13 septembre1945, meurtre du gendarme Marcel Ruffat à Ascain
Jean-Pierre Ibarboure a piqué ma curiosité en me signalant
un fait divers tragique survenu en septembre 1945 dans sa commune d’Ascain.Il s'agit du meurtre
du gendarme Ruffat par un homme présenté
par la presse comme un ancien milicien de
Tourcoing.Articles de presse et archives du Tribunal de Grande Instance de Bayonne posent un éclairage sur les circonstances du drame et le parcours sinueux
du jeune meurtrier,fils d'un fonctionnaire de police...
Le Courrier de Bayonne Samedi 15 Septembre 1945. 25047
Médiathèque de Bayonne_ Bibliothèque patrimoniale numérique_ Presse ancienne numérisée.
A Ascain un ancien milicien de Tourcoing tue un gendarme et en blesse gravement un autre
Dans la soirée de jeudi ,un individu étranger au pays et paraissant suspect était signalé à la gendarmerie.Les gendarmes Chabres et Russat sautèrent immédiatement dans leur side-car et découvrirent l’homme qui exhiba des papiers paraissant en règle.Néanmoins ,les gendarmes le conduisirent au bureau pour procéder à une vérification d’identité.
Pendant que le gendarme Russat téléphonait au Service des Recherches ,Chabres posait des questions à l’homme qui prétendit se nommer Meernout Alain ,né le 15 novembre 1920,à Tourcoing.Brusquement ,sortant un revolver,il fit feu à six reprises sur les deux gendarmes.Russat bondit sur le bandit, tandis que Chabres sortait son pistolet qu’il lâcha pour sauter à son tour sur l’énergumène.Ce dernier un véritable hercule,réussit à s’emparer de l’arme et,à deux reprises ,fit encore feu.
Les collègues de Russat et de Chabres ,alertés par les coups de feu,arrivèrent à la rescousse et maîtrisèrent le forcené.
Russat,atteint de deux balles,expira quelques minutes après.Malgré ses blessures mortelles,le sentiment du devoir était si puissant en lui qu’il s’accrochait au bandit avec tout ce qui lui restait de forces.Chabres a reçu plusieurs blessures qui semblent légères.Nous lui adressons nos vœux de prompt rétablissement.
A Mme Russat ,qui reste seule avec trois petits enfants,nous offrons nos condoléances émues.Espérons que justice sera faîte et que le bandit paiera de sa tête ce crime abominable.Cette tragédie a suscité une énorme émotion dans le pays,où les victimes jouissaient de l’estime générale.
Le Courrier de Bayonne Mardi 18 Septembre 1945. 25049
Médiathèque de Bayonne_ Bibliothèque patrimoniale numérique_ Presse ancienne numérisée
Après le crime d’un milicien à Ascain
La médaille Militaire est décernée au gendarme Chabre et à titre posthume à son collègue Ruffat
Monsieur le Préfet des Basses-Pyrénées communique :
Dans les difficultés inévitables de redressement français,la pathologie sociale révèle bien des faiblesses. Elles tiennent aux mœurs.Toutes les guerres sont suivies d'un relâchement.
L'oppression des quatre années écoulées, la rareté des produits alimentaires, le gonflement des prix face à l'insuffisance croissante des revenus et des salaires, Joints à la privation de liberté qui nous vaut par réaction,une sorte de frénésie de plaisirs, ont aggravé une crise morale inévitable. Même certaines des formes de la lutte imposée par la présence des nazies,ont des séquelles déplorables que l'on constate dans le mode de vie où la manière de servir de quelques-uns de nos concitoyens qui ne sont qu’une minorité..
Nous n’avons,hélas, que trop tendance à peindre des traits inhérents à toutes les périodes troubles qui suivent les guerres,les usages de notre pays.
Pour affirmer la liberté de tout dire et de tout écrire,nous nous attachons avec une sorte de sadisme inexplicable à énumérer complaisamment défaillances ou fautes pour former de ce faisceau un acte d'accusation dont on n’aperçoit pas à qui il peut faire du mal, sauf à la France.
Si l’on observe qu’à des manquements, hélas, trop nombreux et trop réels sont souvent ajoutés maints détails matériellement inexacts et que, même, à défaut de faits véridiques ou en imagine forgés de toutes pièces, on retrouve dans cette exploitation qui est sans objet, mais surtout dans ses conséquences, si elles sont graves, certains des complexes de l'opinion française, au temps maudit de l'affaire Stavisky, qui a provoqué la crise qui devait s'ouvrir en 1940.
Consentira t-on à dire qu'il reste en France de réconfortantes valeur de dévouement et d'héroïsme, plus nombreuses qu'on ne le croit et sur lesquelles on se tait,à la place étant habituellement réservée à épiloguer sur des faits malsains, alors que les coupables devraient simplement appartenir à la justice.
Reconnaîtra-t-on que, soigneusement recherchés, orné de détails corsés mis en relief par toutes les ressources de la propagande _ terme abominable que nous devons au nazisme _ fautes et coupables représentent une minorité d'actes et d’hommes de l'héroïsme français qui sont intactes..
