Avant la loi du 12 mars 1920,un syndicat professionnel, n’avait pas le droit de posséder un bien immobilier.En 1919,pour contourner cet obstacle juridique,la Fédération Nationale des Travailleurs des Chemins de Fer a recouru à la pratique des prête-noms.C’est ainsi que Marcel Bidegaray secrétaire général ,et son épouse Marie Darmendrail,sont devenus propriétaires d’un immeuble dans le 9 e arrondissement de Paris.Le bâtiment est situé au 19 de la rue Baudin,renommé en octobre 1944,rue Pierre Semard,en hommage au dirigeant communiste et syndicaliste cheminot fusillé par les nazis.Cette situation juridique de prête-noms n’avait rien de secret.Bien au contraire.Elle avait été rapportée en 1921 par la presse lors des péripéties baptisées « Fort Baudin » ;un conflit retentissant qui
a opposé cheminots syndiqués réformistes et révolutionnaires.
Retraité,Marcel Bidegaray s'est retiré à Bayonne.Inquiété à la Libération en raison de son engagement dans une structure collaborationniste,le Comité Ouvrier de Secours Immédiat,il est passé par le camp de Gurs.Il a été ensuite assigné à résidence à Bidache,où il sera assassiné dans la soirée du 20 décembre 1944.
Quatre ans après ce meurtre dont le mobile demeure inconnu ,une déclaration de succession déposée auprès du bureau de Bayonne de l’enregistrement ,nous révèle que la veuve et sa fille ont rétrocédé l'immeuble du 19 rue Pierre Semard.
Sommaire
Loi sur l’extension
de la capacité civile des syndicats professionnels (12 mars 1920)
Bureau de Bayonne de l'enregistrement (29 décembre 1948)
Sélection d'articles de presse (6 avril 1919-5 aout 1921)
Sources
Billets du blog
Loi sur l’extension
de la capacité civile des syndicats professionnels
Journal Officiel de la République française
Dimanche 14 mars 1920 page N°4179
Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la
teneur suit :
Art.1er.Les articles 4,5,6 et 7 de la loi du 21
mars 1884,relative à la création de syndicats professionnels sont modifiés
conformément aux dispositions ci-après :
« Art.4 (paragraphes additionnels)._Les femmes mariées
exerçant une profession ou un métier peuvent sans l'autorisation de leur mari ,adhérer
au syndicat professionnel et participer à leur administration et à leur
direction.
Les mineurs âgés de plus de seize ans peuvent adhérer aux syndicats,sauf opposition de
leurs père,mère ou tuteur.Ils ne peuvent participer à l'administration ou à la
direction.
Art.5._ Les
syndicats professionnels jouissent de la personnalité civile.Ils ont droit d’ester
en justice et d'acquérir sans autorisation, à titre gratuit ou à titre onéreux,des
biens ,meubles ou immeubles.
Ils peuvent,devant toutes les juridictions,exercer tous les
droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant préjudice
direct ou indirect de l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.
Ils peuvent, en outre en se conformant aux autres
dispositions des lois en vigueur, constituer entre leurs membres des caisses
spéciales de secours mutuels et de retraites.
Ils peuvent,en outre, affecter une partie de leurs
ressources à la création d'habitations à bon marché et à l'acquisition de
terrains pour jardins ouvriers, éducation physique et hygiène.
(...)
Fait à Paris,le 12 mars 1920
P.DESCHANEL
Par le Président de la République
Le ministre du travail
JOURDAIN
Le garde des sceaux,ministre de la justice,
LHOPITEAU
Bureau de Bayonne de
l’enregistrement
29 décembre 1948
Madame Marie Darmendrail sans profession veuve de monsieur Marcel Bidegaray (...)
