19 septembre 2025

Le cas Arnaud Darricau: un "accident mortel " en question

 

Arnaud Darricau (1911-1944)

Un "accident mortel" en question

Bayonne, camp d’internement du Polo Beyris 

Le Courrier, quotidien local du mercredi 29 novembre 1944 a rapporté en page 2

Accident mortel à Beyris

"Cette nuit, au Polo de Beyris, un détenu, M.Darricau, de Mouguerre, a quitté le camp réservé aux hommes, pour communiquer avec sa femme. Il a été aperçu par une sentinelle qui, après lui avoir fait les sommations d’usage auxquelles il n’a pas obtempéré, a tiré un coup de feu. Gravement atteint M.Darricau a été transporté à l’hôpital de Bayonne où il est mort peu après."

Cette tragique histoire est revenue en mars 2012 sur le blog de l’historien Jacky Tronel,  Histoire pénitentiaire et Justice militaire. «. Depuis, des renseignements complémentaires ont été obtenus par des archives dispersées. Elles sont plus ou moins ouvertes au public. Ainsi, un petit dossier d’enquête, découvert incidemment dans la multitude non référencée des 300 cartons du commissariat de police de Bayonne. La recherche sur les circonstances de la mort d’Arnaud Darricau a été menée au pas de charge par Julien Duhau, commissaire de police. Il en résulte :

·         La victime doit son internement pour des motifs de collaboration et dénonciation à l’ennemi, sans autres précisions. Nous reviendrons plus longuement  dans un  article à paraître  sur cette incrimination qui s’applique à des  relations conflictuelles entre particuliers .

·         Par quatre fois, Darricau  a contrevenu à l’interdiction de communiquer avec une femme, également détenue.

·         Enfin, le coup de fusil a été tiré après une injonction injurieuse lancée à l’adresse du garde.

Sauf que cette restitution inspire des doutes :

La sentinelle Ahmed Daho, est l’unique déclarant présent du début à la fin des faits,

Aucun témoin pour attester les paroles injurieuses,

Aucune personne pour garantir la déclaration  de Madame Darricau qui prétend être restée à l’intérieur de sa baraque.

 

L’acte d’état civil dressé dans l’après-midi du 29 novembre sur la déclaration de Laurent Mihure sous brigadier de police, indique que le décès de Darricau  est survenu quartier Saint Léon, Beyris, Camp du Polo.


Enfin dernière pièce qui pose problème, la curieuse réponse de l’administration du ministère de l’Intérieur à une requête en date du 20 juin 1946 par laquelle Mme Vve DARRICAU demande une indemnité à l’occasion de son mari tué accidentellement camp du Polo à Bayonne où il était interné.

En raison de la dissolution du bureau des camps il ne m’a pas été possible d’effectuer l’enquête qui permettra de déterminer si le décès de M.DARRICAU est bien du à une faute de service qui entraînerait la responsabilité de l’Administration.

Source:Archives Nationales F/7/15104

 

Que s’est-il réellement passé mardi 28 novembre 1944 dans l’enceinte du camp du Polo Beyris ? La déclaration du lieutenant Jean Villenave (pièce N°7) est éclairante :

La consigne donnée aux hommes de garde est la suivante :

Pour toute tentative d’évasion, soit à l’extérieur soit à l’intérieur du camp, la sentinelle doit faire trois sommations disant : » halte là où je tire ». Les sommations n’aboutissant pas, on doit régulièrement tirer un coup en l’air.

Je dois reconnaître que le caporal DAHO aurait dû hier soir, avant de tirer sur DARRICAU, tirer un coup en l’air. Je suis persuadé que s’il en fut autrement, c’est à cause de l’injure qu’il venait d’essuyer qu’il n’a pas tout d’abord tiré un coup en l’air.

Je dois vous dire que le caporal DAHO est un excellent soldat et que pour cette raison, il a été choisi pour être garde au Polo et y assurer un service délicat.

 

_Pièce N°1_LE COMMISSAIRE DE POLICE

à

Monsieur le PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE A BAYONNE

J’ai l’honneur de vous faire connaître qu’hier soir 28 novembre courant, vers 19h45,un détenu du camp du Polo de Beyris ; nommé DARRICAU Arnaud (dit Adrien) âgé de 33 ans, né à Mouguerre le 29 septembre 1911, affecté à la baraque N°42 ,a essuyé un coup de fusil de la part du caporal de garde DAHO AHMED, né en 1916, au DOUAR FLITA (commune PLANCHA (ORAN).

