Sauf que cette restitution inspire des doutes :

La sentinelle Ahmed Daho, est l’unique déclarant présent du début à la fin des faits,

Aucun témoin pour attester les paroles injurieuses,

Aucune personne pour garantir la déclaration  de Madame Darricau qui prétend être restée à l’intérieur de sa baraque.

 

L’acte d’état civil dressé dans l’après-midi du 29 novembre sur la déclaration de Laurent Mihure sous brigadier de police, indique que le décès de Darricau  est survenu quartier Saint Léon, Beyris, Camp du Polo.


Enfin dernière pièce qui pose problème, la curieuse réponse de l’administration du ministère de l’Intérieur à une requête en date du 20 juin 1946 par laquelle Mme Vve DARRICAU demande une indemnité à l’occasion de son mari tué accidentellement camp du Polo à Bayonne où il était interné.

En raison de la dissolution du bureau des camps il ne m’a pas été possible d’effectuer l’enquête qui permettra de déterminer si le décès de M.DARRICAU est bien du à une faute de service qui entraînerait la responsabilité de l’Administration.

Source:Archives Nationales F/7/15104

 

Que s’est-il réellement passé mardi 28 novembre 1944 dans l’enceinte du camp du Polo Beyris ? La déclaration du lieutenant Jean Villenave (pièce N°7) est éclairante :

La consigne donnée aux hommes de garde est la suivante :

Pour toute tentative d’évasion, soit à l’extérieur soit à l’intérieur du camp, la sentinelle doit faire trois sommations disant : » halte là où je tire ». Les sommations n’aboutissant pas, on doit régulièrement tirer un coup en l’air.

Je dois reconnaître que le caporal DAHO aurait dû hier soir, avant de tirer sur DARRICAU, tirer un coup en l’air. Je suis persuadé que s’il en fut autrement, c’est à cause de l’injure qu’il venait d’essuyer qu’il n’a pas tout d’abord tiré un coup en l’air.

Je dois vous dire que le caporal DAHO est un excellent soldat et que pour cette raison, il a été choisi pour être garde au Polo et y assurer un service délicat.

 

_Pièce N°1_LE COMMISSAIRE DE POLICE

à

Monsieur le PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE A BAYONNE

J’ai l’honneur de vous faire connaître qu’hier soir 28 novembre courant, vers 19h45,un détenu du camp du Polo de Beyris ; nommé DARRICAU Arnaud (dit Adrien) âgé de 33 ans, né à Mouguerre le 29 septembre 1911, affecté à la baraque N°42 ,a essuyé un coup de fusil de la part du caporal de garde DAHO AHMED, né en 1916, au DOUAR FLITA (commune PLANCHA (ORAN).

Blessé grièvement à la poitrine ; il a été transporté dans une ambulance réquisitionnée par mon service, d’abord à la clinique DELAY, d’où, faute de place, il a été dirigé sur l’hôpital St Léon où il est décédé en arrivant. Le cadavre a été de ce fait déposé à la morgue du Cimetière St Léon par ordre du Lieutenant du Camp .M.MOURGUIART, qui avait accompagné le blessé.

Sitôt prévenu, je me suis rendu sur les lieux accompagné de Mr. NOEL, Secrétaire Principal de Police.

Des premiers renseignements recueillis sur place auprès du caporal DARO et de deux autres indigènes, il résulte que DARRICAU a été surpris par DARO, à côté de la baraque N°39,en train de causer avec sa femme, Mme DARRICAU Marie (…) également détenue à la baraque N°34 ,qui s’était rendue aux lavabos Le caporal l’a invité à s’éloigner en lui faisant observer qu’il lui était interdit de communiquer avec sa femme .DARRICAU  s’est éloignée puis il est revenu à deux autres reprises qui lui a valu autant de sommations et finalement la menace de recevoir un coup de feu s’il  n’obtempérait  pas .DARRICAU  s’est encore éloigné, mais contournant la baraque, il a récidivé  une quatrième fois, ce que voyant le caporal la sommé une dernière fois de s’éloigner .DARRICAU  n’en ont rien fait et a répliqué à l’adresse du caporal indigène « va te faire enculer » .Le caporal a alors tiré sur DARRICAU et a prévenu ses chefs.