Melle Georgette Pascaline Bidegaray (...)_fille du couple Bidegaray-Darmendrail
(…) A l’actif de la communauté Bidegaray Darmendrail tel
qu’il a été déterminé dans la déclaration de succession souscrite après le
décès de monsieur Bidegaray au bureau de l’enregistrement de Bayonne sous le
numéro 272,le dix neuf juin mil neuf cent quarante cinq (…)
Il y a lieu d’ajouter
Un immeuble situé à Paris ,rue Baudin n°19 (actuellement
rue Pierre Semard même numéro) ledit immeuble d’une valeur vénale de deux cent
quatre vingt mille francs
(…)
A déduire de cette somme de 280.000 francs due à la
Fédération Nationale des Travailleurs Cadres et Techniciens des Chemins de Fer
,Colonies et Pays de Protectorat dont le siège est à Paris dans l’immeuble
précité pour le prix d’acquisition de l’immeuble ci-dessus fourni par ladite
Fédération,ainsi qu’il résulte de l’attestation
et des documents ci-joints
(..)
Après les mentions signées des déclarantes,l'annotation suivante :
"En réalité,M.Bidegaray ne s'est jamais occupé de l'immeuble,il n'était qu'un prete-nom au moment de l'acquisition
D'ailleurs suivant acte Watin-Angouard,les cohéritières ont rétrocédé purement et simplement cet immeuble."
Signé illisible
Sélection d'articles de presse
Information ouvrière
et sociale
Dimanche 6 avril 1919
Retronews
Échos
La maison des cheminots
La guerre n'a pas de profiteurs que dans le négoce.les
organisations ouvrières ont aussi « profité » de la guerre mais pour un
tout autre motif et pour d'autres fins que les mercantis.Les effectifs
syndicaux ont grandi au point que les services, les bureaux corporatifs sont
obligés de déménager pour se mettre plus à l'aise « dans leurs meubles ».
La Fédération des cheminots dont on connaît l'influence et
la force est entraînée dans le mouvement.Elle vient d'acheter pour 400.000
francs un immeuble « qui sera payé le 1 mai 1919 ». Et c'est bientôt qu'elle quittera la « bicoque »
de la rue Amelot pour s'installer au centre de Paris « dans une maison
digne de notre puissante organisation », dit la Tribune.
La Tribune des
Cheminots
Organe de la
Fédération Nationale des Travailleurs des Chemins de Fer
36 rue Amelot_Paris
N°40,1 er avril 1919
Pour la Maison des Cheminots
Depuis le congrès de 1918, le Conseil Fédéral et la Commission
Exécutive de la Fédération avaient mandat impérieux d'acheter une Maison des Cheminots
pour qu'il leur soit possible d'abriter leurs divers services, lesquels ont
pris une extension considérable.
Il fallait trouver une maison digne de notre puissante
organisation.
Aujourd'hui, nous avons la joie d'annoncer à nos adhérents
que la maison est trouvée.
la maison est à nous sur parole, nous avons pris l'engagement
d'honneur qu'elle serait payée le 1 mai 1919.
La somme de 400.000 francs doit être trouvée pour cette date.
Il faut que tous les syndiqués ainsi que les syndicats
fassent l'effort nécessaire pour tenir l'engagement que nous avons pris.
A l'œuvre les cheminots , un sacrifice de deux francs
ne peut vous ruiner et c'est pour vous que vous travaillez.
Bidegaray
Secrétaire Général de la Fédération
Les fonds recueillis dans chaque syndicat seront adressés
directement au siège de la fédération 36 rue Amelot Paris.
Source : Institut d'histoire sociale CGT cheminots,
collection numérique
Cote 4 C 1/1
http://archives.cheminotcgt.fr/viewer/3650/
Le Journal
Samedi 4 juin 1921
Retronews
Les extrémistes occupent la Maison des cheminots
M.Bidegaray les fera expulser
Le Conseil fédéral des cheminots s'est réuni statutairement
hier toute la journée à la Maison des cheminots, 19, rue Baudin.La matinée fut assez calme on se borna de part et
d'autre à interpréter différemment les articles 5 et 9 des statuts.Les délégués
des deux tendances opposées ne purent se mettre d'accord.Après l'entracte du
déjeuner, on discuta à nouveau sur les fameux articles, puis comme il
s'agissait d'élire le bureau de la Fédération M.Marcel Bidegaray, secrétaire
général déclara qu'il ne se représentait pas, sa politique ayant été mise en
minorité au congrès .
