13 novembre 2020

Précisions sur Bayonne sous Vichy et l’occupation : le détour par Agen _Contenu N°6

Dessins de presse jugés obscènes par Marcel Ribeton,

refus des autorités allemandes de censurer,

Bayonne 19 mai 1944 - 06 juin 1944


AD 64 Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque 1027 W Article 17
AD 47 -1738 W 81- Dossier N°837
Contenu N°6

Fidèle à l'esprit du discours du COMMISSARIAT GÉNÉRAL A LA FAMILLE ,Marcel Ribeton maire de Bayonne, a vainement essayé d'attaquer en justice, deux publications parisiennes qu'il estimait obscènes.

Cette action n'a pas été portée à la connaissance du public.Pourtant,L'Assaut,hebdomadaire régional du Parti Populaire Français,se moquera de l'initiative du maire de Bayonne.

 

Bayonne,le 19 mai 1944

Publications obscènes
Le Maire de Bayonne,
A Monsieur le Procureur de la République
Bayonne

Il m’est  rapporté que les publications « Mérinos » ( rédaction administration, 26 rue d'Aboukir Paris 2) et « Sourire » (imprimerie spéciale de Sourire) dont je vous adresse 1 exemplaire sous ce pli sont exposés et mises en vente dans les différents kiosques de la Ville.

Par application des articles 119 à 129 du Code de la Famille j'ai l'honneur de déposer entre vos mains plainte pour outrage aux bonnes mœurs et de vous demander de faire saisir les exemplaires offerts à la vente.

Le maire  

Source:AD 64 Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque 1027 W Article 17

Que faut-il comprendre par publications obscènes?

Les exemplaires des journaux à l'appui de la plainte de Marcel Ribeton,sont conservés  au Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque 1027 W Article 17 (Tribunal de Grande Instance de Bayonne).
On ne doit pas juger les dessins du printemps 1944 d'après nos perceptions actuelles.Ce n'est pas la nudité qui choque,mais les comportements qui remettent en cause la cellule familiale. 
 
 

Couverture du journal "SOURIRE"

 
Extrait du journal "MERINOS"

 
Page une du journal "MERINOS"
 

BAYONNE, le 22 Mai 1944 

COMMISSARIAT DE POLICE DE LA VILLE DE BAYONNE

OBJET :Saisie des publications « Sourire » et »Le Mérinos »

REFER :Plainte de M.le Maire de BAYONNE au parquet en date du 19/5/1944.

En possession de la plainte déposée par M.le Maire  de BAYONNE relative aux « publications obscènes » du « Sourire » et du « Mérinos » je me suis livré à une enquête qui a donné les résultats suivants :

La publication « Sourire » (Imprimerie spéciale du « Sourire » à tendance pro-allemande a paru en une seule édition, mise en vente à la fin de l'année 1943.Environ 1200 exemplaires ont été offerts au public.La publication a obtenu très peu de succès car 748 exemplaires ont été renvoyés en Mars 1944 et 149 en Avril, à Paris au messageries HACHETTE.On n’en trouve plus aucun en vente dans les kiosques de BAYONNE.

La publication bi-mensuelle « Le Mérinos » (Rédaction 26 rue d'Aboukir PARISs 2e) est expédiée de PARIS par les messageries HACHETTE.M.TASTET rue d'Espagne est le dépositaire de cette société.Il reçoit 575 exemplaires chaque quinzaine.Avec lui , les 2 gérantes du kiosque de la gare du Midi et là gérante du kiosque de la gare du B.A.B sont les seules personnes à recevoir cette publication. M. TASTET répartit ensuite ses exemplaires parmi la trentaine de dépositaires bayonnais.Le journal « Le Mérinos » connaît à BAYONNE un très vif succès, et sa clientèle se recrute parmi les jeunes gens (étudiants en particulier). En 2 jours tout se trouve vendu.Je n'ai donc aucun exemplaire invendu à saisir.

M.TASTET a été avisé de la plainte déposée contre ces publications pour « outrage aux mœurs » par M.le Maire de BAYONNE.Les gérantes des kiosques des gares ont été aussi prévenues.