Ces jours derniers,à Ascain,deux gendarmes Marcel Ruffat et Chabre arrêtaient un individu suspect,. rodant aux environs de la frontière. L'enquête n'a pas dit encore exactement qui était cet individu, mais il est probable qu'il appartient à cette poignée de misérables qui servaient dans les forces allemandes.Conduit à la permanence de la brigade, redoutant que l'enquête à laquelle procédaient les deux gendarmes ne dévoile son identité véritable,le bandit tirait : Marcel Ruffat était tué, son camarade grièvement blessé.
Marcel Ruffat, dans les derniers instants qui le séparaient de la mort, a eu la présence d'esprit de s'agripper au meurtrier.Malgré la souffrance, Chabre l'immobilisait et le coupait la retraite.
Aussi, à cette frontière où l’on prétend quelquefois qu'il n'y a pas de surveillance _et certes elle n'est pas toujours suffisante en raison de la faiblesse des effectifs _deux gendarmes montraient que ceux que la France a chargés de sa sécurité, savent, lorsqu'ils y sont tenus faire tout leur devoir.
C’étaient deux gendarmes que l'on voit passer avec indifférence dans leur uniforme strict,vaquant à des besognes de police qui paraissent quelquefois prosaïques et cependant les conditions dans lesquelles ils ont agi,la façon dont M. Ruffat est mort, atteste à quel sommet peut atteindre le dévouement de ceux qui constituent un corps modeste, qui a 90 p.cent,s’est _il faut le rappeler_ dans les luttes de la Résistance,couvert de gloire par son attachement à la Patrie et à la République. Le gouvernement, saisi d'urgence, a décidé de conférer aux victimes la médaille militaire.
Je souhaite que la presse des Basses-Pyrénées dise les paroles de gratitude et d’admiration dues à deux gendarmes qui sont deux héros.
L’Humanité (Retronews) samedi 15 septembre 1945
Page une,colonne droite
Un suspect abat deux gendarmes
A la gendarmerie d’Ascain près de Bayonne,un certain Meumont ,originaire de Tourcoing, a tiré six balles de revolver sur deux gendarmes qui voulaient vérifier son identité.Le gendarme Russat a été tué et son collègue blessé.
Le meurtrier a été arrêté.On le soupçonne d’avoir été milicien.
Source: 1378 W Article 181 Tribunal de grande instance de Bayonne
Affaire de meurtre
c/Meernout Alain
611
EXPOSÉ DES FAITS
(Extraits)
Le 13 septembre 1945, vers 22h30, le Receveur des Postes de la commune d'Ascain téléphonez à la gendarmerie de cette même commune pour signaler qu'un étranger au pays rodait dans les parages. Le gendarme. CHABRES Auguste, qui avait reçu le coup de téléphone et le gendarme RUFFAT Marcel partaient aussitôt en side-car à la recherche de cet inconnu. Ils le découvraient au restaurant des Touristes, alors qu'il consommait, au comptoir. Il s'agissait d'un nommé. MEERNOUT Alain, né le 15 novembre 1920 à Tourcoing.
Après avoir vérifié son identité et sa présence a Ascain, commune de la zone réservée pyrénéenne, leur paraissant suspecte, ils l’ amenaient au bureau de la brigade pour plus amples vérifications. Aussitôt arrivé, le gendarme RUFFAT demandait par téléphone la communication avec le fichier de la Section. À cet instant précis,MEERNOUT sortait un revolver à barillet de sa poche et faisait feu dans la direction des gendarmes. La première balle atteignait le gendarme, CHABRES en plein front, au-dessus de l'arcade sourcilière. La deuxième balle , tirée à bout portant atteignait le gendarme RUFFAT. Avec un courage rare et quoique blessés, les deux gendarmes se précipitaient, pour l'immobiliser et le désarmer,sur cet énergumène qui continuait de tirer .D’'ailleurs, au bruit des détonations, les autres gendarmes de la brigade étaient accourus dans la pièce et avaient pu , aussitôt, immobiliser MEERNOUT et 'enchaîner. Malheureusement, le gendarme RUFFAT, qui dès la première blessure avait commencé. À râler, rendait presque sur-le-champ, le dernier soupir..
(…)
MEERNOUT hé été longuement dérangé par les gendarmes,et il a exposé toute son odyssée depuis 1939, date de sa mobilisation.Élevé par ses parents jusqu'à 17 ans ½, Il est entré comme apprenti mécanicien chez Renault,à Boulogne-Billancourt. En 1939, il s'engage pour la durée de la guerre. Il est envoyé en Tunisie,à Sphax.Revient en France en juin 1940 ,est blessé dans les environs de Meaux et est fait prisonnier par les Allemands. Bien que prisonnier de guerre, il travaille chez des cultivateurs français et s'évade de chez l'un d'eux ,en octobre 1940 ,pour rejoindre Billancourt.Il s'embauche comme manœuvre dans diverses entreprises à Soissons, Amiens, Cherbourg, Brest, Angers, etc. En octobre 1942, il contracte un engagement illimité à l'organisation allemande.N.S.K.K. est dirigé sur Bruxelles ,et est mis sous tenue allemande. Il affirme n'avoir jamais porté d'armes,malgré que leurs instructeurs leur aient fait faire du maniement d'armes. En février 1943, il aurait été réformé à cause, prétend il de sa mauvaise dentition et de douleurs consécutives à une opération de hernie ombilicale. En août 1943, il est pris au cours d'une rafle et arrêté parce que n'ayant pas de carte de travail. Il est alors dirigé sur Vienne (Autriche) , comme travailleur. Là-bas, il se livre avec des complices, à un vol de cuir.Pris et torturé, Il donne ses complices et pour sa part,est condamné à 5 mois et demi de prison.Il est enfin rapatrié en France en mai 1945.