Deux motions furent déposées concernant l'élection,l’une de
M.Monmousseau réclamant la proportionnelle,l’autre de M.Bruges demandant le
respect de l'article 5 des statuts, qui stipule : « Le conseil fédéral élit le bureau. »
Les deux bureaux
Voici la composition du nouveau bureau de la Fédération des
cheminots :MM.Montagne (chef de train à l’Est),secrétaire
général ;Toulouse (Midi) et Marchal (Ceinture),secrétaires
adjoints ;Rousseau (Etat),trésorier ;Vallet (Nord),trésorier
adjoint ;Rauch (Est),archiviste ;Guillory (P.-L.-M.),gérant
du journal.
Ces nouveaux élus majoritaires sont tous des cheminots en
activité de service.Ils ont été élus par 30 voix contre 23 abstentions (les
voix des extrémistes) et quatre absents.
Lorsque la séance fut levée, vers 06 heures, les extrémistes
se réunirent isolément et procédèrent à l'élection de leur bureau, qui est
ainsi composé :MM.Ducoeur (Nord),secrétaire général ;Chaverot (Paris
P.-L.-M) et Semard (Valence),secrétaires adjoints ;Dejonckère
(Saintes),trésorier.
Les délégués
majoritaires s’en furent par petits
groupes, et les extrémistes, trop heureux de les voir abandonner la place et de
ne pas être obligés de prendre la maison d'assaut,s’y installèrent en maitre.Il ne leur suffisait
pas d'avoir l'immeuble ,mais les archives et la caisse surtout avaient une
grande importance.Comment, en effet, organiser la propagande sans les fonds
nécessaires ?Aussi,i décidèrent-ils de forcer M.Bidegaray à les leur
livrer sur le champ.Il s'y refusa énergiquement et fut entouré par une quinzaine de cheminots
menaçants.Son calme et aussi ses arguments les impressionnèrent et ils le
laissèrent rejoindre ses amis dans un petit café du square Montholon où se tenaient
nombreux militants de la C.G.T.
A qui la
caisse ?
M.Bidegaray, respectant les statuts, ne veut livrer les archives et la
caisse qu’aux membres du conseil élus régulièrement
et en présence des membres de la commission de contrôle.
Les extrémistes en attendant occupent la Maison des
cheminots.Ils ont décidé d'y laisser des plantons et des membres de leur bureau
en permanence.Ils ont demandé à M.Bidegaray
de revenir ce matin, mais l'ex secrétaire général a répondu :
« Je suis fatigué.Samedi, je fais la semaine anglaise ;
dimanche, repos dominical.Je ne reviendrai pas avant lundi. »
Que vont faire les nouveaux maîtres ? Forcer les
serrures des armoires et défoncer le coffre-fort ?Peine perdue.Jeudi soir,deux
militants ont mis les pièces comptables et la caisse en lieu sûr .Quant à la Maison des cheminots, elle est officiellement
la propriété de M.Bidegaray.On voit que le coup de force à la mode de Moscou
avait été prévu.De sorte que si lundi les extrémistes ne se décident pas à
quitter de bon gré la maison de la rue Baudin,M.Bidegaray, qui n'est plus secrétaire
général mais qui reste propriétaire aura le droit de faire expulser M.Monmousseau
et ses amis. Nous croyons que les choses pourront aller jusque-là, parce que ce
sont les amis de M.Bidegaray eux-mêmes qui nous ont affirmé qu'ils répondraient
à l'illégalité par le droit appuyé sur la force en cas de besoin.
Le Journal
Mercredi 8 juin 1921
Page une
Retronews
Mon film
BIDEGARAY._J’ai la caisse,je la
garde.
MONMOUSSEAU._A moi,le
coffre-fort !
BIDEGARAY._La maison est à moi,c’est
à vous d’en sortir.
MONMOUSSEAU._J’y suis,j’y reste !
BIDEGARAY._Je vais chercher l’huissier,le commissaire,les
gendarmes !
Il est amusant de voir le camarade Bidegaray revendiquer ses
droits de « sale proprio » et le camarade Monmousseau me parait
vraiment drôle en Mac-Mahon de la Sociale.