A l’avenir, à chaque arrivée de cette publication,M.TASTET se présentera au Cabinet de M.le Maire  avec un exemplaire du « Mérinos » aux fins de censure municipale et d'autorisation de vente au public.Les gérantes des kiosques des gare du Midi et du B.A.B bloqueront ces journaux dès leur arrivée et ne les mettront en vente que lorsque M.TASTET leur aura confirmé l'autorisation municipale

Source:AD 64 Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque 1027 W Article 17

 

BAYONNE,le 26 Mai 1944

Capitaine MEJER, service de la Propagande,

Villa « Santa Maria » rue Marie Hope Vere à Biarritz

J'ai l'honneur de vous faire connaître qu’à la date du 19 mai courant,Mr le Maire de Bayonne m'a saisi d'une plainte contre les publications « MERINOS » ( rédaction,administration 26 rue d'Aboukir Paris) et « SOURIRE » (imprimerie spéciale de SOURIRE)  par l'application des articles 119 à 129 du Code de la Famille ces publications constituant, selon la plainte, un outrage aux bonnes mœurs.

Mr le Maire, dans le dépôt de sa plainte, me demandait en même temps de faire saisir les exemplaires offerts à la vente.

A la suite de cette plainte, j'ai prescrit une enquête de police de laquelle il résulterait que cette publication a été envoyée à différentes librairies de Paris par les messageries HACHETTE.

Ce sont les mêmes Messagerie qui ont expédié la publication bi-mensuelle de « MERINOS ».Mr TASTET ,libraire rue d'Espagne, est le dépositaire des Messageries HACHETTE.C'est lui qui distribue chaque quinzaine aux gérantes des kiosques des gares ces publications et répartit d'autres exemplaires chez différents dépositaire bayonnais.Lors de l enquête de police du 22 mai, tous les exemplaires étaient vendus,et en conséquence ,aucune saisie n'a pu être effectuée.

Mr TASTET, dépositaire des Messageries HACHETTE, pour éviter tout incident à l'avenir,se présentera à chaque arrivée de ces publications au cabinet de Mr le Maire pour lui soumettre un exemplaire aux fins de censure municipal et autorisation de vente au public.Les différents dépositaire ne les mettront en vente que lorsque monsieur TASTET les aura avisés de l'autorisation du Maire.

Le régime de la presse en zone occupée dans sous contrôle des autorités d'occupation, celles-ci délivrant le papier et  l’autorisation par leur visa, j'ai cru nécessaire de vous mettre au courant de cette affaire qui me parait concerner tant les autorités françaises que les autorités allemandes.

Je dois vous informer que j'ai ? pour le moment , classé cette affaire sans suite estimant pour ma part que l'outrage aux mœurs, à mon sens, n'était pas caractérisé.

Le Procureur de la République

Source:AD 64 Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque 1027 W Article 17

 

Biarritz,le 28.5.44

PROPAGANDA-STAFFEL SW

Réf. :Votre lettre du 26 mai.

Objet :Censure des journaux « Mérinos » et « Sourire »
Monsieur le Procureur de la République
Tribunal
Bayonne

En réponse à votre lettre du 26 mai je vous prie de prendre connaissance des faits suivants :

Depuis l'armistice ,l'armée allemande est seule autorisée à exercer la censure des imprimés.Le droit de censure appartient à la Propaganda-Abteilung Frankreich beim Militaerbefehlshaber Frankreich.(Bureau de Propagande en France auprès du Commandant supérieur en France)).Aucun autre bureau allemand ou français ne peut se valoir de telles attributions .

Les journaux « Mérinos » et « Sourire »  paraissent avec l'autorisation de la Propaganda -Abteitlung Frankreich.Tout empêchement dans la vente de journaux mentionnée ci-dessus constituerait une atteinte aux droits de cette autorité seule compétente et par conséquent ne serait pas permis.

Le représentant de Hachette,M.TASTET, n'est pas non plus tenu à présenter des exemplaires de journaux au bureau de la censure locale de la Mairie, celui-ci ayant eu ses droits à la censure retirés par la Propaganda-Abteilung.

Je vous prie de communiquer ce fait à M.le Maire.Il devrait en être au courant, car il a voulu autrefois interdire pour les mêmes raisons la représentation des films autorisé par la Propaganda-Abteilung .Le cas fut réglé en ma présence à la Kreiskommandantur de Bayonne.

Signé

Illisible

Source:AD 64 Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque 1027 W Article 17

 

6 juin 1944

Le Procureur de la République au Maire de Bayonne

J'ai l'honneur de vous adresser sous ce pli copie de la lettre que vient de me faire parvenir le service de la Propagande allemande de Biarritz concernant les journaux « MERINOS »et « SOURIRE » .