Je procède à une enquête et vous transmettrai le procès-verbal le plus rapidement possible.

DARRICAU et sa femme avait été arrêtés le 26 septembre dernier, le premier à Villefranque où il était domicilié et la 2nde à Ustaritz, pour collaboration et dénonciation à l’ennemi.

Ils étaient au Polo de Beyris depuis le 29 septembre dernier.

 

_Pièce N°2_Blessure mortelle par arme à feu.

Victime DARRICAU Arnaud détenu au Camp du Polo.

Auteur :DAHO AHMED Caporal indigène de garde au Camp.

 

Vingt-huit novembre 1944

DUHAU Julien Commissaire de Police à Bayonne

A Procureur de la République

Informé à 20 h55 d’avoir à nous rendre au camp de concentration du Polo de Beyris où un détenu avait essuyé un coup de fusil de la part d’un caporal indigène de garde, nous nous y sommes transportés en compagnie de M. NOEL, Secrétaire Principal de Police.

Des premiers renseignements recueillis tant auprès du lieutenant MOURGUIART , que du caporal indigène DAHO AHMED ,Il résulte que vers les 19h45, le dit caporal ayant surpris le détenu DARRICAU ( dit Adrien, ) âgée de 33 ans, né à MOUGUERRE   le 29/11/11 domicilié légalement à VILLEFRANQUE , arrêté en cette localité, de même  sa femme  le 26 septembre 1944 pour collaboration et dénonciation à l’ennemi, affecté à la baraque N°42 , en train de causer à travers les barbelés, à proximité de la baraque N° 39 avec sa femme.(….) qui se trouvait à un moment aux lavabos, la sommé  de s’éloigner en lui faisant observer qu’il était interdit de communiquer avec sa femme. DARRICAU   s’est éloigné, mais il a récidivé à deux reprises, ce que voyant le caporal DAHO l’a avisé que ‘il n’obtempérait il tirerait sur lui .DARRICAU  a fait mine de s’éloigner, mais en réalité, il a contourné la baraque N°39 pour aller de nouveau communiquer avec sa femme.

Le Caporal DAHO l’a sommé pour la 4e fois de s’éloigner. DARRICAU n’a rien fait et s’adressant au Caporal il s’est écrié « Va te faire enculer ». Le Caporal DARO AHMED a alors tiré sur DARRICAU qui a été grièvement blessé à la poitrine et il a avisé ses chefs.

M. Le lieutenant MOURGUIART après avoir demandé une ambulance par l’intermédiaire du Poste de Police a fait conduire le blessé d’abord à la clinique DELAY où il n’a pu être reçu faute de places, puis à l’hôpital St-Léon, mais il est mort en arrivant. Force donc été de déposer le corps à la morgue du cimetière St-Léon.

Un rapport a été adressé d’urgence à Monsieur le Procureur de la République et copie à MM. Le Sous-Préfet à Bayonne, le Préfet des Basses-Pyrénées, le Directeur Régional des Services de Sécurité Publique à Bordeaux et le Directeur Départemental de Police à Pau.

LE COMMISSAIRE DE POLICE.

Ce jourd’hui 29 novembre 1944, après avis du Parquet nous nous sommes transportés à la morgue du Cimetière St-Léon en compagnie de M. Le Docteur HALTY Jean, médecin de l’état-civil et de la Police.

Après avoir en notre présence constaté que le corps ne porte pas de traces de coups il a examiné la blessure à la poitrine. M.HALTY a conclu en disant que seule une autopsie pourra déterminer exactement la nature de la blessure qui a entrainé la mort de DARRICAU.

Nous avons avisé aussitôt le Parquet de ce qui précède et ainsi l’autopsie a été décidée.