Au point de vue Bourgeois,Bidegaray a peut-être raison.Mais au
point de vue révolutionnaire Monmousseau est dans le vrai.Et je le trouve bon
de chercher à justifier sa présence dans le fort Baudin en disant :
_ Je représente la majorité
Quand on est communiste, on se fiche de la majorité, de la
boîte à bulletins de vote et de l'arithmétique électorale.A la place de
Monmousseau je déclarerai tout simplement en me carrant dans le fauteuil,tournant
comme une girouette, de la rue Baudin :
_J’ai fait mon petit grand soir …Je suis ici de par ma volonté
et celle de quelques camarades costauds et décidés et l'on ne m'en chassera
même pas par la force des baïonnettes.Depuis quand les révolutionnaires discutent-ils
avec ceux qu'ils sont dépossédés ?
C’est surtout pour eux que l’aphorisme est
vrai : »Possession vaut titre ». Est-ce que Lénine raisonne avec
ses adversaires ?Le droit,la légalité,la justice même,tout cela n’existe
plus devant ce fait :la Révolution.Car la Révolution,ça consiste
précisément à créer une légalité,une justice nouvelles.
Voilà ce que ce partisan de la dictature devrait répliquer
aux arguments de Bidegaray.Il devrait même faire empoigner celui-ci par
quelques gardes rouges et ordonner sans plus d’histoires :
_Pendez-le !...
Mais quoi qu'il arrive, le camarade Monmousseau ne se maintiendra
pas longtemps dans le fort Baudin.
Ou il sera vaincu par une contre-révolution menée par Bidegaray
avec les forces que lui prêtera la société bourgeoise, cette bonne fille, ou il
sera emporté à son tour ,par une vague surextrémiste.Car les doctrines révolutionnaires, comme
d'ailleurs les doctrines réactionnaires, ont ceci de curieux qu'on n’en peut trouver
le bout : les « extrémistes » et les « ultras » forment
deux chaînes qui se prolongent parallèlement dans l'infini, à moins qu'elles ne
se rejoignent à un certain moment.
Monmousseau,ayant prospéré à l’ombre du fameux
coffre-fort,étant devenu loup gras,verra surgir devant lui des minoritaires
ambitieux….Ces loups maigres l’accuseront d’être un modéré,un réformiste,ils
lui reprocheront de vivre dans un bureau confortable,d’avoir les mains
blanches,de jouer au patron au milieu des dactylos et ils le flanqueront
dehors…
Après quoi,la dépouille de Monmousseau ira rejoindre celle
de Bidegaray et de bien d’autres dans le mystérieux et tragique cabinet de Mme
Barbe-Rouge.
CLEMENT VAUTEL.
Page 3
Le conflit des cheminots
L’huissier entre en scène
Journée calme hier dans le secteur du fort Baudin.Les
adversaires ont simplement échangé à grande distance deux communiqués sans résultat.Le soir,M.Monmousseau et ses
amis occupaient toujours le bel hôtel particulier à cinq étages et tout
fraîchement recrépi qui est devenu la Maison des cheminots ,et vraiment ils ne
semblaient pas décider à en sortir de bon gré.
« Nous avons la légalité et les statuts pour nous
déclarait de son côté à ce moment,M.Bidegaray,ex secrétaire général de la Fédération,mais
porte-parole autorisé du bureau numéro un, le bureau de la tendance réformiste.Cette
situation ne peut se prolonger.Si les
moyens de conciliation que nous allons encore tenter échouent, nous recourrons
à la justice bourgeoise pour rentrer en possession de notre maison et redonner
à notre fédération sa vie normale. »
C’est l’heure du commissaire qui approche !...Excipant
de sa qualité de propriétaire,M.Bidegaray a rendu visite hier à huissier et l’a
chargé d'agir et d'instrumenter ,avec ménagement certes, mais quand même, aussi
énergiquement que les circonstances le nécessiteront.L’offensive est donc bien déclenchée contre les occupants
du fort Baudin !...Quel délai lui faudra-t-il pour atteindre son objectif ?...Cela
dépend maintenant des complications procédurières qui peuvent surgir.