J’ai classé la plainte que vous m'aviez adressée non seulement parce qu’elle ne manquerait pas de soulever un conflit avec les autorités d'occupation mais parce qu’au surplus l'outrage aux bonnes mœurs  ne m'a pas paru caractérisée

Source:AD 64 Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque 1027 W Article 17

 

Samedi 10 juin 1944

L’Assaut N° 175

Hebdomadaire régional du Parti Populaire Français

Basses-Pyrénées
Bayonne

Monsieur le Maire n'est pas content !

Quel scandale…

Notre Maire vient de faire une attaque.Il était rouge,congestionné, il ne pouvait plus parler …

Certains penseront tout de suite que la chaleur était trop violente, ou que l'eau glacé au pastis était trop forte en degrés alcoolisés.

Non,Madame

Voilons-nous les yeux, Jean-Prude !

Il s'agissait seulement du « Mérinos ».

Connaissez-vous  ce journal ?

Il est spirituel,national, antigaulliste et anti juif maçon, russe, anglais et américain

Il est Français, quoi.

Et Gaulois,même.

C’est ce qui choquent surtout notre Maire.

Que d'obscénités on lit dedans.Alors vite, une demande d'interdiction.C’est à s’en  taper le derrière par terre .

Et c’est triste.

Allons,Monsieur le Maire, laissez pisser le mérinos.

Par contre, une question Monsieur le Maire.

Pourquoi voyons-nous quelques étoiles découpées dans le gazon vert des pelouses du jardin public ? Serait-ce un symbole ?

Nous attendons les fleurs qui seront  peut-être des « Sauges cardinales ».

On ne sait jamais,ces magnifiques étoiles rouges démontreront l'impartialité de M.le Maire.

Article_ non signé_

Qui a renseigné le journal? 

Tribunal de 1 ere instance d’Agen

17 juillet 1945

Interrogatoire de M.Roubertie

J'ai effectivement reçu à plusieurs reprises la visite du capitaine Meyer qui était chef de service de la propagande allemande à Biarritz, mais c'était uniquement des visites de courtoisie.En ce qui concerne l'affaire du journal « Mérinos » voici de quoi il s'agit :un jour M.Ribeton maire de Bayonne est venu me trouver pour porter plainte contre le journal « Mérinos » et les dépositaires de Bayonne pour outrage aux bonnes mœurs.Il s'agissait d'un journal satirique hebdomadaire que patronnait les services de la propagande allemande ; ce journal avait publié une caricature que M.Ribeton estimait licencieuse.J'ai aussitôt donné l'ordre au commissaire de police de saisir tous les exemplaires se trouvant chez les marchands de journaux mais les services de la propagande allemande alertés par le principal dépositaire ,sont aussitôt intervenus pour me demander de quel droit j'avais agi ajoutant que rien ne paraissait sans leur autorisation, c'était uniquement les services allemands qui étaient compétents en pareille matière.J'ai alors porté cela à la connaissance du maire de Bayonne et l’affaire en est restée là.Je crois me rappeler que les allemands m’avaient demandé de leur rendre compte par écrit.

 

22 aout 1945 Déposition de Marcel Ribeton ,ancien Maire de Bayonne

Le 19 mai 1944, par une lettre dont je vous remets copie, je portais plainte aux mains de Monsieur le Procureur de la République à Bayonne contre les journaux « MÉRINOS » et « SOURIRE ».Les numéros que je transmettais au Procureur ne laissaient aucun doute à mon sens sur le caractère de basse pornographie.

Ces journaux, menaient d'ailleurs, à l'aide d'images obscènes une vive campagne contre les alliés et le Gouvernement du Général de Gaulle.

C'est ce fait qui a provoqué sans doute quelques jours plus tard une vive réaction des autorités allemandes.J'en ai été averti par le Parquet qui me transmettait également copie d'une lettre des autorités allemandes ( copie que je vous remets également).

Dans ces conditions,Monsieur le Procureur de la République a décidé de classer l'affaire.

Je dois vous dire cependant qu'il avait intimé à Monsieur TASTETde ne plus mettre de numéros en vente sans mon assentiment, et que grâce à cela toute vente a été interrompue, pendant plus de trois semaines.

(…)