LE COMMISSAIRE DE POLICE.

 

Continuons entre temps notre enquête, nous entendons par P.V. annexés

1° DARO AHMED

2°ALLAH NOULEY

3°ATMAIN ABDELKADER

4° Lieutenant MOURGUIART

5° Lieutenant VILLENAVE

6°DARRICAU (…) Marie

7° Exxxx Henri Louis ,

Tous au Polo de Beyris

Des constations faites sur place en présence du caporal DAHO et des témoins du coup de feu aurait été tiré par DAHO sur DARRICAU à une distance de vingt pas .(…).

La douille trouvée à proximité du lavabo a été saisie, placée sous scellé et déposée au Greffe. Est également joint un certificat médical délivré par le Dr Mxxxx, détenu au Polo, qui a examiné le blessé avant son transfert du Polo vers la clinique.

Mentionnons qu’après autopsie pratiquée par M. Le Docteur Jean Garat médecin légiste, commis par le Parquet opération qui a confirmé les constations du Docteur Mxxx. Le permis d’inhumer a été délivré et transmis à Monsieur le Maire de BAYONNE, officier de l’état civil pour rédaction de l’acte de décès de DARRICAU Arnaud.

De tout quoi procès-verbal, transmis à Monsieur le Procureur de la République.

Clos à Bayonne le 30 novembre 1944

LE COMMISSAIRE DE POLICE.

 

_Pièce N°3_Déclaration du caporal DAHO Ahmed, détaché au camp du Polo

Continuons l’enquête, entendons le caporal DAHO Ahmed, matricule 1134 né en 1916 à DOUAR FLITA commune PLANCHA (ORAN), fils de feu Ahmed DAHO BOUZID et de CENANI HALMA BEN ABDALAH, célibataire,

Qui déclare :

Hier 28 courant, j’étais de garde à la porte de communication du quartier des femmes avec celui des hommes, de 123h45 à 20 h.

Le long de la clôture qui sépare le camp des femmes de celui des hommes se trouve un lavabo mitoyen, à, 17 heures, j’ai ouvert le lavabo qui sert au quartier des hommes et vers 18 heures, je l’ai fermé., à ce moment-là, j’ai ouvert celui des femmes et ne l’ai pas refermé.

Plusieurs détenues c’est-à-dire 7 femmes environ sont venues à ce lavabo laver la vaisselle.

Pendant ce temps, c’est-à-dire vers 19h45, le nommé DARRICAU a passé la porte de communication du quartier des hommes, a pénétré dans le quartier des femmes et s’est dirigé vers le lavabo où il s’est entretenu avec une détenue dont je ne connais pas le nom. J’ai fait remarquer à DARRICAU qu’il était défendu de pénétrer dans le lavabo destiné au quartier des femmes ainsi que de s’entretenir avec l’une d’elles.

DARRICAU s’est alors éloigné puis il est revenu une deuxième fois, je lui ait fait la même observation. Il est reparti, et est encore revenu une troisième fois. Il est alors retourné au quartier des hommes par la porte de communication, puis il est revenu par derrière la baraque N°39, du quartier des hommes et s’est approché de la grille en face du lavabo, pour à nouveau parler avec la même femme.

Pendant ce temps, parlant à nouveau avec une détenue. Celle-ci me voyant arriver, s’est éloignée.

J’ai alors reproché à DARRICAU pour la quatrième fois de s’être entretenu avec une détenue. DARRICAU m’a alors répondu : » Va te faire enculer ».

Lorsque j’ai entendu cette réponse, j’ai épaulé le fusil que j’avais à la bretelle et ai fait feu sur DARRICAU, après avoir essuyé le coup de feu (un seul) est parti en courant et est entré dans la baraque 39 ou 40, je ne sais exactement.

Je n’ai pas vu DARRICAU s’affaisser mais j’ai remarqué que plusieurs détenus ont accouru vers lui, ce qui m’a fait supposer qu’il était blessé.