Blessé grièvement à la poitrine ; il a été transporté dans une ambulance réquisitionnée par mon service, d’abord à la clinique DELAY, d’où, faute de place, il a été dirigé sur l’hôpital St Léon où il est décédé en arrivant. Le cadavre a été de ce fait déposé à la morgue du Cimetière St Léon par ordre du Lieutenant du Camp .M.MOURGUIART, qui avait accompagné le blessé.

Sitôt prévenu, je me suis rendu sur les lieux accompagné de Mr. NOEL, Secrétaire Principal de Police.

Des premiers renseignements recueillis sur place auprès du caporal DARO et de deux autres indigènes, il résulte que DARRICAU a été surpris par DARO, à côté de la baraque N°39,en train de causer avec sa femme, Mme DARRICAU Marie (…) également détenue à la baraque N°34 ,qui s’était rendue aux lavabos Le caporal l’a invité à s’éloigner en lui faisant observer qu’il lui était interdit de communiquer avec sa femme .DARRICAU  s’est éloignée puis il est revenu à deux autres reprises qui lui a valu autant de sommations et finalement la menace de recevoir un coup de feu s’il  n’obtempérait  pas .DARRICAU  s’est encore éloigné, mais contournant la baraque, il a récidivé  une quatrième fois, ce que voyant le caporal la sommé une dernière fois de s’éloigner .DARRICAU  n’en ont rien fait et a répliqué à l’adresse du caporal indigène « va te faire enculer » .Le caporal a alors tiré sur DARRICAU et a prévenu ses chefs.

Je procède à une enquête et vous transmettrai le procès-verbal le plus rapidement possible.

DARRICAU et sa femme avait été arrêtés le 26 septembre dernier, le premier à Villefranque où il était domicilié et la 2nde à Ustaritz, pour collaboration et dénonciation à l’ennemi.

Ils étaient au Polo de Beyris depuis le 29 septembre dernier.

 

_Pièce N°2_Blessure mortelle par arme à feu.

Victime DARRICAU Arnaud détenu au Camp du Polo.

Auteur :DAHO AHMED Caporal indigène de garde au Camp.

 

Vingt-huit novembre 1944

DUHAU Julien Commissaire de Police à Bayonne

A Procureur de la République

Informé à 20 h55 d’avoir à nous rendre au camp de concentration du Polo de Beyris où un détenu avait essuyé un coup de fusil de la part d’un caporal indigène de garde, nous nous y sommes transportés en compagnie de M. NOEL, Secrétaire Principal de Police.

Des premiers renseignements recueillis tant auprès du lieutenant MOURGUIART , que du caporal indigène DAHO AHMED ,Il résulte que vers les 19h45, le dit caporal ayant surpris le détenu DARRICAU ( dit Adrien, ) âgée de 33 ans, né à MOUGUERRE   le 29/11/11 domicilié légalement à VILLEFRANQUE , arrêté en cette localité, de même  sa femme  le 26 septembre 1944 pour collaboration et dénonciation à l’ennemi, affecté à la baraque N°42 , en train de causer à travers les barbelés, à proximité de la baraque N° 39 avec sa femme.(….) qui se trouvait à un moment aux lavabos, la sommé  de s’éloigner en lui faisant observer qu’il était interdit de communiquer avec sa femme. DARRICAU   s’est éloigné, mais il a récidivé à deux reprises, ce que voyant le caporal DAHO l’a avisé que ‘il n’obtempérait il tirerait sur lui .DARRICAU  a fait mine de s’éloigner, mais en réalité, il a contourné la baraque N°39 pour aller de nouveau communiquer avec sa femme.

Le Caporal DAHO l’a sommé pour la 4e fois de s’éloigner. DARRICAU n’a rien fait et s’adressant au Caporal il s’est écrié « Va te faire enculer ». Le Caporal DARO AHMED a alors tiré sur DARRICAU qui a été grièvement blessé à la poitrine et il a avisé ses chefs.