De nombreuses protestations de sympathie et d’encouragement
sont arrivées hier des syndicats cheminots de province à l’adresse du bureau
réformiste.Il est vrai que le bureau extrémiste affirme en avoir reçu tout
autant.(…)
La Vie Ouvrière
Vendredi 10 juin 1921
Retronews
L’Empereur Bidegaray en route pour Ste-Hélène
L’Echo de Paris
Dimanche 12 juin 1921
Retronews
Pris par les majoritaires le « Fort Baudin » est
repris par les extrémistes
Hier matin,au petit jour,M.Bidegaray,accompagné d’une
trentaine de partisans,a poussé une offensive brusquée rue Baudin et repris,par
surprise,possession de l’immeuble.
Se doutant avec juste raison que la surveillance des gardes
communistes ne tarderait pas à se
relâcher un peu,M.Bidegaray et ses amis les « dissidents » arrivèrent
en automobiles vers quatre heures du matin,et eurent le soin de faire arrêter
les voitures à quelque distance de l'immeuble pour ne pas attirer l'attention.
Puis la bande s'engouffra sous le porche, l'ancien
secrétaire général de la Fédération en tête.
La concierge réveillée immédiatement, ne put refuser au « propriétaire »
les clefs que celui-ci lui réclamait.Muni du précieux trousseau,M.Bidegaray se dirigea,
non vers la porte principale, mais vers une porte de côté, l'ouvrit avec
précaution et fit irruption avec ses amis dans le bureau du rez-de-chaussée,où sommeillaient
deux « gardes rouges ». En chemise,ceux-ci reçurent les envahisseurs
et , sentant impossible toute résistance, dirent : »Camarade ! »
mot qu’au surplus les syndiqués
profèrent assez volontiers…. Un instant après il se retrouvaient sur le trottoir
de la rue Baudin,avant même d'être revenus de leur surprise.Un troisième communiste,trouvé
somnolent aussi au premier étage ,ne tarda pas à les rejoindre. M.Bidegaray procéda
ensuite à un inventaire complet, transmit ses pouvoirs de secrétaire général à
son successeur M.Montagne et répondit même à un coup de téléphone ou on
avertissait le vigilant gardien Chaverot « que ceux de Bidegaray »
tramaient quelque chose !Puis ayant
fait barricader toutes les portes, sauf celle donnant sur l'escalier de la cave
et par laquelle il sortit ,M.Bidegaray s’en fut,les mains dans les poches, en
fumant avec une évidente satisfaction sa « bouffarde légendaire ».
Les
Communistes rentrent dans la place
Mais dans l’après-midi,les « monmoussistes »,qui
n’avaient point abandonné leurs prétentions,ont repris possession de l'immeuble
en y pénétrant par la seule porte que M.Bidegaray avait négligé de clore ,celle
de la cave !
Y resteront ils ?
La trêve de la semaine anglaise est là, opportune.M.Monmousseau
,frappé par un deuil cruel, est tout à sa douleur quand à M.Bidegaray ,il est
allé demander à la campagne quelques heures de fraîcheur apaisante.
On apprend,d’ailleurs,que les « réformistes »,pour
éviter à la C.G.T des représailles de la part des extrémistes,ont décidé de
quitter l’immeuble de la rue Lafayette où ils s’étaient provisoirement
installés.
Ils renonceraient même à tout retour dans le
« fort » Baudin où M.Bidegaray n’a pénétré que pour recouvrer des
documents et des dossiers.Il a ensuite fermé la maison et « monmoussistes »
en y entrant hier après-midi ont donc commis le délit nettement caractérisé de
violation de domicile.
Et c’est à l’huissier,à la loi,à la « justice
bourgeoise » enfin que M.Bidegaray et les siens comptent en appeler.
Le G.Q.G bolchevik a rédigé hier soir le communiqué officiel
suivant où il rend compte des événements de la journée M.Bidegaray, suprême
injure,y est appelé « monsieur ! »
Cette nuit ,entre 3 et 4 heures,une bande d’individus
sous la conduite de « Monsieur » Bidegaray s’est introduite dans
l’immeuble de la Fédération des cheminots,rue Baudin,et s’est livrée à des
violences sur les occupants,qu’elle a immobilisés et volés.Cette bande qui
d'après le communiqué officiel de la préfecture était composée de 50
noctambules suspects,avait à sa disposition cinq taxis.Elle s’est livrée à un
déménagement en règle :machines à écrire,documents
corporatifs,titres,finances, papiers et correspondance,_vraisemblablement
compromettante, intéressant la gestion passée,tout a été soustrait.