Quant à moi, je suis parti en courant vers le bureau du camp pour informer mes chefs de ce qui venait de se passer.

Le fusil avec lequel j’ai tiré sur DARRICAU est une arme allemande dont je ne connais pas le calibre. La douille a dû rester sur place, car je l’ai extraite du fusil aussitôt le coup de feu et l’ai laissée à terre. Il y avait 1 cartouche dans le canon et 5 dans le chargeur. J’ai remis le fusil au soldat qui a pris la garde à ma place hier soir, et qui se nomme BEN  SIDHOU.

Je ne me souviens pas si je lui ai remis cette arme avec ou sans le chargeur.

Au moment où j’ai tiré sur DARRICAU il n’y avait autour de moi que des femmes qui se trouvaient au lavabo, et dont je ne connais pas le nom. D’ailleurs, la nuit tombait déjà à ce moment-là.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE.

 

_Pièce N°4_Audition du caporal ALLAH MOULEY, matricule 1317

Continuons notre enquête,

Entendons le caporal ALLAH MOULEY, matricule 1317, né en 1917 à VIALA, commune de SERESOU (Algérie)

Qui déclare

« Hier soir,28 courant, vers 18 h30, je suis allé rejoindre mon camarade le caporal DAHO Ahmed, qui était de garde à la porte de communication du camp des hommes et des femmes, à proximité des lavabos. Mon camarade faisait le tour des baraques pour assurer sa garde tandis que je me tenais devant la porte.

Tout à coup, j’ai entendu un coup de fusil venant de derrière les lavabos, je me suis précipité et j’ai vu que plusieurs détenus entouraient déjà un homme qui était blessé, tandis que mon camarade DAHO Ahmed se dirigeait en courant vers le bureau du camp.

Je ne puis vous donner aucune indication sur les circonstances dans lesquelles le coup de fusil a été tiré n’ayant rien vu de la scène qui se passait derrière les lavabos, ni entendu mon camarade faire des remontrances au détenu qui a été blessé.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE

 

_Pièce N°5_Audition ATMAIN ABDELKADER soldat matricule 1507

Continuons l’enquête, entendons le soldat ATMAIN ABDELKADER, matricule 1507 né à BOUFARIT AMRAUSSA commune BOUINAN (Alger) le 13 avril 1919.

Qui déclare :

Hier soir,28 courant, vers 18 heures, je suis allé trouver le caporal DAHO, de garde à la porte de communication du quartier des hommes avec celui des femmes. Vers 18h15, j’ai sonné la soupe à cet endroit, en ma qualité de clairon, puis je suis resté avec DAHO jusque vers 19h45 ou plus exactement vers 20 heures. Pendant ce temps, un homme détenu est venu à trois reprises au quartier des femmes et s’est entretenue avec une de celle-ci également détenue. Chaque fois, le caporal DAHO le faisait reculer disant qu’il était interdit aux hommes de s’entretenir avec les femmes. Après la troisième observation, ce détenu est retourné au camp des hommes, est passé derrière les baraques et est revenu vers le lavabo pour s’entretenir à nouveau avec une femme cette fois à travers les fils de fer barbelés.

Ce que voyant, le caporal DAHO m’a demandé de garder la porte de communication du camp des hommes avec celui des femmes, et lui -même s’est approché des lavabos pour inviter le détenu à s’éloigner au lieu de parler avec une femme détenue. Presque aussitôt j’ai entendu un coup de feu qui venait de se tirer du côté des lavabos. Je me suis précipité et ai vu que plusieurs détenus étaient accourus et relevaient un blessé, tandis que le caporal DAHO se dirigeait vers le bureau de camp.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE

 

_Pièce N°6_Déclaration de M. Le Lieutenant MOURGUIART Lieutenant au camp du Polo

Continuons l’enquête, entendons le lieutenant MOURGUIART Jean,40 ans, commandant le Camp du Polo des détenus politiques à Beyris-BAYONNE,