M. Le lieutenant MOURGUIART après avoir demandé une ambulance par l’intermédiaire du Poste de Police a fait conduire le blessé d’abord à la clinique DELAY où il n’a pu être reçu faute de places, puis à l’hôpital St-Léon, mais il est mort en arrivant. Force donc été de déposer le corps à la morgue du cimetière St-Léon.

Un rapport a été adressé d’urgence à Monsieur le Procureur de la République et copie à MM. Le Sous-Préfet à Bayonne, le Préfet des Basses-Pyrénées, le Directeur Régional des Services de Sécurité Publique à Bordeaux et le Directeur Départemental de Police à Pau.

LE COMMISSAIRE DE POLICE.

Ce jourd’hui 29 novembre 1944, après avis du Parquet nous nous sommes transportés à la morgue du Cimetière St-Léon en compagnie de M. Le Docteur HALTY Jean, médecin de l’état-civil et de la Police.

Après avoir en notre présence constaté que le corps ne porte pas de traces de coups il a examiné la blessure à la poitrine. M.HALTY a conclu en disant que seule une autopsie pourra déterminer exactement la nature de la blessure qui a entrainé la mort de DARRICAU.

Nous avons avisé aussitôt le Parquet de ce qui précède et ainsi l’autopsie a été décidée.

LE COMMISSAIRE DE POLICE.

 

Continuons entre temps notre enquête, nous entendons par P.V. annexés

1° DARO AHMED

2°ALLAH NOULEY

3°ATMAIN ABDELKADER

4° Lieutenant MOURGUIART

5° Lieutenant VILLENAVE

6°DARRICAU (…) Marie

7° Exxxx Henri Louis ,

Tous au Polo de Beyris

Des constations faites sur place en présence du caporal DAHO et des témoins du coup de feu aurait été tiré par DAHO sur DARRICAU à une distance de vingt pas .(…).

La douille trouvée à proximité du lavabo a été saisie, placée sous scellé et déposée au Greffe. Est également joint un certificat médical délivré par le Dr Mxxxx, détenu au Polo, qui a examiné le blessé avant son transfert du Polo vers la clinique.

Mentionnons qu’après autopsie pratiquée par M. Le Docteur Jean Garat médecin légiste, commis par le Parquet opération qui a confirmé les constations du Docteur Mxxx. Le permis d’inhumer a été délivré et transmis à Monsieur le Maire de BAYONNE, officier de l’état civil pour rédaction de l’acte de décès de DARRICAU Arnaud.

De tout quoi procès-verbal, transmis à Monsieur le Procureur de la République.

Clos à Bayonne le 30 novembre 1944

LE COMMISSAIRE DE POLICE.

 

_Pièce N°3_Déclaration du caporal DAHO Ahmed, détaché au camp du Polo

Continuons l’enquête, entendons le caporal DAHO Ahmed, matricule 1134 né en 1916 à DOUAR FLITA commune PLANCHA (ORAN), fils de feu Ahmed DAHO BOUZID et de CENANI HALMA BEN ABDALAH, célibataire,

Qui déclare :

Hier 28 courant, j’étais de garde à la porte de communication du quartier des femmes avec celui des hommes, de 123h45 à 20 h.

Le long de la clôture qui sépare le camp des femmes de celui des hommes se trouve un lavabo mitoyen, à, 17 heures, j’ai ouvert le lavabo qui sert au quartier des hommes et vers 18 heures, je l’ai fermé., à ce moment-là, j’ai ouvert celui des femmes et ne l’ai pas refermé.

Plusieurs détenues c’est-à-dire 7 femmes environ sont venues à ce lavabo laver la vaisselle.

Pendant ce temps, c’est-à-dire vers 19h45, le nommé DARRICAU a passé la porte de communication du quartier des hommes, a pénétré dans le quartier des femmes et s’est dirigé vers le lavabo où il s’est entretenu avec une détenue dont je ne connais pas le nom. J’ai fait remarquer à DARRICAU qu’il était défendu de pénétrer dans le lavabo destiné au quartier des femmes ainsi que de s’entretenir avec l’une d’elles.

DARRICAU s’est alors éloigné puis il est revenu une deuxième fois, je lui ait fait la même observation. Il est reparti, et est encore revenu une troisième fois. Il est alors retourné au quartier des hommes par la porte de communication, puis il est revenu par derrière la baraque N°39, du quartier des hommes et s’est approché de la grille en face du lavabo, pour à nouveau parler avec la même femme.