À 07 heures du matin cette opération, que nous laissons à
tous les honnêtes gens en général et aux cheminots en particulier le soin de
juger, était terminée.Malgré les mesures prises par M.Bidegaray qui,en la circonstance s’est révélé comme un professionnel de haute envergure,les membres de la Fédération réintégraient le
domicile et reprenaient à l’heure
habituelle leurs occupations régulières, après s’être livrés toutefois à un
inventaire imposé par les circonstances.Cependant, si le travail syndical et corporatif continue à la Fédération,
nul ne se montrera étonné que, dans l'avenir, en vue d'éviter le retour de pareils
procédés certaines dispositions et précautions soient prises.
AVIS AUX INTÉRESSÉS !
La dernière phrase est, évidemment ,menaçante.Il est à
souhaiter que les adversaires continuent de se bombarder que de mots.
La Libre Parole
Dimanche 12 juin 1921
Retronews
Page 3
Le raid Bidegarray sur le fort Monmousseau
« L’empereur des cheminots »,tout comme un
vulgaire monarque détrôné,a fait une randonnée sur le fort Baudin tenu par le
« dictateur » Monmousseau.
Vers le matin de samedi, à l'heure où les sentinelles de
l'armée rouge éprouvaient la lassitude (bien connue des combattants de plus glorieux
fronts) qui précède le lever du soleil ,Bidegarray ,suivi d'une vingtaine
d'amis, arrivés en cinq taxis, pénétra au 19 de la rue Baudin et sans coup férir,prit
possession de l'immeuble en
propriétaire… qu'il est.
Le camarade Chaverot ,secrétaire adjoint du bureau moscovite,
était endormi.Réveillé par le bruit, il se précipita vers les envahisseurs.
_Je suis ici par la volonté syndicale et je n'en sortirai
que par la force.
_Oui,mon vieux,ça va,répliqua Bidegarray ,narquois.On va te « sortir »
sans douleur.
Et pendant que l'on surveillait les trois gardiens pour
qu'ils ne puissent donner l'alerte, le bureau des anciens majoritaires procédait
à un rapide inventaire.
Il ne constata aucun dégât, rien ne manquait aux archives ;
alors, dans la forme d'usage,Bidegarray
procéda à la remise de ses pouvoirs de secrétaire général à son
successeur Montagne ; et, après avoir libéré ses prisonniers, il s'en
alla en fermant les portes mais non sans avoir enlevé toutes les archives.
Quelques heures plus tard , les extrémistes pénétraient
de nouveau par effraction dans l'immeuble vide.
Dans ce cas « monsieur » Bidegarray,comme dit
maintenant Monmousseau,pourra faire intervenir la justice bourgeoise.
C’est le roman-ciné dans le syndicalisme !
Adolphe Théry
Observation du blog :l’auteur de l’article a
orthographié Bidegaray avec deux r.
La Presse
Dimanche 12 juin 1921
Retronews
Page une
La Bataille
pour le Fort Baudin
Par crainte d’un retour offensif de l’ennemi
Les Communistes
se barricadent !
Les amis de M.Monmousseau ont passé la matinée à se barricader
dans l'hôtel de la rue Baudin.
Toutes les principales serrures de l'immeuble ont été
changées afin que M.Bidegaray ne puisse pas s'introduire de nouveau par
surprise dans la place.
La défense
communiste
La garde rouge a été fortement renforcée et des provisions ont
été emmagasinées pour parer à toute
éventualité .C’est M.Dejonkère, trésorier,qui, en l’absence de M.Monmousseau a
pris le commandement des forces communistes.
Un laissez-passer,délivré par M.Semard,le secrétaire
extrémiste, est nécessaire pour pénétrer dans les bureaux.
Au moindre mouvement sur la rue,un guetteur dont le poste
d'observation se trouve à l'une des fenêtres du 4e étage, a pour consigne de
donner l'alerte.
On attend l’huissier
Des confrères, venus aux nouvelles ,ont été pris ce matin
pour un huissier et un commissaire de police.