Qui déclare :

Hier soir, vers 19h45, me trouvant à mon domicile villa « Nere Placera »,j’ai été prévenu téléphoniquement par mon adjoint de rentrer immédiatement au camp, un détenu ayant été blessé d’un coup de feu. Je me suis rendu immédiatement au camp et ai trouvé le détenu DARRICAU entre les mains du docteur Mxxx et l’interne PIALLOUX qui lui donnaient des soins. Pendant ce temps, l’ambulance envoyée par la police étant arrivée, nous nous sommes rendus à la clinique DELAY qui n’a pu nous recevoir faute de place. Nous sommes alors repartis aussitôt à l’hôpital. L’interne de service n’a pu que constater le décès. Nous avons requis l’agent de police de garde à l’hôpital et avons transporté le corps à la morgue du cimetière.

En principe, les fusils dont se servent les soldats pour monter la garde autour du camp, ne sont pas munis de baïonnettes.

La consigne qui est donnée aux hommes de garde consiste à tirer en cas d’évasion et après une sommation par coup de feu en l’air. Toutefois, la nuit, il est tiré, sans préavis sur toute personne circulant à l’intérieur du camp après l’appel de 20 heures.

Hier soir, lorsque DAHO a tiré sur le détenu DARRICAU, l’appel n’était pas encore fait, puisqu’il n’était environ que 19 h30.Je ne puis attribuer ce malheureux coup de feu qu’à la blessure morale ressentie par DAHO injurié par DARRICAU et excédé de 4 sommations faites sans résultat, verbalement.

Les renseignements que je puis vous fournir sur la caporal DAHO sont excellents à tous égards.

Lecture faite persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE.

 

_Pièce N°7_Déclaration de M. VILLENAVE Jean Lieutenant Adjoint au camp du Polo

Continuons l’enquête,

Entendons M. Le Lieutenant VILLENAVE Jean, âgé de 49 ns, affecté au service du camp du Polo de Beyris, lequel déclare :

Hier soir, 28 courant, vers 19 h 30 environ, j’étais attablé au mess lorsque j’ai été avisé par le sergent ALLI  et les docteurs Mxxx et PIALLOUX que l’homme de garde à l’intérieur du camp avait tiré sur un détenu, et l’avait blessé.

Le détenu a été transporté aussitôt à la baraque 39 où je me suis rendu immédiatement et où je l’ai trouvé allongé sur une table, alors que les docteurs précités lui prodiguaient les soins que nécessitaient sa blessure.

Il s’agissait du détenu DARRICAU Arnaud. Celui-ci une fois pansé, je l’ai fait transporter à la clinique du docteur DELAY à l’aide d’une ambulance que la police avait envoyé sur ma demande, mais le docteur DELAY n’a pu la recevoir, faute de place. Le lieutenant MOURGUIART qui accompagnait le blessé a alors dirigé celui-ci sur l’hôpital St-Léon. En arrivant à cet établissement, l’interne de service a constaté que le blessé venait d’expirer.

Le corps a alors été dirigé sur la morgue du cimetière St Léon, accompagné par le Gardien de la Paix de service à l’hôpital.

Il y a l’intérieur du camp un lavabo à cheval sur la clôture qui sépare le camp des hommes de celui des femmes. Lorsque celui destiné à l’usage des femmes est ouvert, celui à l’usage des hommes doit être fermé et inversement. Hier au soir, DARRICAU, après avoir été refoulé par la sentinelle à trois reprises différentes des lavabos des femmes où il avait pénétré est rentré dans le camp des hommes puis a contourné la baraque 39 est revenu par derrière celle-ci pour s’entretenir avec une femme qui se trouvait aux lavabos, à travers les barbelés. A ce moment-là la sentinelle, c’est-à-dire le caporal DAHO Ahmed l’ayant pour la quatrième fois invité à s’éloigner et à ne pas parler avec les femmes, DARRICAU, lui aurait répondu « Va te faire enculer ».