Ayant travaillé sous l'uniforme allemand, il se savait , ou tout au moins se sentait menacé. Il décide alors de s'éloigner,il travaille quelques temps à Bonnières-sur-Seine puis à Mantes. Débauché faute de travail, il cherche du travail dans la Vienne, puis à Bordeaux et n’en trouve pas. Depuis quelque temps, il s'est mis dans l'idée de fuir en Espagne pour se soustraire aux menaces dont il aurait été l'objet pour avoir dénoncé à la police allemande ses complices du vol commis en Autriche. De Bordeaux, il se dirige vers la frontière en passant par Dax, Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, par le train jusqu'à Bayonne, par la route jusqu'à Saint-Jean-de-Luz, où il est arrivé le 13 septembre 1945, jour du drame, à 8 heures du matin.De 8 heures à 10 heures , il rôde dans la ville et consomme de l'alcool dans quatre débits différents. À 10 heures, il emprunte la route d'Ascain. Au bout de 4 km, il s'arrête dans un bosquet pour se reposer et s’endort. Il se réveille,vers 17 heures, attend la nuit pour continuer sa route et arrive à Ascain.
Aux premières maisons, un homme l'interpelle. Il lui répond qu'il cherche un camarade, nommé Pedro. L'homme qui l'a interpellé le conduit dans un café voisin pour le renseigner auprès d'un groupe de consommateurs. Il consomme au comptoir, 4 verres de vin blanc et autant de bière,et c’est à ce moment que les gendarmes l'interpellent.
MEERNOUT a précisé qu au cours de la lutte engagée avec les gendarmes, il avait roulé à terre. Il avait alors ramassé un pistolet qui se trouvait à terre et en avait fait usage. En effet, au cours de la lutte, le gendarme CHABRES, qui avait un saisi son pistolet automatique, n'avait pas osé s'en servir de peur d'atteindre son camarade et l’avait laissé tomber à terre. Et c'est bien avec une balle de ce pistolet que la blessure mortelle de RUFFAT a été occasionnée.
Enfin,il a ajouté cette autre précision qu’au cours du trajet dans le side-car,il avait eu un instant l’idée de se débarrasser de son arme mais n’avait pas osé le faire se voyant étroitement surveillé.
(…)
Le médecin légiste a fouillé , autant qu'il l’a pu la psychologie de MEERNOUT. Et d’abord , il n'a pu découvrir d’antécédents familiaux pathologiques. Sa famille est bien portante., cependant sa sœur est morte pendant qu'il était en Allemagne.
Mais selon l'expert, il fut de tout temps instable et un exalté.
Revenons d'Allemagne. Il est violemment ému en apprenant la mort de sa sœur.
(…).
Par ailleurs, les renseignements recueillis sur le compte de l'inculpé ne lui sont pas défavorables. Il a été bon ouvrier chez Renault, où il était noté comme bien élevé, correct et serviable,et on ne lui connaissait pas de mauvaise fréquentation.
De cet exposé, il résulte que MEERNOUT s'est rendu coupable de meurtre sur la personne du gendarme RUFFAT Marcel et même de tentative de meurtre sur la personne du gendarme CHABRES et c'est à bon droit que cette affaire est déférée devant la Chambre des Mises en Accusation de la Cour.
Bayonne,le 11 avril 1946.
Le Procureur de la République
P.S._La fiche de Renseignements (cote 24) est parvenue après la rédaction du présent exposé qu'elle ne modifie en rien d’ailleurs.Il y a toutefois une précision qu'il convient de noter et qui est la suivante :il existe un dossier contre MEERNOUT à la Cour de Justice à Paris, sous le n° 31.552.
Compléments du blog Retours vers les Basses-Pyrénées
Site internet Mémoire des Hommes
Base des militaires décédés pendant la Seconde Guerre mondiale
Marcel RUFFAT
Mort pour la France le 13-09-1945 (Ascain)
Né(e) le/en 16-01-1907 à Serres sur Arget (09 - Ariège, France)
Statut militaire
Unité18 e Légion Gendarmerie
Mention Mort pour la France
Cause du décès tué au combat
Source Service historique de la Défense, Caen Cote AC 21 P 145320 (dossier non consulté)
Acte de décès Ruffat Marcel-Registre de la commune d'Ascain_Cliché J-P Ibarboure |