Pendant ce temps, parlant à nouveau avec une détenue. Celle-ci me voyant arriver, s’est éloignée.

J’ai alors reproché à DARRICAU pour la quatrième fois de s’être entretenu avec une détenue. DARRICAU m’a alors répondu : » Va te faire enculer ».

Lorsque j’ai entendu cette réponse, j’ai épaulé le fusil que j’avais à la bretelle et ai fait feu sur DARRICAU, après avoir essuyé le coup de feu (un seul) est parti en courant et est entré dans la baraque 39 ou 40, je ne sais exactement.

Je n’ai pas vu DARRICAU s’affaisser mais j’ai remarqué que plusieurs détenus ont accouru vers lui, ce qui m’a fait supposer qu’il était blessé.

Quant à moi, je suis parti en courant vers le bureau du camp pour informer mes chefs de ce qui venait de se passer.

Le fusil avec lequel j’ai tiré sur DARRICAU est une arme allemande dont je ne connais pas le calibre. La douille a dû rester sur place, car je l’ai extraite du fusil aussitôt le coup de feu et l’ai laissée à terre. Il y avait 1 cartouche dans le canon et 5 dans le chargeur. J’ai remis le fusil au soldat qui a pris la garde à ma place hier soir, et qui se nomme BEN  SIDHOU.

Je ne me souviens pas si je lui ai remis cette arme avec ou sans le chargeur.

Au moment où j’ai tiré sur DARRICAU il n’y avait autour de moi que des femmes qui se trouvaient au lavabo, et dont je ne connais pas le nom. D’ailleurs, la nuit tombait déjà à ce moment-là.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE.

 

_Pièce N°4_Audition du caporal ALLAH MOULEY, matricule 1317

Continuons notre enquête,

Entendons le caporal ALLAH MOULEY, matricule 1317, né en 1917 à VIALA, commune de SERESOU (Algérie)

Qui déclare

« Hier soir,28 courant, vers 18 h30, je suis allé rejoindre mon camarade le caporal DAHO Ahmed, qui était de garde à la porte de communication du camp des hommes et des femmes, à proximité des lavabos. Mon camarade faisait le tour des baraques pour assurer sa garde tandis que je me tenais devant la porte.

Tout à coup, j’ai entendu un coup de fusil venant de derrière les lavabos, je me suis précipité et j’ai vu que plusieurs détenus entouraient déjà un homme qui était blessé, tandis que mon camarade DAHO Ahmed se dirigeait en courant vers le bureau du camp.

Je ne puis vous donner aucune indication sur les circonstances dans lesquelles le coup de fusil a été tiré n’ayant rien vu de la scène qui se passait derrière les lavabos, ni entendu mon camarade faire des remontrances au détenu qui a été blessé.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE

 

_Pièce N°5_Audition ATMAIN ABDELKADER soldat matricule 1507

Continuons l’enquête, entendons le soldat ATMAIN ABDELKADER, matricule 1507 né à BOUFARIT AMRAUSSA commune BOUINAN (Alger) le 13 avril 1919.

Qui déclare :

Hier soir,28 courant, vers 18 heures, je suis allé trouver le caporal DAHO, de garde à la porte de communication du quartier des hommes avec celui des femmes. Vers 18h15, j’ai sonné la soupe à cet endroit, en ma qualité de clairon, puis je suis resté avec DAHO jusque vers 19h45 ou plus exactement vers 20 heures. Pendant ce temps, un homme détenu est venu à trois reprises au quartier des femmes et s’est entretenue avec une de celle-ci également détenue. Chaque fois, le caporal DAHO le faisait reculer disant qu’il était interdit aux hommes de s’entretenir avec les femmes. Après la troisième observation, ce détenu est retourné au camp des hommes, est passé derrière les baraques et est revenu vers le lavabo pour s’entretenir à nouveau avec une femme cette fois à travers les fils de fer barbelés.