Cette expression constituant pour les Nord-Africains une injure grave, DAHO Ahmed, moralement blessé aurait épaulé le fusil qu’il détenait et tiré sur DARRICAU un coup de feu.

DARRICAU, blessé a fait quelques pas, puis se serait affaissé derrière la baraque 39.

La consigne donnée aux hommes de garde est la suivante :

Pour toute tentative d’évasion, soit à l’extérieur soit à l’intérieur du camp, la sentinelle doit faire trois sommations disant : » halte là où je tire ».Les sommations n’aboutissant pas, on doit régulièrement tirer un coup en l’air.

Je dois reconnaître que le caporal DAHO aurait dû hier soir, avant de tirer sur DARRICAU, tirer un coup en l’air. Je suis persuadé que s’il en fut autrement, c’est à cause de l’injure qu’il venait d’essuyer qu’il n’a pas tout d’abord tiré un coup en l’air.

Je dois vous dire que le caporal DAHO est un excellent soldat et que pour cette raison, il a été choisi pour être garde au Polo et y assurer un service délicat.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE

Après lecture de sa déposition, le lieutenant VILLENAVE ajoute que les fusils dont se servent les sentinelles n’ont pas de baïonnettes car il s’agit d’armes de différents modèles.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE

 

 

_Pièce N°8_29 novembre 1944

Déclaration de Mme DARRICAU  (…) Marie, détenue au camp du Polo

Continuons l’enquête, entendons Mme DARRICAU (…) Marie,31 ans, actuellement détenue au Camp du Polo de Beyris :qui déclare :

« Je ne me suis pas entretenue avec mon mari au camp de Beyris, hier soir, vers 19h30, parce que je ne suis pas sortie, et de ce fait, ne l’ai pas aperçu. En effet, je suis restée à la baraque 34 dans laquelle je suis logée où j’ai tricoté jusque vers 22h30.

Je ne puis vous dire non plus quelle serait la détenue qui se serait entretenue avec mon maris aux lavabos.

Je n’ai pas non plus entendu le coup de feu qui aurait été tiré hier soir sur mon mari par la sentinelle de garde. J’ai simplement entendu dire que l’on avait tiré sur quelqu’un.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE.

 

_Pièce N°9_29 novembre 1944

Déclaration de M.Exxxx Henri détenu au camp du Polo

Continuons l’enquête.

Entendons Monsieur Exxx Henri, âgé de 44 ans, actuellement détenu au Camp du Polo de Beyris qui déclare :

« Je suis chef de la baraque N°39, contigu aux lavabos communs aux hommes et aux femmes.

Hier soir,28 courant, vers 19h30 alors que je me trouvais dans la chambre, j’ai entendu une détonation provenant vraisemblablement de l’extrémité sud, de ladite baraque.

Quelques hommes sont sortis et quelques secondes après, ont ramené dans la chambre du détenu, DARRICAU, de la baraque 42, qui venait d’être blessé par le coup de feu tiré vraisemblablement par la sentinelle.

Les docteurs Mxxxx et PIALLOUX ont été immédiatement appelés, ont donné les premiers soins de même que le lieutenant VILLENAVE, adjoint du commandant du Camp, qui a fait immédiatement transporter le blessé à l’hôpital.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE



Sources :
Histoire pénitentiaire et Justice militaire
Blog de Jacky Tronel
23 mars 1912
« Accident mortel au camp d’internement du Polo de Beyris »
https://prisons-cherche-midi-mauzac.com/des-camps/accident-mortel-au-camp-dinternement-de-polo-beyris-le-28-novembre-1944-a-bayonne-11426

Archives Nationales F/7/15104 (Transmission de Jacky Tronel)

Retronews (payant) Le Courrier, mercredi 29 novembre 1944

 

Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque (AD 64)
1001 W art.210 Commissariat central de Bayonne

Service de l’état civil mairie de Bayonne.


Contenu N°2 L' équipée du 24 août 1944 

Contenu N°3 Médisances