Tandis qu'ils frappaient à la porte, ils entendirent ,en
effet, l'un des gardiens conseiller au portier de ne pas ouvrir .
_ « N’ouvre pas, disait-il,c’est l’huissier et le commissaire
de police qui viennent pour nous expulser ! »n
Nos confrères les rassurèrent.Mais la porte resta close.
_Toutes les précautions sont prises,nous a déclaré un
communiste, pour que M.Bidegaray ne
puisse pas renouveler son équipée d'hier.
Nous saurons nous défendre nous-mêmes sans avoir recours à
la justice bourgeoise.
M.Bidegaray s'est emparé de nombreux dossiers qui nous
étaient nécessaires pour notre recrutement.Mais il n'a pu dénicher les douze
mille francs que nous sommes parvenus à recueillir en quelques jours grâce à
notre souscription.
Tactique
réformiste
Les réformistes paraissent n’attacher,pour l'instant, aucune
importance à l'occupation de l'immeuble par M. Monmousseau.
M.Bidegaray secondé par M.Flancette,conseiller municipal,
c'est borné jusqu'ici à entreprendre les démarches en vue de faire reconnaître
officiellement le nouveau bureau fédéral réformiste, ce qui lui permettra
d'avoir recours à tous les moyens de droit pour recouvrer loyalement l'hôtel.
L’Ere nouvelle
Mercredi 29 juin 1921
Retronews
Chez les
cheminots
M.Bidegaray
assigne les « occupants » de la rue Baudin
Les choses devaient en venir là et quelques répugnances que
M.Bidegaray ait eu en arriver à cette extrémité, il a assigné lundi MM.Dejonkère,Chaverot,Monmousseau,Sémart,Laccarère
à comparaître le jeudi 3 juin,à 2 h de
relevée, devant le président du tribunal statuant en référé.
Voici les motifs de l'assignation
A Monsieur le Président du Tribunal civil de la Seine
Monsieur Marcel Bidegaray,et Madame Marie-Louise
Darmendrail,son épouse,de lui assistée et autorisée, demeurant ensemble à Paris,
49 rue du Château.
Ayant Me Depaux-Dumesnil pour avoué,
Ont l’honneur de vous exposer :
Qu’ils sont propriétaires d'un immeuble sis à Paris, 19,
rue Baudin (9e arrondissement)
Qu’à la date du samedi 11 juin 1921, un certain nombre
d'individus parmi lesquels les nommés Dejonckère,Chaverot,Sémart,Monmousseau,Laccarère,se
sont introduits par effraction dans ledit immeuble, en pénétrant par les caves
et en fracturant divers portes et serrures.
Que depuis ils occupent la maison avec diverses personnes et
semble s'y être installés à demeure.
Qu’il y a la plus grande urgence à faire cesser cet état
de choses.
Pourquoi les
exposants requièrent qu'il vous plaise, Monsieur le Président, les autoriser à
faire assigner :1°M.Dejonckère ; 2°M.Chaverot ;3°Sémart ;4°M.Monmousseau
et 5°M.Laccarère à comparaître à tels
jour et heure qu'il vous plaira d'indiquer, vu l'extrême urgence, par devant
vous en votre cabinet, statuant en référé
Suit l'assignation en bonne et due forme.
Le Gaulois
Vendredi 5 août 1921
Retronews
L’expulsion
des cheminots communistes
La fin du
fort Baudin_Lacarrière,Chaverot et Sigrand protestent et s’en vont.
Le Fort Baudin n’est plus…La justice Bourgeoise et la police
bourgeoise ,agissant à la requête des syndicalistes du groupe Bidegarray,ont
expulsé hier les syndicalistes extrémistes du groupe Monmousseau. Au nom de la
société,l'ordre est rentré dans cette maison, où la fraction modérée va pouvoir,
au lieu et place des usurpateurs, reprendre son œuvre de désorganisation
sociale.La société bourgeoise est au fond bonne fille.
L’opération s'est passée le plus gentiment du monde :
malgré le déploiement impressionnant des forces policières, tout s'est ramené à
l'exécution d'une formalité.Les extrémistes, grands chambardeurs de réunions
publiques, ont été doux comme des moutons.Quelques phrases théâtrales renouvelées de l'histoire
de la Révolution ont seules apporté à la matinée la note comique.