Ce que voyant, le caporal DAHO m’a demandé de garder la porte de communication du camp des hommes avec celui des femmes, et lui -même s’est approché des lavabos pour inviter le détenu à s’éloigner au lieu de parler avec une femme détenue. Presque aussitôt j’ai entendu un coup de feu qui venait de se tirer du côté des lavabos. Je me suis précipité et ai vu que plusieurs détenus étaient accourus et relevaient un blessé, tandis que le caporal DAHO se dirigeait vers le bureau de camp.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE

 

_Pièce N°6_Déclaration de M. Le Lieutenant MOURGUIART Lieutenant au camp du Polo

Continuons l’enquête, entendons le lieutenant MOURGUIART Jean,40 ans, commandant le Camp du Polo des détenus politiques à Beyris-BAYONNE,

Qui déclare :

Hier soir, vers 19h45, me trouvant à mon domicile villa « Nere Placera »,j’ai été prévenu téléphoniquement par mon adjoint de rentrer immédiatement au camp, un détenu ayant été blessé d’un coup de feu. Je me suis rendu immédiatement au camp et ai trouvé le détenu DARRICAU entre les mains du docteur Mxxx et l’interne PIALLOUX qui lui donnaient des soins. Pendant ce temps, l’ambulance envoyée par la police étant arrivée, nous nous sommes rendus à la clinique DELAY qui n’a pu nous recevoir faute de place. Nous sommes alors repartis aussitôt à l’hôpital. L’interne de service n’a pu que constater le décès. Nous avons requis l’agent de police de garde à l’hôpital et avons transporté le corps à la morgue du cimetière.

En principe, les fusils dont se servent les soldats pour monter la garde autour du camp, ne sont pas munis de baïonnettes.

La consigne qui est donnée aux hommes de garde consiste à tirer en cas d’évasion et après une sommation par coup de feu en l’air. Toutefois, la nuit, il est tiré, sans préavis sur toute personne circulant à l’intérieur du camp après l’appel de 20 heures.

Hier soir, lorsque DAHO a tiré sur le détenu DARRICAU, l’appel n’était pas encore fait, puisqu’il n’était environ que 19 h30.Je ne puis attribuer ce malheureux coup de feu qu’à la blessure morale ressentie par DAHO injurié par DARRICAU et excédé de 4 sommations faites sans résultat, verbalement.

Les renseignements que je puis vous fournir sur la caporal DAHO sont excellents à tous égards.

Lecture faite persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE.

 

_Pièce N°7_Déclaration de M. VILLENAVE Jean Lieutenant Adjoint au camp du Polo

Continuons l’enquête,

Entendons M. Le Lieutenant VILLENAVE Jean, âgé de 49 ns, affecté au service du camp du Polo de Beyris, lequel déclare :

Hier soir, 28 courant, vers 19 h 30 environ, j’étais attablé au mess lorsque j’ai été avisé par le sergent ALLI  et les docteurs Mxxx et PIALLOUX que l’homme de garde à l’intérieur du camp avait tiré sur un détenu, et l’avait blessé.

Le détenu a été transporté aussitôt à la baraque 39 où je me suis rendu immédiatement et où je l’ai trouvé allongé sur une table, alors que les docteurs précités lui prodiguaient les soins que nécessitaient sa blessure.

Il s’agissait du détenu DARRICAU Arnaud. Celui-ci une fois pansé, je l’ai fait transporter à la clinique du docteur DELAY à l’aide d’une ambulance que la police avait envoyé sur ma demande, mais le docteur DELAY n’a pu la recevoir, faute de place. Le lieutenant MOURGUIART qui accompagnait le blessé a alors dirigé celui-ci sur l’hôpital St-Léon. En arrivant à cet établissement, l’interne de service a constaté que le blessé venait d’expirer.

Le corps a alors été dirigé sur la morgue du cimetière St Léon, accompagné par le Gardien de la Paix de service à l’hôpital.

Il y a l’intérieur du camp un lavabo à cheval sur la clôture qui sépare le camp des hommes de celui des femmes. Lorsque celui destiné à l’usage des femmes est ouvert, celui à l’usage des hommes doit être fermé et inversement. Hier au soir, DARRICAU, après avoir été refoulé par la sentinelle à trois reprises différentes des lavabos des femmes où il avait pénétré est rentré dans le camp des hommes puis a contourné la baraque 39 est revenu par derrière celle-ci pour s’entretenir avec une femme qui se trouvait aux lavabos, à travers les barbelés. A ce moment-là la sentinelle, c’est-à-dire le caporal DAHO Ahmed l’ayant pour la quatrième fois invité à s’éloigner et à ne pas parler avec les femmes, DARRICAU, lui aurait répondu « Va te faire enculer ».