Comme il est toujours excellent aux yeux des « camarades»
et pour la réclame de prendre figure de martyr, une dizaine de syndicalistes,
prévenus de l'imminence de l'opération judiciaire, étaient venus au petit jour,
renforcer la garnison du fort Baudin, composée seulement ces derniers jours des
citoyens Lacarrière,Chaverot et Sigrand.
A dix heures,sur le trottoir de la rue Baudin,des photographes,des
opérateurs de cinéma et quelques journalistes sont rassemblés.Nous faisons les cent
pas jusqu’à dix heures et demie, heure à laquelle arrivent M.Desbleumortier,administrateur
judiciaire,commis par le tribunal pour présider à l'expulsion,et M.Pruvost,
commissaire de police du quartier Rochechouart,chargé de l’exécution.
Ainsi que le veut la loi ,M.Desbleumortier pénètre seul tout
d'abord dans l'immeuble et signifié aux occupants l'ordonnance de référé qui
rend la propriété de la maison à M.Bidegarray ,en tant que secrétaire du
syndicat des cheminots.
Les citoyens Lacarrière,Chaverot et Sigrand écoutent sans
mot dire la lecture de l'arrêt.Puis,M.Desbleumortier,d'une voix forte, dit :
_Messieurs, en conformité de cette ordonnance, je vous
invite à quitter ces lieux.
_Nous ne céderons qu'à la force des baïonnettes, réplique M.Lacarrière,sur
un ton que Mirabeau n'eût pas désavoué.
Un magistrat n'a pas le droit de rire dans l'exercice de ses
fonctions.M.Desbleumortier garda son sérieux et redescendit dans la rue pour
prier M.Pruvost d’agir.
Un signe du commissaire, et deux agents, armés, en guise de
baïonnettes, du simple bâton blanc grimpent l'escalier et vont rejoindre le
groupe des extrémistes dans la salle du secrétariat général.
Le citoyen Lacarrière est empoigné et vigoureusement descendu.En
arrivant sur le pas de la porte, il aperçoit la foule des curieux que cette
scène amuse vivement, et,cambrant sa haute taille pour les photographes et les opérateurs de
cinéma, crie à tue-tête :
_Je proteste énergiquement contre la violence qui nous est
faite, au mépris des droits du peuple… Mais il n’achève pas .Il est poussé sur
la chaussée et prend le parti de se taire, en attendant les camarades.Deux agents
remontent et ramènent le citoyen Chaverot qui, lui aussi, proteste à haute voix
,avant d'aller rejoindre Lacarrière.
Troisième irruption des agents dans le fort, et cinq minutes
après apparaît le citoyen Louis Sigrand ,qui gesticule,pérore et et même menace
_Je proteste !Au nom de soixante dix mille cheminots
parisiens, je proteste ! La maison n'est pas à Bidegaray !Elle est à
nous.S'il ne nous la rend pas,gare à lui.
Une poussée,et Louis Sigrand va retrouver Lacarrière et
Chaverot sur la chaussée.
La garnison de renfort ne juge pas utile de prolonger la scène
et sort ensuite d’elle-même.
C’est fini.Les cinémas opèrent à tour de bras, et M.Ernest
Lafont emmène le groupe des expulsés, à qui il prodigue des paroles d'espérance
et de consolation.
Et, tranquillement M.Bidegarray,rentre chez lui, tandis que,deux
par deux, les agents de la société bourgeoise allaient et venaient devant la
porte de sa maison reconquise
Georges Drouilly
Sources
Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques
Pôle de Bayonne et du Pays basque
Registre de formalité et actes déposés
Mutation par décès
Volume 263,1948
Cote:3 Q 5/1690
1er septembre-31 décembre 1948
https://archives.paris.fr
Archives numérisées > Archives fiscales > Successions > Tables des décès et des successions
(1791-vers 1953)
8 e bureau_9e arrondissement_Table des décès et des successions
Lettre B ,du 1 er janvier 1939 au 31 octobre 1945
Cote DQ8 2775
Vue 155/182 _numéro d'ordre 17_Bidegaray Marcel
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