Cette expression constituant pour les Nord-Africains une injure grave, DAHO Ahmed, moralement blessé aurait épaulé le fusil qu’il détenait et tiré sur DARRICAU un coup de feu.

DARRICAU, blessé a fait quelques pas, puis se serait affaissé derrière la baraque 39.

La consigne donnée aux hommes de garde est la suivante :

Pour toute tentative d’évasion, soit à l’extérieur soit à l’intérieur du camp, la sentinelle doit faire trois sommations disant : » halte là où je tire ».Les sommations n’aboutissant pas, on doit régulièrement tirer un coup en l’air.

Je dois reconnaître que le caporal DAHO aurait dû hier soir, avant de tirer sur DARRICAU, tirer un coup en l’air. Je suis persuadé que s’il en fut autrement, c’est à cause de l’injure qu’il venait d’essuyer qu’il n’a pas tout d’abord tiré un coup en l’air.

Je dois vous dire que le caporal DAHO est un excellent soldat et que pour cette raison, il a été choisi pour être garde au Polo et y assurer un service délicat.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE

Après lecture de sa déposition, le lieutenant VILLENAVE ajoute que les fusils dont se servent les sentinelles n’ont pas de baïonnettes car il s’agit d’armes de différents modèles.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE

 

 

_Pièce N°8_29 novembre 1944

Déclaration de Mme DARRICAU  (…) Marie, détenue au camp du Polo

Continuons l’enquête, entendons Mme DARRICAU (…) Marie,31 ans, actuellement détenue au Camp du Polo de Beyris :qui déclare :

« Je ne me suis pas entretenue avec mon mari au camp de Beyris, hier soir, vers 19h30, parce que je ne suis pas sortie, et de ce fait, ne l’ai pas aperçu. En effet, je suis restée à la baraque 34 dans laquelle je suis logée où j’ai tricoté jusque vers 22h30.

Je ne puis vous dire non plus quelle serait la détenue qui se serait entretenue avec mon maris aux lavabos.

Je n’ai pas non plus entendu le coup de feu qui aurait été tiré hier soir sur mon mari par la sentinelle de garde. J’ai simplement entendu dire que l’on avait tiré sur quelqu’un.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE.

 

_Pièce N°9_29 novembre 1944

Déclaration de M.Exxxx Henri détenu au camp du Polo

Continuons l’enquête.

Entendons Monsieur Exxx Henri, âgé de 44 ans, actuellement détenu au Camp du Polo de Beyris qui déclare :

« Je suis chef de la baraque N°39, contigu aux lavabos communs aux hommes et aux femmes.

Hier soir,28 courant, vers 19h30 alors que je me trouvais dans la chambre, j’ai entendu une détonation provenant vraisemblablement de l’extrémité sud, de ladite baraque.

Quelques hommes sont sortis et quelques secondes après, ont ramené dans la chambre du détenu, DARRICAU, de la baraque 42, qui venait d’être blessé par le coup de feu tiré vraisemblablement par la sentinelle.

Les docteurs Mxxxx et PIALLOUX ont été immédiatement appelés, ont donné les premiers soins de même que le lieutenant VILLENAVE, adjoint du commandant du Camp, qui a fait immédiatement transporter le blessé à l’hôpital.

Lecture faite, persiste et signe.

LE COMMISSAIRE DE POLICE



Sources :
Histoire pénitentiaire et Justice militaire
Blog de Jacky Tronel
23 mars 1912
« Accident mortel au camp d’internement du Polo de Beyris »
https://prisons-cherche-midi-mauzac.com/des-camps/accident-mortel-au-camp-dinternement-de-polo-beyris-le-28-novembre-1944-a-bayonne-11426

Archives Nationales F/7/15104 (Transmission de Jacky Tronel)

Retronews (payant) Le Courrier, mercredi 29 novembre 1944

 

Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque (AD 64)
1001 W art.210 Commissariat central de Bayonne

Service de l’état civil mairie de Bayonne.


Contenu N°2 L' équipée du 24 août 1944